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N° 2774

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 mai 2015.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1), SUR LE PROJET DE LOI relatif au dialogue social et à l’emploi (n° 2739),

PAR

Mme Sandrine MAZETIER

Députée

——

(1) La composition de la délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphé, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-président-e-s ; Mme Édith Gueugneau ; Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Laurence Arribagé ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Huguette Bello ; Mme Brigitte Bourguignon ; Mme Marie-George Buffet ; Mme Pascale Crozon ; M. Sébastien Denaja ; Mme Sophie Dessus ; Mme Marianne Dubois ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Martine Faure ; M. Guy Geoffroy ; Mme Claude Greff ; Mme Françoise Guégot ; Mme Sonia Lagarde ; Mme Geneviève Levy ; Mme Véronique Massonneau ; Mme Sandrine Mazetier ; M. Jacques Moignard ; Mme Dominique Nachury ; Mme Maud Olivier ; Mme Bérengère Poletti ; Mme Josette Pons ; Mme Catherine Quéré ; Mme Barbara Romagnan ; M. Gwendal Rouillard ; Mme Maina Sage ; Mme Sylvie Tolmont ; M. Philippe Vitel.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. LA PLACE DES FEMMES DANS LES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL (IRP) : LE PROJET DE LOI MARQUE UN PROGRÈS EN FAVEUR DE LA PARITÉ ; NÉANMOINS, D’AUTRES MESURES PEUVENT ÊTRE ENCORE ENVISAGÉES 11

A. L’INSUFFISANTE MIXITÉ DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL ET DES INSTANCES DE DÉCISION AU SEIN DES ORGANISATIONS SYNDICALES 12

B. LE PROJET DE LOI RELATIF AU DIALOGUE SOCIAL ET À L’EMPLOI VISE À AMÉLIORER LA REPRÉSENTATION ÉQUILIBRÉE DES FEMMES ET DES HOMMES AU SEIN DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL (ARTICLE 5) 14

C. LE PROJET DE LOI COMPORTE ÉGALEMENT DES DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNEMENT EN VUE DE PROTÉGER LES REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL ET DE VALORISER LEUR EXPÉRIENCE (ARTICLES 2, 3 ET 4) 17

D. D’AUTRES RÉFORMES SONT POSSIBLES TANT AU NIVEAU DES INSTANCES DE REPRÉSENTATION LIÉES AUX ENTREPRISES QU’AU NIVEAU DES SYNDICATS OU DES CONSEILS DE PRUD’HOMMES 19

1. Instaurer la parité lors de la désignation des membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) 20

2. Instaurer l’obligation de respecter la parité entre les femmes et les hommes lors de la désignation des membres des commissions paritaires régionales 21

3. Instaurer un objectif de mixité dans la désignation des instances de décision des organisations syndicales et dans celle des organisations professionnelles d’employeurs 22

4. Instaurer la parité au sein des conseils de prud’hommes 23

II. LA NÉGOCIATION COLLECTIVE EN ENTREPRISE : RATIONALISER SANS NÉGLIGER L’IMPÉRATIF D’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 24

A. LA SITUATION ACTUELLE : DES OBLIGATIONS DE NÉGOCIATIONS MULTIPLES AU NIVEAU DES ENTREPRISES QUI APPELLENT UNE RATIONALISATION 24

1. L’obligation annuelle de négocier sur les objectifs d’égalité professionnelle incluse dans les négociations annuelles obligatoires (NAO) 24

a. Les négociations annuelles obligatoires (articles L. 2242-5 à L. 2242-14 du code du travail) 24

b. La négociation en faveur de l’égalité professionnelle (articles L. 2242-5 à L. 2242-7 du code du travail) 27

c. L’expérimentation du regroupement de certains thèmes de négociation dans une négociation unique 30

2. Éléments statistiques relatifs aux accords d’entreprise sur l’égalité professionnelle 31

B. LE PROJET DE LOI RELATIF AU DIALOGUE SOCIAL : UNE RATIONALISATION DES NÉGOCIATIONS ET DES CONSULTATIONS QUI NÉCESSITE DES AMÉNAGEMENTS EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE 33

1. Le regroupement des négociations obligatoires (article 14) 33

2. L’adaptation des règles de négociation par voie d’accord (article 14) 35

3. Le regroupement des consultations annuelles obligatoires (article 13) 36

4. Des inquiétudes concernant la disparition des outils de diagnostic en matière d’égalité professionnelle 38

C. LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION 40

III. LA CRÉATION D’UNE PRIME D’ACTIVITÉ EN DIRECTION DES TRAVAILLEUR-SE-S MODESTES : UNE RÉFORME IMPORTANTE, EN PARTICULIER POUR LES FEMMES 41

A. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE DES DISPOSITIFS DE SOUTIEN AUX PERSONNES ACTIVES DISPOSANT DE REVENUS MODESTES 41

1. Une part importante de femmes parmi les travailleur-se-s modestes 42

a. Des situations de précarité plus fréquentes, en particulier pour les mères seules, et près de 70 % de femmes parmi les travailleurs pauvres 42

b. Une situation qui tient notamment à la fréquence des temps partiels mais aussi aux types d’emplois : l’enjeu central de la mixité des métiers 44

2. Des dispositifs de soutien aux travailleur-se-s modestes présentant plusieurs limites, y compris au regard de l’emploi des femmes 47

a. La prime pour l’emploi (PPE) et les femmes 48

b. Le revenu de solidarité active (RSA) activité et les femmes 51

B. LA CRÉATION D’UNE PRIME D’ACTIVITÉ PAR LE PROJET DE LOI (ARTICLES 24 À 27) 54

1. Une nouvelle prestation pour encourager l’activité et soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs modestes de façon simple et lisible 54

a. Une réforme sociale majeure qui permettra de faire progresser les droits liés au travail 55

b. Des modalités de calcul qui prennent en compte la situation des mères seules et favorisent davantage la bi-activité des couples 60

2. Les points de vigilance et les mesures d’accompagnement souhaitables : les recommandations de la délégation 63

a. Le barème et les modalités de calcul de la prime d’activité ainsi que l’évaluation ex post sexuée du dispositif 63

b. Les mesures d’accompagnement pour améliorer l’insertion des femmes sur le marché du travail et prévenir le non-recours 65

IV. UN OBJECTIF D’ÉGALITÉ FEMMES - HOMMES À PRENDRE EN COMPTE DANS LA MISE EN œUVRE DE DEUX RÉFORMES 67

A. LA REFONDATION DU RÉGIME DE L’INTERMITTENCE 67

1. La situation particulière des « matermittentes » 67

a. Les difficultés rencontrées concernant l’indemnisation des congés maternité et leur prise en compte par l’assurance chômage 67

b. Les avancées récentes avec en particulier l’assouplissement des conditions d’accès aux indemnités journalières depuis janvier 2015 69

2. La réforme prévue par le projet de loi et les recommandations de la délégation 71

a. La pérennisation du régime d’assurance chômage des intermittents et l’instauration d’une nouvelle méthode de négociation (article 20) 71

b. Les recommandations de la délégation concernant les intermittentes 71

B. LA SÉCURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS 73

1. La création d’un compte personnel d’activité (article 21) 73

a. Un progrès social majeur avec la création d’un dispositif visant à améliorer la portabilité des droits et sécuriser les parcours 73

b. Des enjeux en termes d’égalité entre les femmes et hommes 74

2. Le rôle de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (article 22) 75

a. Les missions de l’AFPA au sein du service public de l’emploi 75

b. L’égal accès des femmes et des hommes à la formation professionnelle 76

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 77

I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 77

l Audition de M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales (IGAS), président de l’Agence du service civique, sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale 78

l Audition de Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), et de Mme Marie Becker, cheffe de projet au CSEP, sur le sexisme dans le monde du travail et sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de 50 à 300 salariés 91

l Audition de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, sur la feuille de route 2015-2017 du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale 105

l Audition de représentant-e-s d’organisations syndicales de salarié-e-s (CFCT, CFDT, CFE-CGE, CGT et FO), sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi 114

l Audition de M. Philippe Chognard, conseiller aux affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de M. Pierre Burban, secrétaire général, et de Mme Caroline Duc, conseillère technique, de l’Union professionnelle artisanale (UPA), sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi 126

II. EXAMEN DU RAPPORT PAR LA DÉLÉGATION 135

LISTE DES RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 145

ANNEXES 149

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE ET PAR LA DÉLÉGATION 149

ANNEXE 2 :  AVIS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES (CSEP) SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AU DIALOGUE SOCIAL 153

MESDAMES, MESSIEURS,

Aux termes du Préambule de la Constitution de 1946, « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Le dialogue social est ainsi placé au cœur de notre pacte républicain et, depuis 2012, le gouvernement a privilégié cette voie pour engager des réformes majeures. Plusieurs accords nationaux interprofessionnels (ANI) ont ainsi été conclus par les partenaires sociaux, notamment sur la formation professionnelle et la sécurisation de l’emploi, puis transposés dans la loi. Les 36 500 accords d’entreprise et 950 accords de branches conclus en 2014 témoignent également de la vitalité du dialogue social.

Il est cependant apparu nécessaire d’améliorer la qualité et l’efficacité du dialogue social en entreprise, et d’abord parce que celui-ci est trop souvent enfermé dans un cadre rigide et complexe, qui peut favoriser le formalisme au détriment du fond. En outre, de nombreux salariés et entreprises en sont aujourd’hui exclus, et l’engagement syndical n’est pas suffisamment valorisé. Une modernisation du cadre de la démocratie sociale s’impose donc aujourd’hui pour améliorer le quotidien des salarié-e-s mais aussi la performance durable des entreprises, en s’appuyant sur des relations sociales de qualité. Présenté en Conseil des ministres le 22 avril 2015, le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi (n° 2739) comporte des avancées majeures, porteuses de progrès social, en prévoyant en particulier de :

– faire en sorte que les 4,6 millions de salariés des petites entreprises (TPE) et du particulier employeur aient eux aussi droit à une représentation, et de valoriser et favoriser l’engagement des salarié-e-s dans l’entreprise ;

– simplifier les règles du dialogue social pour le rendre plus efficace et stratégique, à travers notamment le regroupement des consultations annuelles et des négociations obligatoires ainsi qu’une clarification des rôles et un fonctionnement plus fluide des institutions représentatives du personnel (IRP) dans les entreprises ;

– améliorer les dispositifs de soutien financier aux travailleur-se-s modestes, avec la création d’une prime d’activité, qui sera aussi ouverte aux jeunes actifs ;

– sécuriser les parcours professionnels, à travers notamment la création du compte personnel d’activité, qui sera l’une des grandes réformes sociales de cette législature. En effet, de nombreux droits individuels, mobilisables à l’initiative du salarié, ont été mis en place grâce à des gouvernements de gauche, tels que le compte épargne temps, le compte personnel de formation et le compte pénibilité, et il s’agit à présent de les réunir pour plus de lisibilité et de les décloisonner, pour permettre à chacune et à chacun d’être acteur de son parcours professionnel.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a souhaité se saisir de cette réforme importante, en concentrant ses travaux sur certaines dispositions du projet de loi :

– l’objectif de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des IRP (article 5), la création de commissions paritaires régionales interprofessionnelles dans les TPE (article 1er) ainsi que la protection contre les discriminations salariales et la valorisation des parcours des représentant-e-s du personnel (articles 2 à 4) ;

– le regroupement des consultations annuelles et des négociations obligatoires (articles 13 et 14), pour ce qui concerne l’impact de ces dispositions sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle et les informations relatives à la situation comparée des femmes et des hommes sur lesquelles elle s’appuie ;

– la création d’une prime d’activité (articles 24 à 27), alors que les femmes représenteraient environ 70 % des travailleurs pauvres ;

– enfin, d’autres mesures ont également été examinées sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes, concernant les intermittent-te-s du spectacle (article 20), l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et le compte personnel d’activité (articles 21 et 22).

Les travaux de la délégation ont tout d’abord pu s’appuyer sur l’avis rendu par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, le 11 mai 2015, et dont le texte est reproduit dans l’annexe n° 2 du présent rapport.

Dans un calendrier resserré, plus d’une vingtaine de personnes ont également été entendues, dont la liste figure en annexe n° 1 : syndicats, organisations patronales, à l’exception du MEDEF qui n’a pas pu se rendre disponible, « matermittentes », expert-e-s, etc.

Outre les comptes rendus des auditions de la délégation portant spécifiquement sur ce texte, sont également présentés infra ceux relatifs aux auditions de M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, de Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du CSEP, et de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, qui avaient évoqué notamment certaines questions en lien avec le présent projet de loi. La rapporteure s’est par ailleurs rendue dans une structure d’aide à domicile à Paris, le 15 mai 2015 (LogiVitae). Que l’ensemble des personnes entendues trouvent ici l’expression de sa reconnaissance pour leur disponibilité et leur éclairage précieux.

Le 19 mai 2015, la délégation a adopté plusieurs recommandations, concernant la représentation des femmes dans les instances de représentation des salariés (I), la négociation collective sur l’égalité professionnelle (II), la réforme des dispositifs de soutien aux travailleur-se-s modestes, avec la création d’une prime d’activité (III), ainsi que d’autres réformes engagées concernant le régime de l’intermittence et la sécurisation des parcours professionnels (IV).

I. LA PLACE DES FEMMES DANS LES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL (IRP) : LE PROJET DE LOI MARQUE UN PROGRÈS EN FAVEUR DE LA PARITÉ ; NÉANMOINS, D’AUTRES MESURES PEUVENT ÊTRE ENCORE ENVISAGÉES

Le diagnostic est aujourd’hui partagé que les femmes ne sont pas suffisamment représentées, au sein des entreprises, dans le cadre des instances représentatives du personnel et, au niveau départemental ou national, parmi les responsables des organisations syndicales.

L’article 5 du projet de loi vise à améliorer la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les institutions représentatives du personnel (IRP).

Très exactement, il introduit l’obligation, pour les listes aux élections professionnelles qui concernent les membres des comités d’entreprise et pour celles qui concernent les délégués du personnel, de comporter une proportion de femmes et d’hommes reflétant leur proportion respective dans les collèges électoraux.

La sanction du non-respect de ce principe est la perte d’un ou de plusieurs sièges pour la liste électorale concernée, en fonction de la composition par sexe qu’elle aurait dû respecter.

En pratique, cette mesure entretient un lien étroit avec la recherche d’une plus grande mixité parmi les responsables – et surtout parmi les élus – des organisations syndicales. En effet, il convient de noter que les représentants désignés lors des élections aux IRP sont aussi, la plupart du temps, des membres issus des syndicats présents dans l’entreprise. Par suite, il est possible d’affirmer que les listes électorales aux IRP sont aussi, la majeure partie du temps, des listes constituées par les organisations syndicales elles-mêmes. De la sorte, si l’on impose la recherche d’un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes aux élections aux IRP, cela équivaut aussi à imposer la recherche d’une plus grande mixité au sein des syndicats.

L’article 5 du projet de loi est donc un article tout à fait important. Non seulement il instaure une représentation équilibrée au sein des institutions représentatives du personnel, mais il contribue aussi, à terme, à favoriser le renouvellement des militants et des élus au sein des organisations syndicales.

Cet article 5 est accompagné, dans l’économie du projet de loi, par d’autres mesures qui ont également une incidence sur la vie professionnelle des femmes, lorsqu’elles ont été élues au sein des institutions représentatives du personnel :

– la garantie, pour les représentants des salariés, d’une évolution de leur rémunération, au cours de leur mandat, qui ne soit pas discriminatoire (article 4) ;

– la reconnaissance, au sein de l’entreprise, des compétences acquises dans le cadre du mandat de représentant du personnel, notamment à l’occasion de l’entretien individuel avec l’employeur faisant suite à ce mandat et prévu par la loi du 5 mars 2014 (article 2) ;

– la valorisation de ces compétences pour une évolution de carrière après l’exercice du mandat, ces compétences figurant désormais sur une liste de certifications établie par l’État en liaison avec les partenaires sociaux et pouvant être utilisées pour l’obtention d’une promotion ou d’un diplôme, dans le cadre d’un cursus professionnel donné (article 3).

Néanmoins, malgré les avancées dont le projet de loi est porteur, ce dernier n’épuise pas l’ensemble des questions liées à la mixité, que ce soit au niveau des institutions représentatives du personnel, au niveau des organisations syndicales ou même au niveau des conseils de prud’hommes. C’est ainsi qu’à la fin du présent chapitre, il conviendra d’envisager d’autres réformes possibles en ce domaine. On pense ici notamment à l’instauration, à terme, de la parité dans la désignation des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et également au développement de la mixité dans les différentes instances de décision relevant des syndicats.

A. L’INSUFFISANTE MIXITÉ DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL ET DES INSTANCES DE DÉCISION AU SEIN DES ORGANISATIONS SYNDICALES

Pour en rester aux seuls comités d’entreprise – car les statistiques sont peu nombreuses en ce qui concerne les délégués du personnel – il est incontestable que la part des femmes élues au sein de ces comités, qu’elles soient ou non syndiquées, n’est pas très élevée.

Ce phénomène apparaît dans le tableau suivant qui présente la part des femmes par grande organisation syndicale – et également la part des femmes non syndiquées – en pourcentage d’élus aux comités d’entreprise pour le cycle électoral 2004-2005.

PLACE DES FEMMES AU SEIN DES COMITÉS D’ENTREPRISE

Lecture : aux élections aux comités d’entreprise organisées en 2004 et 2005 (années cumulées), 35,9 % des élus CFDT sont des femmes.

Source : fichier des élections aux comités d’entreprise et délégations uniques du personnel, DARES, 2004-2005

Comme on le voit, les femmes élues, qu’elles appartiennent ou non à un syndicat, dépassent rarement le seuil des 40 %.

Plusieurs facteurs l’expliquent, notamment la faible évolution du partage des tâches quotidiennes entre les hommes et les femmes, qui laissent à ces dernières une disponibilité moins grande pour exercer un mandat au sein d’une institution représentative du personnel. Les femmes se présentent donc en moins grand nombre aux élections professionnelles. Par ailleurs, en dépit des décharges horaires, les titulaires d’un mandat doivent souvent prendre sur leur temps personnel pour accomplir correctement leurs fonctions. Ce mode d’exercice du mandat – qui est une spécificité française – dissuade également les femmes.

Cependant, cette sous-représentation des femmes ne se limite pas aux institutions représentatives du personnel.

Elle existe également au sein des syndicats où, malgré une augmentation de leurs effectifs ces dernières années, les femmes apparaissent toujours comme étant plus faiblement syndiquées que les hommes.

FEMMES DANS LES CONFÉDÉRATIONS SYNDICALES
(HORS CFE-CGC, UNSA ET SOLIDAIRES)

Syndicat

2000

2008

2012

CFDT

43 %

45 %

47 %

CFTC

40 %

39 %

50 %

CGT

28 %

28 %

35 %

CGT-FO

45 %

45 %

45 %

Source : cinquième enquête annuelle du 8 mars de la confédération européenne des syndicats en 2012

À la lecture de ce tableau, on peut noter que la forte augmentation de la proportion d’adhérentes à la CFTC tend à s’expliquer davantage par une baisse relative du nombre d’adhésions que par une progression significative du nombre de femmes entrantes.

À l’inverse, il convient de souligner l’augmentation de 7 points du taux de féminisation à la CGT, alors que, dans le même temps, le nombre d’adhérents a progressé de 50 000 personnes.

Par ailleurs, les femmes sont également sous-représentées dans les instances de décision de la plupart des syndicats ou des organisations représentatives du patronat, bien que certains d’entre eux aient été ou soient actuellement dirigés par une femme. C’est le cas de la CFDT qui a été dirigée par Mme Nicole Notat entre 1992 et 2002 ; de l’UNSA qui, à sa création, a eu à sa tête, pendant un an, Mme Martine Le Gal ; de l’UNAPL entre 1995 et 1997, ainsi qu’entre 2001 et 2004 ; du MEDEF dirigé, entre 2005 et 2013, par Mme Laurence Parisot et de la CFE-CGC conduite, depuis avril 2013, par Mme Carole Couvert. Par ailleurs, Mme Pascale Coton, qui a été entendue par la délégation, est actuellement secrétaire générale confédérale de la CFTC.

Le tableau ci-après donne une idée de la faible représentation des femmes dans les instances de décision des syndicats.

PLACE DES FEMMES DANS CINQ ORGANISATIONS SYNDICALES EN 2009

 

CGT

CFDT

CGT/FO

CFTC

CFE/CGC

Part des femmes syndiquées

34

44,3

~50

40

28,2

Part des femmes déléguées au congrès

29

37

43

28

12,5

Part des femmes aux comités (ou conseils) nationaux (ou confédéraux)

25

28,3

10

20,6

35

Part des femmes dans les comités exécutifs (ou bureaux) confédéraux

50

32

18

18,7

40,2

Part des femmes dans les bureaux journaliers (ou comités de direction, commissions exécutives) confédéraux

50

33

42

20

30

Part des femmes secrétaires générales de fédérations

17

17

9

14

15,8

Part des femmes secrétaires générales d’unions départementales

18,3 %

18,6 %

9 %

30 %

6 %

Source : Rachel Silvera, documents de travail du MAGE (groupe de recherche Marché du travail et Genre du CNRS), année 2010

Au total, les femmes sont faiblement syndiquées, elles sont insuffisamment présentes dans les institutions représentatives du personnel, et il en va de même pour les instances de direction des syndicats. Bien entendu, les trois phénomènes sont liés – la faible syndicalisation des femmes étant un facteur prépondérant.

B. LE PROJET DE LOI RELATIF AU DIALOGUE SOCIAL ET À L’EMPLOI VISE À AMÉLIORER LA REPRÉSENTATION ÉQUILIBRÉE DES FEMMES ET DES HOMMES AU SEIN DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL (ARTICLE 5)

Pour améliorer l’insuffisante mixité des institutions représentatives du personnel, le projet de loi vise à accroître la place des femmes dans les élections professionnelles en prévoyant la mise en place obligatoire, pour les élections des délégués du personnel et pour celles des comités d’entreprise, de listes électorales qui reflètent exactement le poids relatif des hommes et des femmes au sein des entreprises.

Le projet de loi ne cherche pas à définir un système qui repose sur la stricte parité. En effet, celle-ci aurait été impossible à réaliser faute d’un vivier suffisant de candidates aux postes électifs. De plus, la parité n’aurait pas nécessairement correspondu à la démographie de chaque entreprise. Mais le projet de loi établit des règles qui instaurent une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes, c’est-à-dire des règles qui prennent mieux en compte le poids réel de chaque sexe – et notamment des femmes – dans l’entreprise.

Ce faisant, le projet de loi constitue aussi un premier pas vers la parité. En effet, comme la composition du corps électoral est fixée à chaque élection, si, grâce aux recrutements, la parité progresse au sein du personnel, de la même manière, le mode de représentation retenu – qui a été conçu pour refléter fidèlement la composition du corps électoral – tend à aboutir, lui-aussi, à la parité.

L’article 5 du projet de loi met en application ces différents principes.

Tout d’abord, il crée deux articles nouveaux au sein du code du travail – les articles L. 2314-24-1 et L. 2324-22-1 – qui ont pour objet de définir la méthode selon laquelle les listes électorales des candidats pour les élections concernant les délégués du personnel et les membres du comité d’entreprise devront être établies.

Aux termes de ces articles, les listes électorales doivent être construites en respectant strictement la proportion d’hommes et de femmes qui travaillent dans l’entreprise.

Pour cela, il convient de dénombrer très précisément les membres des deux collèges électoraux. Ensuite, pour déterminer le nombre des candidats par liste, il est fait application des pourcentages correspondant au rapport entre l’effectif de chacun de ces deux collèges et l’effectif total du corps électoral. Ainsi, dans une entreprise donnée, si le collège des hommes représente 70 % des inscrits et celui des femmes 30 %, le nombre des candidats devra atteindre 10 personnes par liste, soit 7 hommes et 3 femmes.

Lorsque l’application de ce calcul n’aboutit pas à un nombre entier de candidats pour chacun des deux sexes, il est procédé à un arrondi arithmétique en prenant pour référence la décimale 5. On arrondit à l’entier supérieur en cas de décimale supérieure ou égale à 5 ; on arrondit à l’entier inférieur en cas de décimale inférieure à 5.

Enfin, en cas de stricte égalité entre les hommes et les femmes figurant dans le corps électoral, si le nombre de sièges à pourvoir est impair, la liste comprend indifféremment un homme ou une femme supplémentaire.

Par ailleurs, l’article 5 du projet de loi prévoit la création de deux autres articles nouveaux au sein du code du travail : les articles L. 2314-24-2 et L. 2324-22-2. Ces articles indiquent que l’accord d’entreprise préalable aux opérations électorales pour l’élection des délégués du personnel et pour celle des comités d’entreprise comporte nécessairement un volet portant sur le corps électoral de l’entreprise et sur sa répartition entre hommes et femmes. L’employeur porte ensuite à la connaissance des salariés, par tout moyen permettant de conférer une date certaine à cette notification, la proportion d’hommes et de femmes composant le corps électoral.

Enfin, l’article 5 du projet de loi modifie les articles L. 2314-25 et L. 2324-23 du code du travail. Ces articles permettent au juge judiciaire, postérieurement aux élections, en cas de non-respect par une liste des prescriptions relatives à la représentation équilibrée, d’annuler l’élection du ou des candidats du sexe surreprésenté, au regard de la composition entre hommes et femmes qu’aurait dû respecter la liste électorale.

Ainsi, pour reprendre le précédent exemple, si une liste devait comporter 7 hommes et 3 femmes (parce que le corps électoral est composé de 70 % d’hommes et de 30 % de femmes), qu’elle comporte dans les faits 9 hommes et une femme, et qu’elle a 5 élus, après contrôle du juge elle perdra 2 sièges d’élus masculins, car elle avait présenté deux hommes « en trop » sur la liste des candidats.

Par ailleurs, le juge pourra toujours, s’il est saisi et se prononce avant les élections, déclarer irrégulière une liste qui ne respecterait pas les règles de la représentation équilibrée (par exemple, une liste incomplète).

En conclusion, il est possible d’affirmer que le texte, en rendant désormais obligatoire la présence des femmes sur les listes électorales aux élections professionnelles, constitue, pour ces dernières, la promesse d’un progrès très significatif dans leur participation à la vie de l’entreprise.

Néanmoins, deux problèmes subsistent encore.

Tout d’abord, l’article 5 ne garantit pas, dans la composition des listes électorales telle qu’il la définit, la présence de femmes en position éligible.

Pour résoudre cette difficulté, on pourrait donc compléter cet article en indiquant que, lorsque les listes comportent des femmes, les noms de celles-ci sont obligatoirement présentés de manière alternée avec ceux des hommes.

Recommandation n° 1 :

Compléter l’article 5 (représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des IRP) en indiquant qu’il est nécessaire de prévoir des listes de candidats alternées.

Par ailleurs, l’article 5 ne prévoit pas d’étapes pour aboutir à la parité.

Pour répondre à cette objection, on pourrait compléter le dispositif prévu par l’article 5 en mettant en place un système comportant trois étapes.

Ce système serait le suivant : pour les prochaines élections des délégués du personnel et des membres des comités d’entreprise, à compter du 1er janvier 2017, les élections se dérouleraient d’abord selon les modalités qui viennent d’être exposées. Puis, pour les élections suivantes, les listes seraient établies en comportant 40 % de femmes. Enfin, pour la troisième élection, les listes seraient composées en respectant une stricte parité entre les femmes et les hommes.

Recommandation n° 2 :

Organiser, à partir du 1er janvier 2017, un système progressif permettant d’aboutir, à terme, à la parité entre les femmes et les hommes dans la composition des institutions représentatives du personnel. C’est ainsi que l’on pourrait prévoir une représentation proportionnelle des femmes et des hommes lors des premières élections ; puis, la réalisation de listes électorales comportant 40 % de femmes lors des élections suivantes ; et enfin, la parité intégrale lors des élections ultérieures.

C. LE PROJET DE LOI COMPORTE ÉGALEMENT DES DISPOSITIFS D’ACCOMPAGNEMENT EN VUE DE PROTÉGER LES REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL ET DE VALORISER LEUR EXPÉRIENCE (ARTICLES 2, 3 ET 4)

Au sein du projet de loi, le système prévu par l’article 5 est complété par les dispositions de trois autres articles – les articles 2, 3 et 4 – dispositions qui visent à protéger les représentants du personnel contre les discriminations salariales susceptibles d’intervenir pendant le temps de leur mandat, et qui ont également pour objet de valoriser l’expérience acquise, notamment lorsque le mandat prend fin.

Bien entendu, dans la mesure où le but recherché par le texte est de faire en sorte que les représentants du personnel se comptent aussi, désormais, parmi les femmes – et cela en toute égalité –, ces dispositions concernent étroitement ces dernières.

Les trois articles s’analysent de la manière suivante :

– l’article 2 prévoit le droit pour tout représentant du personnel titulaire de bénéficier, à sa demande, d’un entretien individuel avec son employeur en début de mandat ; cet entretien portera sur les modalités pratiques d’exercice de son mandat au regard de son emploi ; le représentant pourra, s’il le souhaite, être accompagné d’une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ;

– par ailleurs, le même article prévoit que, pour les représentants du personnel qui disposent d’heures de délégation représentant, à l’échelle de l’année, au moins 30 % de leur temps de travail, l’entretien professionnel de fin de mandat, introduit par la législation en 2014, devra être l’occasion de recenser les compétences acquises au cours de ce mandat et de préciser la valorisation qui pourra en être faite ;

– l’article 3 dispose que les ministres en charge du Travail et de la Formation professionnelle établiront une liste de compétences qui seront inscrites, après avis de la Commission nationale de la certification professionnelle, au répertoire national des certifications professionnelles ; cette certification permettra aux titulaires ou aux anciens titulaires de mandats d’obtenir des diplômes ou des validations, en particulier dans le cadre d’une démarche de valorisation des acquis de l’expérience ;

– enfin, l’article 4 prévoit que les représentants du personnel – dont les heures de délégation annuelles représentent au moins 30 % de leur temps de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement – bénéficient d’une évolution de rémunération au moins égale, pendant le temps de leur mandat, à l’évolution moyenne des rémunérations perçues, au cours de cette période, par les salariés de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable, ou, à défaut, de l’ensemble des salariés de l’entreprise.

Ces articles sont très intéressants dans la mesure où leur caractère protecteur favorise la participation – et notamment celle des femmes – au sein des institutions représentatives du personnel.

Toutefois, il paraît encore possible de les modifier ou de les compléter sur deux points.

Tout d’abord, il convient d’observer que la disposition qui subordonne la reconnaissance d’un parcours professionnel à la réalisation d’un nombre d’heures de délégation représentant au moins 30 % du temps de travail constitue une mesure qui, en définitive, paraît plus adaptée à la situation des hommes qu’à celle des femmes.

Le chiffre de 30 % représente, en effet, le temps consacré, en moyenne, à l’exercice de trois mandats. Or, au sein des entreprises, les femmes ne disposent bien souvent que d’un seul mandat, ce qui correspond à 10 % du temps de travail.

Contrairement aux hommes, les femmes éprouveront donc des difficultés pour disposer du capital d’heures nécessaire à la reconnaissance de leurs parcours. Et ce phénomène sera encore amplifié si les femmes, quoique titulaires de mandats, travaillent à temps partiel – ce qui arrive fréquemment.

Par suite, pour garantir une reconnaissance optimale des parcours féminins, il pourrait paraître tout à fait opportun de diminuer, dans les articles 2 et 4 du projet de loi, le taux minimal correspondant aux heures de délégation exprimées en temps de travail. Ce taux pourrait être fixé désormais à 10 %.

Recommandation n° 3 :

Dans les articles 2 et 4 du projet de loi, abaisser la condition minimale de durée du mandat de représentant du personnel – condition nécessaire pour la reconnaissance du parcours professionnel – à 10 % du temps de travail.

Par ailleurs, pour accroître la participation des femmes aux fonctions de représentant du personnel, on pourrait compléter la règlementation que l’on vient d’étudier en posant le principe que les entreprises doivent favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions syndicales et électives en veillant à une bonne prise en compte de la nécessaire articulation entre vie personnelle et vie professionnelle.

Ce principe pourrait être énoncé à la fin de l’article 2 du projet de loi, c’est-à-dire à la fin de l’article L. 2141-5 du code du travail que cet article 2 modifie. Il pourrait également figurer à la fin de l’article L. 2242-20 du code du travail – article qui institue, dans les entreprises employant 300 salariés et plus, une obligation de négociation triennale sur l’emploi, les compétences et le déroulement de carrière des salariés exerçant des fonctions syndicales.

Recommandation n° 4 :

Prévoir, dans les articles L. 2141-5 et L. 2242-20 du code du travail, que les entreprises doivent favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions syndicales et électives en veillant à une bonne prise en compte de la nécessaire articulation entre vie personnelle et vie professionnelle.

D. D’AUTRES RÉFORMES SONT POSSIBLES TANT AU NIVEAU DES INSTANCES DE REPRÉSENTATION LIÉES AUX ENTREPRISES QU’AU NIVEAU DES SYNDICATS OU DES CONSEILS DE PRUD’HOMMES

Comme on vient de le voir, le projet de loi constitue une avancée importante dans le domaine de la mixité lors des élections des délégués du personnel et des membres des comités d’entreprise. Toutefois, d’autres avancées sont encore possibles.

En ce qui concerne les institutions représentatives du personnel, il serait certainement intéressant d’inscrire, au sein du projet de loi, la nécessité de tendre par étapes vers la parité lors de la désignation des membres des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

S’agissant des commissions paritaires régionales pour les salariés et les employeurs des entreprises de moins de 11 salariés – commissions qui sont instituées par l’article 1er du projet de loi –, il serait également souhaitable d’instaurer l’obligation de respecter la parité entre les femmes et les hommes lors de la désignation de leurs membres.

Par ailleurs, si l’on aborde la question des instances de décision des organisations syndicales ou des organisations professionnelles d’employeurs, là encore, il ne serait sans doute pas sans intérêt de fixer dans la loi un objectif de mixité.

Enfin, on pourrait également se servir du projet de loi comme un support pour instaurer la parité au sein des conseils de prud’hommes.

1. Instaurer la parité lors de la désignation des membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)

Les membres du CHSCT sont désignés par un collège unique constitué par les membres élus du comité d’entreprise et les délégués du personnel. Il peut toutefois être scindé en deux, un collège désignant les représentants des cadres et agents de maîtrise, le deuxième élisant les représentants des autres salariés.

Le choix du mode de scrutin (nominatif, majoritaire ou de liste) doit résulter d’un accord unanime des membres du collège. À défaut, la jurisprudence applique le droit commun des élections professionnelles : le scrutin de liste avec représentation proportionnelle et attribution des sièges d’abord au quotient électoral, et ensuite à la plus forte moyenne, s’il reste des sièges à pourvoir.

Le nombre des représentants du personnel au CHSCT varie en fonction du nombre des salariés dans l'entreprise :

– jusqu'à 199 salariés, les élections doivent permettre la désignation de 3 représentants (dont 1 cadre) ;

– entre 200 et 499 salariés, elles doivent aboutir à la désignation de 4 représentants (dont 1 cadre) ;

– entre 500 et 1 499 salariés, elles doivent contribuer à désigner 6 représentants (dont 2 cadres) ;

– enfin, à partir de 1 500 salariés, elles doivent tendre à la désignation de 9 représentants (dont 3 cadres).

En principe, comme, aux termes de l’article 5 du projet de loi, les délégués du personnel et les membres du comité d’entreprise doivent désormais être élus sur la base d’une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes, la désignation des membres du CHSCT devrait enregistrer une féminisation accrue. Cependant, comme l’article 5 ne prévoit pas non plus que les femmes doivent figurer sur les listes électorales en position éligible, il ne paraît pas inutile de compléter le texte en prévoyant que les représentants des CHSCT doivent être désignés, de manière immédiate, selon un mode d’élection qui respecte l’objectif de la mixité. Ensuite, à moyen terme, cet objectif devra déboucher sur celui de la parité.

Recommandation n° 5 :

Faire en sorte que les listes des candidats élaborées en vue de la désignation des membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) tendent à la parité.

Dans ce but, à partir du 1er janvier 2017, il est procédé de la manière suivante :

– pour la première élection des délégués aux CHSCT, les listes des candidats doivent refléter le pourcentage d’hommes et de femmes existant au sein du corps électoral concernant les élections des délégués du personnel et celle des membres des comités d’entreprise ;

– pour la seconde élection des délégués aux CHSCT, les listes des candidats doivent représenter 40 % de femmes ;

– pour la troisième élection, ces listes sont établies en respectant la parité entre les femmes et les hommes.

2. Instaurer l’obligation de respecter la parité entre les femmes et les hommes lors de la désignation des membres des commissions paritaires régionales

L’article 1er du projet de loi prévoit la création de commissions paritaires régionales représentant les salariés et les employeurs des entreprises de moins de onze salariés.

Cet article vient pallier l’absence actuelle d’obligation légale de représentation du personnel dans les très petites entreprises.

En effet, l’employeur n’est contraint de mettre en place une représentation du personnel que dans les entreprises employant onze salariés et plus, conformément aux dispositions de l’article L. 2312-2 du code du travail qui dispose que « la mise en place des délégués du personnel n’est obligatoire que si l’effectif de onze salariés et plus est atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes ».

De même, la mise en place d’un comité d’entreprise n’est obligatoire que pour les entreprises de cinquante salariés et plus, conformément à l’article L. 2322-2 du code du travail qui dispose que « la mise en place d’un comité d’entreprise n’est obligatoire que si l’effectif de cinquante salariés et plus est atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes ».

Dès lors, si des instances de représentations territoriales ont pu voir le jour dans certaines branches, elles restent en nombre limité.

La disposition prévue par l’article 1er du projet de loi est donc particulièrement bienvenue dans la mesure où 4,6 millions de salariés travaillent dans les TPE et se voient de fait – du moins pour leur plus grande part – privés du droit d’être représentés par des délégués partageant leurs préoccupations et leurs difficultés.

Le projet de loi a pour objectif de faire des commissions paritaires régionales des lieux de concertation, d’information et de dialogue au bénéfice des salariés et des employeurs. Elles auront, au nombre de leurs attributions, des sujets majeurs tels que l’emploi ou les conditions de travail. En outre, elles exerceront des missions opérationnelles de conseil et d’information au bénéfice des salariés et des employeurs.

À cet égard, il serait sans doute nécessaire de renforcer leurs attributions en prévoyant qu’elles seront également tournées vers les questions d’égalité professionnelle et de travail à temps partiel.

Recommandation n° 6 :

Préciser les attributions des commissions paritaires régionales afin d’inclure dans leur champ de compétence les questions relatives à l’égalité professionnelle et au temps partiel.

Le texte prévoit que les commissions paritaires régionales comportent vingt membres, issus des TPE, qui siègeront pour une durée de quatre ans. Des modalités particulières de désignation ont été prévues par l’article 1er afin d’en faire de réelles instances représentatives.

D’une part, dix représentants seront désignés par les organisations syndicales de salariés, dont la vocation statutaire revêt un caractère interprofessionnel, proportionnellement à leur audience mesurée dans la région auprès des salariés des entreprises entrant dans le champ de compétence de la commission. D’autre part, dix représentants seront désignés par les organisations professionnelles d’employeurs, dont la vocation statutaire revêt un caractère interprofessionnel, les sièges étant également répartis entre ces organisations proportionnellement à leur audience, à la fois dans le champ professionnel et dans le champ territorial couvert par les commissions.

Toutefois, aucun objectif de parité n’est prévu dans le mode de désignation de ces représentants, alors même que certaines branches d’activité, telles que les services à la personne, sont composées en majeure partie par des femmes.

Dès lors, il apparaît nécessaire d’imposer des règles de désignation respectant cet objectif.

Recommandation n° 7 :

Faire en sorte que les organisations syndicales de salariés et que les organisations professionnelles d’employeurs pourvoient les sièges qui leur sont attribués en respectant la parité entre les femmes et les hommes. Lorsque le nombre de sièges à pourvoir est impair, l’écart entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes ne peut être supérieur à un.

3. Instaurer un objectif de mixité dans la désignation des instances de décision des organisations syndicales et dans celle des organisations professionnelles d’employeurs

Comme on l’a vu précédemment, les femmes sont sous-représentées dans les instances de décision des organisations syndicales et dans celles des organisations patronales.

Il serait donc intéressant de prévoir un objectif de mixité dans ces deux types d’organisation.

Recommandation n° 8 :

Inciter les organisations syndicales et les organisations professionnelles d’employeurs à réfléchir à leurs pratiques afin de faire progresser la mixité et viser la parité dans leurs instances de décision, tant au niveau national qu’au niveau départemental.

4. Instaurer la parité au sein des conseils de prud’hommes

Enfin, un dispositif pourrait être introduit en vue d’améliorer la représentation des femmes dans les instances prud’homales.

Les conseils des prud’hommes sont des juridictions spécialisées de l’ordre judiciaire qui sont compétentes pour régler les différends individuels entre salariés et employeurs. Les litiges collectifs apparus dans le cadre du travail relèvent du tribunal de grande instance, tandis que ceux relatifs aux accidents du travail et aux maladies professionnelles sont tranchés par les juridictions de la sécurité sociale.

La juridiction prud’homale se structure en cinq sections qui ont chacune un domaine de compétence spécifique : encadrement, industries, commerce et services commerciaux, agriculture et activités diverses. Il s’agit d’une instance paritaire, composée non pas par des magistrats professionnels, mais par des employés et des employeurs élus par leurs pairs pour une durée de cinq ans. La loi n° 2014-1528 du 18 décembre 2014 a modifié le mode de renouvellement des conseillers prud’homaux qui seront désormais désignés sur la base des résultats obtenus par les organisations représentatives lors des élections professionnelles.

Au total, on compte 210 instances prud’homales et 14 512 conseillers. Le tableau ci-dessous présente la part des femmes dans les cinq sections lors des élections de 1997, 2002 et 2008. On remarque que la part des femmes ne dépasse jamais 40 %, quelle que soit la section.

PART DES FEMMES DANS LES CONSEILS DE PRUD’HOMMES PAR SECTION (EN %)

Compte tenu de cette situation insatisfaisante, il conviendrait donc d’instaurer la parité dans les instances prud’homales. En tout état de cause, comme cela a été souligné lors de l’examen du présent rapport par la délégation, les femmes sont tout aussi capables que les hommes de veiller à l’application du droit du travail et défendre les intérêts des salariés, et ce y compris s’agissant des métiers majoritairement occupés par des hommes.

Recommandation n° 9 :

Compléter le projet de loi en vue de prévoir la parité femmes-hommes dans les instances prud’homales.

II. LA NÉGOCIATION COLLECTIVE EN ENTREPRISE : RATIONALISER SANS NÉGLIGER L’IMPÉRATIF D’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Il existe aujourd’hui des obligations de négociations multiples au niveau des entreprises qui appellent une rationalisation (A). Le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi comporte des dispositions relatives aux regroupements des consultations et négociations, qui nécessitent des aménagements en matière d’égalité professionnelle (B). La délégation a adopté plusieurs recommandations en ce sens (C).

A. LA SITUATION ACTUELLE : DES OBLIGATIONS DE NÉGOCIATIONS MULTIPLES AU NIVEAU DES ENTREPRISES QUI APPELLENT UNE RATIONALISATION

1. L’obligation annuelle de négocier sur les objectifs d’égalité professionnelle incluse dans les négociations annuelles obligatoires (NAO)

a. Les négociations annuelles obligatoires (articles L. 2242-5 à L. 2242-14 du code du travail)

Les obligations de négocier dans l’entreprise sont nées en 1982 des lois Auroux avec l’objectif d’éviter des conflits collectifs coûteux, en obligeant l’employeur et les représentants syndicaux à se rencontrer périodiquement pour négocier. Le rendez-vous central est celui des salaires effectifs mais progressivement le champ des négociations s’est développé et les thèmes de négociation obligatoires se sont multipliés. Cette évolution est à relier à l’importance croissante donnée par les lois successives à la négociation d’entreprise pour traiter certaines problématiques concernant le quotidien des salariés.

À ce jour, dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur doit, tous les ans, convoquer les délégués syndicaux pour négocier sur :

– les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail, notamment la mise en place du travail à temps partiel ou l’augmentation de la durée du travail à la demande des salariés ; en l’absence d’accord sur les objectifs d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre (voir ci-dessous), la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs porte également sur la définition et la programmation de mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes ; c’est également l’occasion d’examiner l’évolution de la situation de l’emploi dans l’entreprise ;

– les objectifs d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre  ; il convient à cet égard de rappeler qu’une étude de la DARES portant sur les salaires de 2009 dans les entreprises de 10 salariés ou plus du secteur concurrentiel estime à 27 % l’écart de rémunération brute annuelle entre les hommes et les femmes (cf. encadré ci-après).

– les mesures relatives à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés : conditions d’accès à l’emploi, formation et promotion professionnelles, conditions de travail ;

– lorsque les salariés ne sont pas couverts par un accord instituant un dispositif d’épargne salariale, l’employeur est tenu chaque année, d’engager une négociation sur un ou plusieurs de ces dispositifs (intéressement, participation ou plan d’épargne) ; la même obligation incombe aux groupements d’employeurs ;

– lorsque les salariés ne sont pas couverts par un accord de branche ou par un accord d’entreprise définissant les modalités d’un régime de prévoyance maladie, l’employeur est tenu d’engager une négociation sur ce thème.

Il convient à cet égard de rappeler qu’en 2009, le salaire horaire moyen des femmes était inférieur de 14 % à celui des hommes (1). Les écarts de salaires reflètent en partie les disparités de situation professionnelle entre les hommes et les femmes. Afin de neutraliser, au moins pour partie, ces effets de structure, il est courant d’exprimer l’écart salarial sous la forme d’une somme de deux composantes, selon la « méthode de Blinder-Oaxaca » : la première renvoie à l’écart salarial expliqué par des différences de caractéristiques moyennes observables des salariés et des emplois (catégorie socioprofessionnelle, niveau de diplôme des salariés, ancienneté dans l’entreprise…) ; la deuxième correspond à l’écart salarial à caractéristiques observables identiques.

Selon une étude de la DARES publiée en mars 2012 (2), l’écart de salaire horaire entre les hommes et les femmes attribuable à ces différences de caractéristiques moyennes était d’environ 5 points en 2009, soit environ un tiers de l’écart salarial entre les hommes et les femmes (14 %). Il reste donc 9 points d’écart de salaire horaire moyen entre les femmes et les hommes « non expliqués » par les différences de caractéristiques propres aux salariés, aux entreprises ou aux emplois, telles que mesurées dans cette étude, qui soulignait ainsi qu’ « à caractéristiques voisines, les femmes ont un salaire horaire inférieur de 9 points en moyenne à celui des hommes ».

Les écarts de salaires entre les femmes et les hommes

Les écarts de salaires entre les femmes et les hommes traduisent pour partie les inégalités professionnelles. Dans le privé, tous temps de travail confondus, en 2009 la rémunération annuelle des femmes est inférieure de 24 % à celle des hommes (Dares, Analyses, n° 106, mars 2012). En prenant uniquement les salaires des travailleurs à temps complet, le salaire net mensuel moyen d’une femme est dans le secteur privé et semi-public inférieur de 19,3 % à celui d’un homme en 2011. L’écart de salaires s’explique par la part importante de femmes occupant des postes à temps partiel (80 % des emplois), les interruptions de carrière et le fait qu’elles effectuent moins d’heures supplémentaires que les hommes. En outre, les femmes sont moins nombreuses que les hommes aux postes d’encadrement et occupent plus souvent des emplois peu qualifiés et dans des secteurs non mixtes et moins rémunérateurs.

Enfin, 9 % d’écarts de salaires entre femmes et hommes restent inexpliqués. Dans la fonction publique d’État et la fonction publique territoriale, les écarts sont un peu plus faibles (respectivement de 15 % et 10,8 %). C’est dans la fonction publique hospitalière que l’écart est le plus important avec un salaire inférieur en moyenne de 21,9 % à celui des hommes.

Si le principe « à travail de valeur égale, salaire égal » est inscrit dans le code du travail depuis 1972, trop longtemps il est demeuré inappliqué et les sanctions dépourvues de toute effectivité. Le cadre juridique a été modifié par le décret du 18 décembre 2012 qui renforce les exigences et les attentes vis-à-vis des entreprises en augmentant le nombre de thèmes devant être traités par les accords et plans d’action et en rendant obligatoire celui de la rémunération pour enfin s’attaquer à la réduction des écarts de salaires. Une stratégie globale de contrôle a été définie pour que l’inspection du travail puisse effectivement mettre en œuvre tous les outils à sa disposition : lettres d’observation, mises en demeure et, en cas d’absence manifeste de volonté de mise en conformité, l’engagement de la procédure de pénalité. Cette stratégie donne des résultats (voir sur ce point, les chiffres présentés infra).

Source : ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes (« Chiffres clés de l’égalité. Édition 2014 »)

Il convient de noter que l’obligation de négocier ne signifie pas l’obligation de conclure : si la négociation n’aboutit pas, un procès-verbal de désaccord doit être établi et transmis à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).

Dans les entreprises qui emploient au moins 300 salariés, ainsi que dans les entreprises et groupes d’entreprises de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise de 150 salariés en France, l’employeur engage tous les 3 ans une négociation portant sur les thèmes mentionnés à l’article L. 2242-15 du code du travail et notamment sur la gestion prévisionnelle des emplois.

Comme le fait remarquer l’étude d’impact jointe au projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, cet empilement d’obligations peut générer un phénomène de saturation de l’agenda social de l’entreprise peu favorable à un dialogue social de qualité. Le Centre d’analyse stratégique, dans la note d’analyse n° 240 de septembre 2011 relative aux obligations et incitations portant sur la négociation collective, constatait ainsi que « L’un des risques est que ce “mille-feuilles” au lieu de favoriser une culture de la régulation conventionnelle, ne contribue à assimiler la négociation collective (…) à une contrainte administrative ».

b. La négociation en faveur de l’égalité professionnelle (articles L. 2242-5 à L. 2242-7 du code du travail)

● Cadre juridique de la négociation sur l’égalité professionnelle

Depuis 2012, les droits des femmes sont redevenus une priorité politique, avec l’ambition de construire l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, et de nombreuses mesures ont été prises dans ce sens.

La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui est l’illustration de cette volonté, a simplifié le cadre juridique de la négociation sur l’égalité professionnelle et étendu son objet.

Avant l’intervention de cette loi, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes faisait, au niveau de l’entreprise l’objet de deux négociations annuelles, l’une sur l’égalité professionnelle (ancien article L. 2242-5 du code du travail) et l’autre sur l’égalité salariale et la suppression des écarts de rémunération, dans le cadre de la négociation sur les salaires effectifs (ancien article L. 2242-7 du même code). La loi du 4 août 2014 fusionne ces deux négociations en une négociation annuelle unique portant sur les « objectifs d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre ».

La réarticulation entre ces dispositions du code du travail répond à une préconisation formulée dans l’article 4 de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail ainsi formulée : « Les signataires du présent accord souhaitent que les obligations en matière d’égalité professionnelle et d’égalité salariale soient réarticulées entre les articles L. 2242-5 (obligation annuelle de négocier sur les objectifs d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes) et L. 2242-7 (mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes) du code du travail, afin d’améliorer l’efficacité globale du dispositif et sa cohérence, sans en réduire la portée ni remettre en cause le contenu desdites obligations et des textes réglementaires en vigueur ».

En outre, deux nouveaux thèmes de négociation sont introduits : le déroulement des carrières et la mixité des emplois.

La négociation doit être engagée chaque année tant qu’un accord comportant les objectifs et mesures mentionnés ci-dessus n’a pas été conclu dans l’entreprise. Lorsqu’un tel accord est signé dans l’entreprise, l’obligation devient triennale. La mise en œuvre des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes est suivie dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur les salaires effectifs prévue par l’article L. 2242-8 du code du travail.

La loi du 4 août 2014 déjà citée pose le principe de l’interdiction de soumissionner aux marchés publics pour les personnes qui ont fait l’objet depuis moins de 5 ans, d’une condamnation définitive pour le délit de discrimination prévu à l’article L. 225-1 du code pénal, pour violation des dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, prévues par les articles L. 1142-1 et L. 1142-2 du code du travail et pour celles qui, au 31 décembre de l’année précédant celle au cours de laquelle a eu lieu le lancement de la consultation, n’ont pas mis en œuvre l’obligation de négociation prévue à l’article L. 2242-5 du code du travail précité et qui, à la date à laquelle elles soumissionnent n’ont pas réalisé ou engagé la régularisation de leur situation.

● Éléments d’information préalables à l’engagement des négociations sur l’égalité professionnelle

La négociation s’appuie sur le rapport de situation comparée (RSC) des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes complété par les indicateurs contenus dans la base de données économiques et sociales mentionnée à l’article L. 2323-7-2 du code du travail et par toute information qui paraît utile aux négociateurs. Pour les entreprises de moins de 300 salariés, on parle de rapport unique sur la situation économique de l’entreprise (RSE).

Le rapport de situation comparée (RSC) pour les entreprises de plus de 300 salariés a été instaurée par la loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 dite « loi Roudy » et conçu comme un outil décisif de l’égalité professionnelle. Il est établi à partir d’indicateurs qui reposent sur des éléments chiffrés généraux, accompagnés éventuellement d’indicateurs tenant compte de la situation particulière de l’entreprise. Cet outil, élaboré par l’employeur pour les partenaires sociaux, permet donc notamment d’évaluer les différences de situations entre les hommes et les femmes au sein de l’entreprise.

La loi d’août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a complété le RSC en incluant de nouveaux indicateurs concernant la santé et sécurité au travail, et la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes avait, pour sa part, formulé des recommandations à l’occasion de l’examen de ce texte de loi pour enrichir le RSC.

En vertu du droit en vigueur, ces rapports doivent être mis à jour chaque année (actualisation). Lors de l’examen en séance publique par le Sénat du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, en septembre 2013, la ministre des Droits des femmes, Mme Najat Vallaud-Belkacem, avait indiqué que « l’obligation d’actualisation [allait] favoriser l’utilisation dynamique du rapport de situation comparée ».

Le RSC sert ainsi de base à la négociation sur l’égalité professionnelle en présentant un diagnostic partagé.

Le rapport de situation comparée (RSC) 

Le RSC constitue l’outil privilégié de la négociation sur l’égalité professionnelle, celle-ci ne pouvant s’engager que sur la base d’un diagnostic de l’existant, fondé sur des données chiffrées et sexuées permettant d’apprécier, pour chacune des catégories professionnelles, la situation respective des femmes et des hommes en matière de recrutement, de formation, de promotion, de qualification, des conditions de travail*, de rémunération effective et d’articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Le RSC répond donc à trois objectifs : mesurer et identifier les écarts par une lecture croisée des indicateurs ; comprendre et analyser les causes directes et indirectes des écarts, les phénomènes structurels influant sur le déroulement de carrière, et comparer les conditions générales d’emploi ; agir, c’est-à-dire recenser les actions menées au cours de l’année écoulée pour assurer l’égalité professionnelle et déterminer les objectifs pour celle à venir. Les informations à fournir et les indicateurs sont adaptés à la taille des entreprises selon qu’elles comptent plus de 300 ou de 50 à 300 salariés. Un guide pratique de réalisation du RSC a été mis en ligne sur le site du ministère. Pour les PME de 20 à 49 salariés, un diagnostic sexué en matière d’emploi et de conditions de travail leur est systématiquement transmis après examen des informations obligatoirement communiquées, via la déclaration automatisée des données sociales.

* La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 a ajouté « de sécurité et santé au travail ».

Source : « L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » par Jacqueline Laufer, éditions La découverte octobre 2014

● Sanctions

La délégation aux droits des femmes a travaillé en amont, à l’automne 2012, sur le projet de décret, très attendu, qui devait finaliser les sanctions applicables aux entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle. Elle a adopté un rapport d’information dont la rapporteure était Mme Cécile Untermaier et formulé des recommandations (3). Le décret est paru le 19 décembre 2012 et il prévoit notamment d’augmenter le nombre des domaines d’action sur lesquels devront porter les accords ou plans d’action.

Ainsi, à ce jour, les entreprises d’au moins 50 salariés non couvertes par un accord relatif à l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, par un plan d’action intégré au RSC sont soumises à une pénalité financière. Le montant de la pénalité, fixé au maximum à 1 % de la masse salariale est fixé, à l’issue d’une procédure d’échanges contradictoires entre l’entreprise et l’inspection du travail, par la Direccte au regard des efforts constatés de l’entreprise en matière d’égalité salariale et des motifs de son éventuelle défaillance. Son produit est affecté au Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Les entreprises doivent mobiliser les leviers les plus pertinents pour répondre à leurs situations particulières en respectant, sur chacun des domaines d’actions qu’elles auront choisi de traiter plus particulièrement (4 au minimum pour les entreprises de 300 salariés et plus, et 3 au minimum pour les entreprises de moins de 300 salariés, la rémunération effective devant obligatoirement être comprise dans les domaines d’action retenus par l’accord collectif ou, à défaut, le plan d’action), les trois exigences suivantes :

– elles se fixent des objectifs de progression ;

– elles programment des actions permettant de les atteindre ;

– elles se dotent d’indicateurs chiffrés pour suivre ces objectifs et actions.

Ces indicateurs doivent notamment permettre de mesurer la réalisation des objectifs de progression.

Au 15 novembre 2014, 36,5 % des entreprises de plus de 50 salariés, assujetties à cette obligation, ont transmis aux services de l’État leur accord d’entreprise ou leur plan d’action, contre 15,8 % en janvier 2013 et 27,1 % en janvier 2014, témoignant de l’efficacité du décret. Parmi les entreprises de plus de 1 000 salariés, 79,1 % des entreprises sont couvertes, selon les chiffres communiqués par la ministre des Droits des femmes, Mme Marisol Touraine en février 2015.

Cette nouvelle procédure produit ses effets : 1 356 entreprises ont fait l’objet d’une mise en demeure et 45 ont été sanctionnées pour non-respect de leurs obligations. Une majorité d’entreprises mises en demeure ou pénalisées régularisent leur situation en quelques mois.

c. L’expérimentation du regroupement de certains thèmes de négociation dans une négociation unique

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle a permis aux entreprises d’engager une démarche de qualité de vie au travail dont l’ambition est de s’affranchir des approches segmentées de négociation pour « à la fois améliorer la qualité de vie au travail et faire progresser l’égalité professionnelle et la conciliation des temps ». Ainsi, à titre expérimental, un accord conclu entre l’employeur et les organisations syndicales de salariés peut prévoir le regroupement dans une négociation unique dite de qualité de vie au travail de tout ou partie des négociations obligatoires prévues aux articles L. 2242-5 (objectifs d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes), L. 2242-8 à l’exception du 1°) (durée effective et organisation du temps de travail, notamment mise en place du travail à temps partiel ou augmentation de la durée du travail à la demande des salariés, formation, réduction du temps de travail ; la négociation sur les salaires effectifs n’est pas concernée par ce regroupement), L. 2242-11 (prévoyance complémentaire), L. 2242-13 (emploi des travailleurs handicapés), L. 2242-21 (mobilité interne) et L. 4163-2 du code du travail (prévention de la pénibilité), tel qu’il résulte de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014  garantissant l’avenir et la justice du système des retraites (en vigueur sur ce point à compter du 1er janvier 2015).

Cet accord est conclu pour une durée de trois ans. Pendant la durée de son application, l’obligation de négocier annuellement est suspendue pour les négociations qui font l’objet de ce regroupement (objectifs d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, durée du travail, prévoyance complémentaire, emploi des travailleurs handicapés). La validité de l’accord est subordonnée à la signature par les syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles.

Les dispositions mentionnées ci-dessus sont prévues à l’article 33 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale reprenant l’ANI et sont applicables jusqu’au 31 décembre 2015 et, pour les accords conclus avant cette date, jusqu’à expiration de leur durée de validité.

Certains syndicats entendus par la délégation laissaient entendre que cette faculté de regroupement des thèmes de négociation avait été peu utilisée.

2. Éléments statistiques relatifs aux accords d’entreprise sur l’égalité professionnelle

La négociation d’entreprise peut faire l’objet d’une lecture par thème afin d’identifier les thèmes abordés et apprécier leur importance. Le tableau suivant issu de La négociation collective en 2013, publié par le ministère du travail, fait état des principaux thèmes des accords signés par des syndicats en 2013.

Source : ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (« La négociation collective en 2013 », publié en juillet 2014)

Les obligations en matière d’égalité professionnelle entre femmes et hommes instaurées par la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites s’étaient traduites par le dépôt d’un nombre élevé de textes au cours du premier semestre 2012. En dépit d’une date limite de dépôt fixée au 31 décembre 2011, de nombreuses entreprises assujetties aux obligations avaient en effet eu besoin de quelques semaines ou quelques mois supplémentaires pour réaliser les diagnostics requis et mener à bien les procédures de négociation, et avaient ainsi déposé leurs textes en 2012. En 2013, ces entreprises désormais couvertes par des accords collectifs, le plus souvent pour une durée de trois ans, ne sont pas tenues de rouvrir des négociations sur les mêmes thèmes. Les signatures de textes sur l’égalité professionnelle et les conditions de travail diminuent donc nettement (respectivement - 39  % et - 28 %).

B. LE PROJET DE LOI RELATIF AU DIALOGUE SOCIAL : UNE RATIONALISATION DES NÉGOCIATIONS ET DES CONSULTATIONS QUI NÉCESSITE DES AMÉNAGEMENTS EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

1. Le regroupement des négociations obligatoires (article 14)

La feuille de route de la grande conférence sociale qui s’est tenue en juillet 2012 mentionnait dans son préambule comme chantier prioritaire la mise en place d’un groupe de travail sur la rationalisation des diverses négociations obligatoires dans les entreprises.

Les signataires de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail ont également considéré que : « l’empilement des textes, le cloisonnement des thèmes, les obligations de négocier selon des modalités et des échéances qui ne coïncident pas avec la dynamique (temps et contenu) du dialogue social dans les branches et les entreprises n’ont pas forcément permis aux négociateurs de s’approprier pleinement ces questions. »

Dans le prolongement de l’ANI de juin 2013 et de son inscription dans la loi du 5 mars 2014, l’article 14 du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi procède à un regroupement des négociations annuelles obligatoires en trois blocs.

Le premier bloc porte sur la rémunération, le temps du travail et le partage de la valeur ajoutée. Elle comprend les thèmes des salaires effectifs, de la durée effective et de l’organisation du travail, notamment la mise en place du travail à temps partiel et la réduction du temps de travail, de l’intéressement, de la participation et de l’épargne salariale.

Le deuxième bloc porte sur la qualité de vie au travail. Il pérennise l’expérimentation introduite par la loi du 5 mars 2014 et regroupe les thèmes de l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de l’insertion professionnelle et du maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, de la lutte contre les discriminations et de l’exercice du droit d’expression directe et collective des salariés. Il inclut la définition d'un régime de prévoyance et d'un régime de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, à défaut de couverture par un accord de branche ou un accord d’entreprise.

Le dernier bloc porte sur la gestion des emplois et des parcours professionnels et reprend les thèmes (y compris les regroupements déjà possibles) des obligations de négocier existantes en matière de gestion des emplois et de prévention des conséquences des mutations économiques. Ce regroupement en trois blocs est synthétisé ci-dessous.

Source : ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (dossier de presse sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, 22 avril 2015)

La négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes figure donc désormais dans le bloc de la qualité de vie au travail et en conséquence les articles du code du travail sont déplacés et renumérotés pour tenir compte de cette importante modification.

Si l’objectif général de la simplification et de la rationalisation des différentes obligations de négociation fait assez largement consensus, certains et notamment les associations féministes craignent que la négociation sur l’égalité professionnelle ne se dilue dans un ensemble plus vaste et ne perde en lisibilité.

Selon d’autres analyses en revanche, et notamment des représentants d’organisations patronales entendus par la délégation, le regroupement ne signifie pas la disparition de cette négociation sur l’égalité professionnelle qui fait désormais partie intégrante du bloc sur la qualité de vie au travail. Ainsi, le ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, M. François Rebsamen, a souligné en Commission des affaires sociales le 6 mai 2015, que « le projet de loi ne remet pas (…) en cause l’obligation de négociation en matière d’égalité professionnelle ou, à défaut, l’obligation faite à l’employeur d’établir un plan d’action unilatéral, obligations assorties d’une pénalité équivalant à 1 % des rémunérations (…) ».

Pour plus de lisibilité, cette négociation pourrait être renommée « Qualité de vie au travail et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ».

Par ailleurs, et pour garder à la négociation sur l’égalité professionnelle son caractère transversal, la question de la mise en œuvre des mesures visant la suppression des écarts de rémunération qui figure dans la négociation QVT (qualité de vie au travail) « nouvelle » pourrait utilement être réintroduite dans le premier bloc de négociation qui porte justement sur la question de la rémunération et des salaires effectifs. Parallèlement, et toujours dans un souci de transversalité, la question de la mixité des métiers et de la gestion des emplois et des parcours professionnels pourrait être introduite dans le troisième bloc de négociation qui porte sur la gestion des emplois et des parcours professionnels.

Concernant l’importante question de la pénalité financière, le ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue, M. François Rebsamen, a assuré que le regroupement des négociations qui repose sur un impératif de rationalisation, ne remet nullement en cause le dispositif actuel prévoyant des pénalités financières en cas d’absence de négociations sur l’égalité professionnelle. Simplement, l’article du code du travail relatif à ces sanctions est renuméroté : le L. 2242-5-1 devient le L. 2242-9. Néanmoins, on ne peut exclure un risque de fragilisation de la base juridique de la pénalité lié à l’imprécision de la rédaction du projet de loi. Ainsi on peut imaginer qu’une entreprise qui n’aurait traité qu’un seul des items de la négociation sur l’égalité professionnelle vienne contester la sanction appliquée.

Si le principe des sanctions reste affirmé au nouvel article L. 2242-9, sa rédaction peu lisible peut sembler ne plus établir aussi clairement le lien entre sanction et absence d’accord collectif ou plan d’action. La rédaction de cet article pourrait donc être clarifiée.

2. L’adaptation des règles de négociation par voie d’accord (article 14)

L’article 14 du projet de loi prévoit la possibilité, par accord majoritaire au niveau de l’entreprise :

– d’une part, de modifier la périodicité de chacune des négociations pour tout ou partie des thèmes, dans la limite de trois ans pour les négociations annuelles et de cinq ans lorsque la négociation est triennale ;

– d’autre part, d’adapter le nombre de négociations au sein de l’entreprise ou de prévoir un regroupement différent des thèmes de négociations, à condition dans l’un comme l’autre cas de ne supprimer aucun des thèmes imposés par la loi.

L’article 14 du projet de loi prévoit que lorsque la périodicité de la négociation sur les salaires effectifs a été modifiée par accord majoritaire, une organisation qui en est signataire peut, pendant toute la durée de l’accord, formuler la demande que cette négociation soit engagée. L’employeur est tenu d’y faire droit. Ce traitement spécifique s’explique par le rôle central de la négociation sur les salaires.

Pour votre rapporteure, le fait de pouvoir modifier la périodicité de la négociation sur l’égalité professionnelle par voie d’accord d’entreprise en la portant éventuellement à trois ans n’est pas souhaitable et ne peut être envisagé que pour les entreprises ayant effectivement signé un accord et sous réserve que le suivi de leur mise en œuvre des mesures reste annuel.

3. Le regroupement des consultations annuelles obligatoires (article 13)

Les obligations d’information et de consultation du comité d’entreprise prévues par le code du travail sont nombreuses. Outre les diverses obligations d’information et de consultation ponctuelles liées à des évènements particuliers (comme par exemple un projet de restructuration), il existe 17 obligations d’information et de consultation récurrentes annuelles du comité d’entreprise couvrant tout le spectre des attributions économiques du comité d’entreprise. Ces obligations variées sont le résultat d’une sédimentation successive au fil du temps et obéissent à des périodicités et parfois à des règles différentes. Cet émiettement contribue au manque de lisibilité du dispositif.

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, reprenant les stipulations de l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 a introduit des avancées importantes avec l’objectif de renforcer le rôle du comité d’entreprise. Ainsi, la loi prévoit une obligation de consultation annuelle obligatoire sur les orientations stratégiques de l’entreprise et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires.

La loi du 14 juin 2013 a également introduit l’obligation de mettre en place une base de données économique et sociale accessible à l’ensemble des représentants du personnel et qui sert de support à la consultation sur les orientations stratégiques (article L. 2323-7-2 du code du travail). Cette base de données structurée autour de grandes rubriques prévues par la loi contient l’ensemble des informations récurrentes mises à disposition du comité d’entreprise. La circulaire DGT/1 du 18 mars 2014 relative à la base de données économiques et sociales et aux délais de consultation du comité d’entreprise précise notamment le contenu et les informations attendues dans la base de données : y figurent bien le rapport sur la situation économique de l’entreprise (article L. 2323-47 du code du travail) et le rapport sur la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes (articles L. 2323-57 et L. 2323-58). Néanmoins, comme les articles L. 2323-47 et L. 2323-57, qui précisaient le contenu des RSE et RSC, sont supprimés par le projet de loi, il apparaît souhaitable de réaffirmer que la BDU inclut bien l’ensemble des informations qui figuraient antérieurement dans les rapports remis au comité d’entreprise.

Dans un souci de rationalisation et de façon analogue à ce qui a été fait pour les négociations obligatoires, le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi procède, à l’article 13, à une refonte de l’ensemble des obligations d’information et de consultation récurrentes du comité d’entreprise au sein de trois consultations annuelles :

– la consultation sur les orientations stratégiques et ses conséquences ;

– la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise ;

– la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. Cette dernière inclut la consultation sur le thème de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

L’employeur est libre de définir l’ordre de ces consultations.

Le projet de loi précise les informations que l’employeur doit mettre à disposition du comité d’entreprise notamment en vue de la consultation sur la situation économique et en vue de la consultation sur la politique sociale. Concernant cette dernière, le projet de loi prévoit que l’employeur mette à disposition du comité d’entreprise « des informations et des indicateurs chiffrés sur la situation comparée des femmes et des hommes au sein de l’entreprise, comportant notamment le plan d’action qu’il établit pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et qu’il dépose auprès de l’administration ». Compte tenu du caractère assez vague de ces indicateurs chiffrés transmis au comité d’entreprise, il conviendrait de préciser que les informations contenues dans la base de données unique comprendront des éléments de diagnostic et d’analyse, notamment sur le plan qualitatif, permettant d’en faciliter la lecture, comme c’était le cas dans le rapport de situation comparée.

Par ailleurs, le projet de loi introduit la possibilité d’adapter par accord d’entreprise :

– les modalités des consultations récurrentes du comité d’entreprise ;

– la liste et le contenu des informations récurrentes à l’exception de certains documents comptables dont le comité d’entreprise doit impérativement être destinataire ;

– le nombre de réunions annuelles du comité qui ne peut être inférieur à six ;

– les délais dans lesquels les avis du comité d’entreprise sont rendus.

Enfin, le projet de loi prévoit que les projets d’accords collectifs, leur révision ou leur dénonciation ne sont plus soumis à l’avis du comité d’entreprise.

4. Des inquiétudes concernant la disparition des outils de diagnostic en matière d’égalité professionnelle

Le souci de rationaliser et simplifier le maquis des négociations professionnelles a ainsi conduit à leur regroupement. Cependant, le projet de loi, dans son article 14, modifie également l’article L. 2242-2 du code du travail, dont il supprime les deux dernières phrases. Ces deux dernières phrases sont précisément celles qui avaient été introduites par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, et qui se réfèrent à une analyse de la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise, sur la base du RSC et du RSE (articles L. 2323-47 et L. 2323-57 du code du travail). En outre, le nouvel article L. 2242-8 du code du travail sur la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail qui reprend l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle ne précise nullement que la négociation doit s’appuyer sur des données chiffrées ou un diagnostic préalable en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. En conséquence, il n’y a pas non plus de lien directement et formellement établi entre le diagnostic et la procédure de négociation. La rapporteure propose d’amender cet article pour rétablir ce lien explicite.

L’analyse de l’article 13 du projet de loi peut également susciter des interrogations. En effet, comme évoqué plus haut, le nouvel article L. 2323-7 du code du travail ouvre la possibilité de déterminer par accord d’entreprise la liste et le contenu des informations récurrentes prévues aux sous-sections 3, 4 et 6 du code du travail, la section 6 incluant les articles relatifs aux RSC et RSE. La liste et le contenu des informations en matière de consultation sur l’égalité professionnelle seront donc susceptibles de varier d’une entreprise à l’autre, le diagnostic sur la situation des femmes et des hommes devenant modulable, ainsi que le fait remarquer l’avis du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et hommes (cf. l’avis du CSEP en annexe n° 2 du présent rapport). Il convient de revenir sur cette possibilité ouverte aux entreprises, le contenu des informations sur les inégalités entre les femmes et les hommes doit rester identique et obligatoire pour toutes les entreprises.

En outre, les articles L. 2323-47 et L. 2323-57 font l’objet d’une réécriture par le projet de loi, et ne concernent plus désormais le RSE et le RSC ; les notions de RSC et de RSE ne seraient en conséquence plus utilisées dans le code du travail.

Alors que ces outils de diagnostic commençaient à entrer dans les mœurs après des difficultés d’appropriation, et compte tenu par ailleurs de l’attachement à ces dispositifs issus de la « loi Roudy » de 1983, la suppression des dispositions relatives au RSC et au RSE a suscité une vive émotion parmi les associations féministes.

Il convient néanmoins de rappeler que l’article 13 du projet de loi (article L. 2323-17 du code du travail) prévoit qu’en vue de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, l’employeur met notamment à la disposition du comité d’entreprise «  des informations et des indicateurs chiffrés sur la situation comparée des femmes et des hommes au sein de l’entreprise, comportant notamment le plan d’action qu’il établit pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et qu’il dépose auprès de l’administration ». Par ailleurs, l’article L. 2323-19 prévoit qu’un « décret en Conseil d’État précise le contenu des informations prévues dans le présent paragraphe, qui peut varier selon que l’entreprise compte plus ou moins de trois cents salariés. Il détermine également les modalités de la mise à disposition des salariés et de toute personne qui demande ces informations, d’une synthèse du plan d’action mentionné au 2° de l’article L. 2323-17. »

Comme l’a justement remarqué le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (cf. avis du CSEP en annexe n° 2 du présent rapport), le contenu des informations sur lesquels le comité d’entreprise doit être consulté est renvoyé au décret (plus d’encadrement législatif). Il convient à cet égard de rappeler que la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes avait complété le contenu du RSC (cf. supra).

Sur ce point, M. François Rebsamen, ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des Droits des femmes, ont réaffirmé l’engagement du Gouvernement en faveur des droits des femmes, dans un communiqué conjoint, le 11 mai 2015, qui soulignait notamment que :

« La transmission de toutes les informations qui existent aujourd’hui dans le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes (RSC) remis au comité d’entreprise demeurera obligatoire. Elles doivent être intégrées à la base de données unique, disponible en permanence, comme l’ont souhaité les partenaires sociaux qui sont à l’origine de cette base de données unique. Il n’y a donc aucune perte d’information par rapport à la situation actuelle. Pour répondre aux inquiétudes qui se sont exprimées, le gouvernement en lien avec les parlementaires proposera un amendement précisant que la base de données unique comprendra obligatoirement une rubrique spécifique à l’analyse de situation comparée des femmes et des hommes. Le contenu du RSC tel qu’il est défini par la loi du 4 août 2014 et donc toutes les données du RSC seront intégralement mentionnées dans la loi. »

Par ailleurs, l’article L. 2325-34 du code du travail prévoit actuellement que, dans les entreprises d’au moins deux cents salariés, une commission de l’égalité professionnelle est créée au sein du comité d’entreprise. Le projet de loi fait passer ce seuil à trois cents salariés. Cette commission est chargée notamment de préparer les délibérations du comité d’entreprise prévues à l’article L. 2323-57. Celui-ci ne portant plus sur l’égalité professionnelle, il faudrait réécrire l’article L. 2325-34. De même, l’article L. 1143-1 où figure une référence à l’article L. 2323-57 qui ne porte plus sur le RSC n’apparaît plus cohérent.

C. LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

Concernant les articles 13 et 14 du projet de loi, la rapporteure formule plusieurs recommandations en vue d’améliorer ce texte et lever certaines ambiguïtés, pour ce qui concerne la négociation collective sur l’égalité professionnelle.

Recommandation n° 10 :

Modifier le titre de la négociation sur la qualité de vie au travail pour la renommer : « Qualité de vie au travail et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ».

Recommandation n° 11 :

Clarifier la rédaction de l’article L. 2242-9 (nouveau) du code du travail relatif à la pénalité financière concernant l’application de celle-ci aux entreprises qui n’ont pas conclu d’accord collectif sur l’égalité professionnelle, ou à défaut de plan d’action, pour plus de lisibilité.

Recommandation n° 12 :

Préciser dans la loi que la base de données unique reprend l’intégralité des informations tant quantitatives que qualitatives figurant antérieurement dans le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes (RSC) et le rapport sur la situation économique de l’entreprise (RSE).

Intégrer la dimension de l’égalité professionnelle dans chacun des trois blocs de négociation :

Recommandation n° 13 :

Rétablir explicitement le lien entre les outils de diagnostic sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise et la négociation sur l’égalité professionnelle.

Recommandation n° 14 :

Ne pas permettre le caractère facultatif de la transmission des informations récurrentes au comité d’entreprise sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise.

Recommandation n° 15 :

Réintroduire la question du suivi de la mise en œuvre des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans la négociation annuelle sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise.

Recommandation n° 16 :

Concernant le champ de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, prévoir l’intégration de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la mixité des métiers, afin de souligner la transversalité du thème de l’égalité professionnelle.

Recommandation n° 17 :

Préserver le caractère annuel de la négociation sur les rémunérations tant que les entreprises n’ont pas signé un accord collectif sur l’égalité professionnelle.

III. LA CRÉATION D’UNE PRIME D’ACTIVITÉ EN DIRECTION DES TRAVAILLEUR-SE-S MODESTES : UNE RÉFORME IMPORTANTE, EN PARTICULIER POUR LES FEMMES

Le titre IV du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi prévoit la création d’une prime d’activité, qui remplacera la prime pour l’emploi (PPE) et la composante activité du revenu de solidarité active (« RSA activité »), afin de corriger leurs défauts et d’encourager l’activité, en soutenant le pouvoir d’achat des actives et des actifs ayant des revenus modestes, de façon simple et lisible. Cette réforme, importante et attendue, concerne les femmes à plusieurs titres :

– d’une part, parce qu’elles représentent une part importante des travailleurs pauvres, mais aussi au regard des interrogations suscitées par les deux dispositifs actuels (PPE et RSA activité) quant à leur impact sur l’activité des femmes (A) ;

– d’autre part, en raison de certaines caractéristiques de la prime d’activité prévue par l’article 24 du projet de loi, avec en particulier un bonus individualisé qui permettra de favoriser davantage la bi-activité au sein des couples (B) ;

– enfin, les modalités d’application de la réforme, en particulier le barème et les ressources prises en compte, méritent une attention particulière au regard de la situation des femmes en situation de précarité, en particulier celles travaillant à temps très partiel ainsi que les mères séparées de leur conjoint, qui ne perçoivent pas toujours la pension alimentaire. Par ailleurs, des mesures d’accompagnement doivent être prévues afin notamment de réduire le non-recours (C).

A. UNE RÉFORME NÉCESSAIRE DES DISPOSITIFS DE SOUTIEN AUX PERSONNES ACTIVES DISPOSANT DE REVENUS MODESTES

Si l’étude d’impact du projet de loi, s’agissant de la prime d’activité, ne comporte que quelques paragraphes succincts concernant les femmes – avec, par exemple, l’absence de toute donnée sexuée concernant les actifs disposant de revenus modestes ou encore les bénéficiaires de la PPE et du RSA activité –la rapporteure rappelle tout d’abord que les femmes représentent une part importante des travailleurs pauvres (1). Par ailleurs, si la PPE et le RSA activité présentent plusieurs limites aujourd’hui bien connues, ils ont également suscité des interrogations sous l’angle de l’égalité femmes-hommes, dans la mesure où ils pourraient avoir incité à la mono-activité au sein des couples (2).

1. Une part importante de femmes parmi les travailleur-se-s modestes

a. Des situations de précarité plus fréquentes, en particulier pour les mères seules, et près de 70 % de femmes parmi les travailleurs pauvres

En 2012, 8,5 millions de personnes vivaient en France sous le seuil de pauvreté – fixé par convention à 60 % du niveau de vie médian, soit 987 euros par mois – avec des différences significatives selon le sexe et la composition des ménages. En effet, les femmes sont plus fréquemment pauvres que les hommes (14,3 % contre 13,4 % en 2012), et à tous les âges de la vie, selon un rapport récent de l’INSEE, avec notamment un écart de plus 2,5 points concernant les femmes âgées de 30 à 49 ans, dont une partie sont pourtant en emploi.

TAUX DE PAUVRETÉ MONÉTAIRE* SELON LE SEXE ET L’ÂGE EN 2012

 

Femmes

Hommes

Moins de 18 ans

19,4 %

19,8 %

De 18 à 29 ans

20,5 %

18,7 %

De 30 à 49 ans

13,8 %

11,2 %

De 50 à 59 ans

11,9 %

10,6%

De 60 à 74 ans

7,4 %

7,5 %

Plus de 75 ans

11,0  %

7,7 %

Ensemble

14,3%

13,4 %

Personnes pauvres (en milliers)

4 540

3 999

* Taux de pauvreté monétaire par rapport à un seuil à 60 % du niveau de vie médian (soit 987 euros par mois en 2012).

N.B. : Le taux de pauvreté monétaire correspond à la proportion d’individus ou de ménages dont le niveau de vie est inférieur à un seuil, dénommé seuil de pauvreté, exprimé en euros et qui est déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population. On privilégie en Europe le seuil de 60 % du niveau de vie médian.

Source : Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), « France, portrait social », novembre 2014

Ceci tient en particulier à la situation des familles monoparentales, dont environ 85 % sont des mères seules avec enfant(s), et qui sont particulièrement touchées par la pauvreté, comme l’a souligné M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales lors de son audition par la délégation (4). En effet, « lorsqu’un couple se sépare, les enfants restent généralement avec leur mère, laquelle occupe souvent un emploi plus précaire que le père », et par ailleurs, lorsque la conjoncture économique se dégrade, « les emplois précaires sont les premiers à être supprimés ». Ainsi, environ un tiers des personnes vivant au sein d’une famille monoparentales sont pauvres, soit une proportion 2,4 fois plus élevée que dans l’ensemble de la population.

TAUX DE PAUVRETÉ PAR TYPE DE MÉNAGE ENTRE 2009 ET 2012

Source : INSEE (novembre 2014)

Alors que leur taux de pauvreté avait augmenté sensiblement entre 2005 et 2012 (de 29,7 % à 33,6 %), la rapporteure salue les mesures prises par le gouvernement en direction des familles monoparentales, avec en particulier la mise en place d’une garantie contre les impayés de pension alimentaire (GIPA), prévue par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, ainsi que la revalorisation de l’allocation de soutien familial (ASF). En effet, comme l’a rappelé la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Mme Ségolène Neuville, lors de son audition par la délégation (5), « l’ASF, destinée aux familles monoparentales, a été augmentée de 5 % en 2014 et en 2015, ce qui représente un montant de 5 euros par mois et de 60 euros par an. Cela concerne 730 000 familles ». Certaines d’entre elles ont également pu bénéficier de la revalorisation du complément familial pour les familles nombreuses (6).

Concernant plus particulièrement la pauvreté économique, identifiée par un revenu individuel d’activité inférieur au seuil de pauvreté, un peu plus de 3,7 millions de personnes étaient concernés en 2008, mais près de 70 % des travailleurs pauvres sont des femmes, selon un rapport récent du Conseil économique, social et environnemental (CESE), s’appuyant sur une étude publiée en 2009 (7) : elles sont ainsi bien plus exposées à la pauvreté économique que les hommes (22 % d’entre elles, contre 9 %).

TAUX DE PAUVRETÉ ÉCONOMIQUE SELON LE SEXE

 

Femmes

Hommes

Ensemble

Effectifs (millions)

2,58 millions

1,173 million

3,75 millions

Incidence (%)

21,9 %

8,9 %

31,3 %

Composition (%)

68,7 %

21,9 %

100 %

Sources : « Les travailleurs pauvres », Sophie Ponthieux, Emilie Raynaud (INSEE), travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2007-2008, et rapport précité du CESE sur les femmes et la précarité (mars 2013)

Il conviendrait toutefois d’actualiser ces estimations, compte tenu notamment de l’évolution de la conjoncture économique depuis 2008, et pour pouvoir mieux appréhender l’impact de la réforme importante des dispositifs de soutien aux travailleur-se-s modestes proposée par le présent projet de loi.

b. Une situation qui tient notamment à la fréquence des temps partiels mais aussi aux types d’emplois : l’enjeu central de la mixité des métiers

Les femmes sont proportionnellement plus nombreuses dans les emplois instables et elles alternent souvent ceux-ci et périodes de chômage, comme l’a souligné le rapport précité du CESE. Les frontières entre activité et inactivité, emploi et sous-emploi sont floues, notamment pour les jeunes et les moins qualifiées d’entre elles. Elles sont plus fréquemment que les hommes recrutées sur un contrat à durée déterminée (CDD).

De plus, les faibles qualifications et l’emploi discontinu vont de pair avec les interruptions d’activité plus fréquentes lors de la naissance des enfants. Pour nombre de femmes, il en résulte une précarité plus grande et qui prend la forme d’instabilité et de discontinuité de l’insertion sur le marché du travail – c’est la définition traditionnelle de la précarité – mais aussi de plus en plus de stabilité dans le sous-emploi, avec des temps partiels contraints et des emplois non qualifiés.

● Des temps partiels bien plus fréquents pour les femmes

En 2013, 18,4 % des personnes en emploi étaient à temps partiel, mais l’écart entre les hommes et les femmes reste très élevé : ainsi, 7,2 % des hommes en emploi sont à temps partiel, contre 30,6 % des femmes. Or, comme l’indique l’étude d’impact du projet de loi, environ 30 % des temps partiels sont involontaires.

ÉVOLUTION DE LA PROPORTION DE FEMMES ET D’HOMMES À TEMPS PARTIEL

Source : INSEE (novembre 2014)

En effet, environ 1,7 million de personnes en 2013 travaillaient moins qu’elles ne l’auraient souhaité (1,54 million de personnes occupant un emploi à temps partiel souhaitant travailler davantage et se déclarant disponibles pour le  faire, auxquelles s’ajoutent les personnes ayant un emploi mais traversant une période de chômage technique ou partiel), et le sous-emploi est massivement féminin. Leur taux de sous-emploi est ainsi près de trois plus élevé que celui des hommes (9,7 % contre 3,5 %) et, plus souvent à temps partiel, les femmes représentaient près de 72 % des personnes en sous-emploi en 2013.

SOUS-EMPLOI SELON LE SEXE ET LA CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE EN 2013

Effectifs en sous-emploi (en milliers)

Taux de sous-emploi dans l’emploi total

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Ensemble

Ensemble, dont :

1 203

476

9,7%

3,5 %

6,5 %

Employé

755

103

13,5%

6 %

11,7 %

Ouvrier

140

176

13,8 %

4,1 %

5,9 %

           

     

 

Lecture : en moyenne en 2013, 1,2 million de femmes connaissant une situation de sous-emploi, ce qui représente 9,8 % de l’emploi total féminin. Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes en emploi 15 ans ou plus.

Source : INSEE (enquête emploi, INSEE résultats n° 161, octobre 2014)

● Une proportion importante de femmes parmi les bas salaires, en lien avec la segmentation sexuée du marché du travail

On estime à environ deux tiers la proportion de femmes parmi les salariés à bas salaires (8). Ceci ne tient pas seulement à la moindre quotité de travail (temps partiel) mais aussi aux plus faibles niveaux de rémunération horaire pour les emplois peu ou pas qualifiés et dans les secteurs d’activité très féminisés. En particulier, les femmes sont bien plus nombreuses dans les métiers du secteur social et des aides à la personne (métiers du care). Par ailleurs, les femmes sont près de deux fois plus souvent sur des métiers non qualifiés (dans 27 % des cas, il s’agit de postes d’employées ou d’ouvrières, contre 14 % pour les hommes).

En tout état de cause, le salaire net moyen des femmes en équivalent temps plein, c’est-à-dire à temps de travail équivalent, était inférieur de 20 % à celui des hommes dans le secteur privé en 2009. Or, indépendamment de facteurs explicatifs parmi lesquels le temps de travail ou une structure de qualifications différente, environ 9 % des écarts de salaires entre les femmes et les hommes restent inexpliqués (9), d’où l’importance de la négociation collective sur l’égalité professionnelle et des plans d’actions élaborés sur la base d’un diagnostic sur la situation comparée des femmes et des hommes en entreprise (cf. supra).

Ainsi, comme l’a souligné Mme Ségolène Neuville lors de son audition, les femmes sont « nombreuses à vouloir travailler davantage » et « un grand nombre de femmes à temps partiel travaillent dans le secteur de l’aide à domicile, auprès des personnes âgées et des personnes handicapées, et elles cumulent de faibles rémunérations, des temps de déplacement importants, des horaires décalés et des temps d’inactivité contraints ». En effet, comme l’illustre le tableau ci-après sur les vingt métiers contribuant le plus à la « ségrégation professionnelle », les métiers sont encore répartis inégalement selon le sexe, avec par exemple près de 98 % de femmes parmi les aides à domiciles et aides ménagères.

On observe ainsi la permanence d’un traitement différencié et inégalitaire des femmes et des hommes sur le marché du travail, s’agissant non seulement des écarts de rémunération et d’un accès plus difficile aux postes à responsabilité (« plafond de verre »), mais aussi de la nature de même des emplois exercés (« parois de verre »), et c’est précisément pourquoi la mixité des métiers constitue un enjeu central pour construire l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

La rapporteure salue à cet égard les actions volontaristes engagées par le gouvernement et qui doivent être poursuivies, concernant la formation initiale et l’orientation, les déroulements de carrières et les possibilités d’accès à la formation professionnelle mais aussi les stéréotypes de genre. Les représentants de la CGPME et de l’UPA entendus par la délégation ont d’ailleurs souligné clairement la nécessité d’agir en amont pour mieux orienter les jeunes filles vers des métiers traditionnellement considérés comme « masculins », en développant notamment la mixité dans l’apprentissage et en luttant contre les stéréotypes.

Enfin, comme la délégation a déjà eu l’occasion de le souligner, l’inégal partage des responsabilités familiales et des tâches domestiques, avec notamment des interruptions de carrière qui restent bien plus fréquentes à la naissance des enfants, contribue également à renforcer ces inégalités sur le marché du travail, d’où l’importance des mesures prises depuis 2012 pour faciliter l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle et améliorer la qualité de vie au travail, en particulier à travers un plan ambitieux de développement de l’offre de garde et une réforme du congé parental, pour qu’il soit moins long et mieux partagé.

LES 20 MÉTIERS CONTRIBUANT LE PLUS À L’INDICE DE SÉGRÉGATION PROFESSIONNELLE EN 2011

Source : DARES (« La répartition des femmes et des hommes par métiers », décembre 2013)

2. Des dispositifs de soutien aux travailleur-se-s modestes présentant plusieurs limites, y compris au regard de l’emploi des femmes

Le constat est connu : la PPE et le RSA activité, qui poursuivent des objectifs proches, présentent des limites fortes qui nécessitent une réforme, comme l’a souligné le rapport remis en juillet 2013 par M. Christophe Sirugue (10), parlementaire en mission auprès du Premier ministre, et par ailleurs vice-président de la délégation aux droits des femmes. En particulier, leur contribution à la réduction de la pauvreté a été limitée par le faible taux de recours au RSA activité et, concernant la PPE, par un effet de saupoudrage (6 millions de foyers concernés pour un montant moyen versé de 36 euros), un faible impact redistributif vers les foyers modestes, mais aussi un décalage dans le temps du versement de la prime.

SYNTHÈSE DES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DE LA PPE ET DU RSA ACTIVITÉ

 

Prime pour l’emploi (PPE)

RSA activité

Année de création

2001

2008

Nature du dispositif

Crédit d’impôt

Aide sociale différentielle

Objectifs
(selon les textes)

« Inciter au retour à l’emploi ou au maintien de l’activité »

« Lutter contre la pauvreté au travail et inciter au retour à l’emploi en complétant les revenus d’activité »

Nombre de bénéficiaires (foyers)

6, 3 millions de foyers fiscaux

0,7 million de foyers « RSA »

Montant

36 euros

176 euros pour le RSA activité seul

environ 160 euros pour la partie activité des bénéficiaires du RSA socle et activité

Périodicité de versement

Annuelle (versement en année n+1)

Mensuelle

Démarche et guichet de versement

Demande par la déclaration annuelle de revenus (DGFIP)

Déclarative et actualisation trimestrielle (CAF et MSA)

Taux de recours

Environ 95 %

32 %

Source : rapport précité de Christophe Sirugue, député et parlementaire en mission (juillet 2013)

Au demeurant, l’existence même de deux dispositifs distincts est source de dispersion des moyens et de complexité, avec un système finalement peu lisible pour les actifs potentiellement concernés. Sans revenir ici sur l’ensemble des avantages et inconvénients de chaque dispositif, il convient d’examiner les données sexuées disponibles et l’impact éventuel sur l’activité des femmes de la PPE (a) et du RSA activité (b), en vue de mieux appréhender les enjeux de la nouvelle prime d’activité en termes d’égalité.

a. La prime pour l’emploi (PPE) et les femmes

Crédit d’impôt (11), la PPE a été créée en 2001 par le gouvernement de Lionel Jospin afin d’augmenter le revenu du travail après impôt des personnes qui tirent des revenus faibles de leur activité, en incitant au retour ou maintien dans l’emploi.

● Les femmes bénéficiaires de la PPE

En 2012, le nombre de foyers fiscaux bénéficiaires de la PPE, qui était de près de 9 millions en 2007, ne s’élevait plus qu’à 6,3 millions (soit une baisse d’environ 30 %), suite au gel du barème de la prime à la création du RSA (le point de sortie ayant ainsi diminué progressivement jusqu’à moins de 1,3 SMIC en 2014, contre 1,4 SMIC à sa création). Corrélativement, les dépenses publiques consacrées à ce dispositif ont baissé significativement (baisse de 50 % entre 2007 et 2014) et représentaient environ 2,2 milliards d’euros en 2014.

Dans le cadre des travaux menés par la délégation en 2014 sur les femmes et la fiscalité, et compte tenu de l’absence de données sexuées sur les bénéficiaires de la PPE (qui est versée aux foyers fiscaux), la présidente Catherine Coutelle avait sollicité le ministère des Finances et des comptes publics, en vue de la réalisation de simulations de l’impact de différentes voies de réformes du quotient conjugal mais aussi d’estimations concernant les femmes bénéficiaires de la PPE. Des éléments de réponse à ce questionnaire ont été communiqués par le ministre, M. Michel Sapin, par courrier en date du 24 avril 2014, mais n’avaient pu être publiés dans le rapport d’information de la délégation sur les femmes et la fiscalité, ayant été transmis postérieurement à la publication de celui-ci. Pour ce qui concerne la PPE, les estimations ainsi réalisées par le ministère à la demande de la délégation sont présentées dans le tableau ci-après.

FEMMES ET BÉNÉFICIAIRES DE LA PPE : LES ESTIMATIONS TRANSMISES À LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES PAR LE MINISTÈRE DES FINANCES EN 2014

Bénéficiaires de la PPE avant imputation du RSA

Revenus 2011

Revenus 2012

Nombre de couples mono-actifs

52 %

53 %

dont majoration mono-actifs Vous

34 

34 %

dont majoration mono-actif Conjoint

18 %

19 %

Nombre de couples bi-actifs

48 %

47 %

Nombre de femmes bénéficiaires (millions)

3,4

3,3

Nombre d’hommes bénéficiaires (millions)

3,2

3

Nombre de femmes mariées/pacsées (millions)

1,3

1,3

Nombre d’hommes mariés/pacsés (millions)

1,4

1,3

Nombre de femmes à temps partiel (millions)

1,5

1,8

Nombre d’hommes à temps partiel (millions)

0,8

1

N.B. : L’estimation de la part des couples bi-actifs, des couples mono-actifs, des femmes et des femmes mariées/pacsées a nécessité de poser des conventions de calcul, faute de connaître le sexe de chaque personne composant les foyers fiscaux. Ainsi : sont considérés couples mono-actifs, les couples pour lesquels le foyer bénéficie de la majoration de PPE ; sont considérés couples bi-actifs, les couples dont le revenu de chacun des deux conjoints est supérieur à 3 743 € pour lesquels le foyer bénéficie d’une PPE avant imputation du RSA ; sur le nombre de femmes bénéficiaires : seul est déclaré le sexe des déclarants célibataires, divorcés ou veufs. Le ministère a également précisé que « dans ces conditions, il est considéré que pour les couples, le déclarant est de sexe masculin et le conjoint de sexe féminin. Le sexe des personnes à charge n’étant pas déclaré, les personnes à charge de sexe féminin et bénéficiaires de la PPE n’ont pu être prises en compte dans le dénombrement. »

Source : réponse du ministère des finances et des comptes publics (avril 2014, échantillons de revenus 2011 et 2012)

Si ces estimations doivent être interprétées avec prudence, compte tenu des conventions de calcul retenues, et mériteraient quelques éclaircissements concernant notamment les couples mono-actifs – ce qui souligne d’ailleurs aussi la nécessité de progresser en matière de données budgétaires sexuées –, il semblerait que la proportion de femmes bénéficiaires soit sensiblement supérieure à celle des hommes (3,3 millions, contre 3 millions en 2012).

Là encore, il eût été intéressant que ce type d’analyses soient actualisées et présentées dans l’étude d’impact du présent projet de loi, afin de mieux appréhender les enjeux et la portée de la nouvelle prime d’activité.

● Quel impact de la PPE sur l’emploi des femmes, s’agissant en particulier des femmes en couple faiblement rémunérées ?

Il convient tout d’abord de rappeler, concernant ses modalités de calcul :

– que, bien que calculée sur des bases essentiellement individuelles, la PPE est familialisée à travers des majorations pour enfants à charge mais aussi pour les couples mono-actifs, or dans ces derniers, c’est encore le plus souvent l’homme qui travaille, et en 2014, le point de sortie de la PPE correspondait à environ 1,3 SMIC (17 451 euros), mais à 2 SMIC pour les couples monoactifs et parents isolés ;

– son montant dépend essentiellement des revenus d’activité, qui doivent être au moins égaux à 3 747 euros annuels (0,3 SMIC) : les salariés les plus précaires et moins bien rémunérés sont donc exclus du bénéfice de ce dispositif, or ce sont très majoritairement les femmes qui occupent des emplois à temps très partiel (environ 75 % des temps partiels de moins de 15 heures). Par ailleurs, la réforme de 2003 a prévu une majoration de la PPE pour les temps partiels.

Outre sa relative inefficacité redistributive, ce dispositif a suscité des interrogations au regard du risque de rendre le temps partiel plus attractif, voire d’inciter des femmes vivant en couple et faiblement rémunérées à se retirer du marché du travail, comme l’évoquait notamment M. Jean-Marie Monnier, professeur d’économie à la Sorbonne, qui a été entendu par la délégation en 2014 (12). Cette question a également été soulevée par le rapport de la mission sur l’emploi des femmes pilotée par Séverine Lemière, à la demande de la ministre des Droits des femmes en 2013, et à laquelle a notamment participé Pauline Domingo, responsable du pôle analyses et prévisions à la CNAF, qui a été entendue par la rapporteure.

Ce rapport évoque notamment la question du risque d’induire des effets désincitatifs à l’emploi du plus faible pourvoyeur de revenu, principalement des femmes, ou son maintien dans un emploi à temps partiel. Cependant, si les différentes études menées dans le milieu des années 2000 (13) montrent que ces risques vis-à-vis de l’emploi des femmes existent, les effets auraient été en fait très faibles, selon la mission pilotée par Séverine Lemière, en raison à la fois des niveaux de plafonnement, des faibles montants attribués et du fait que l’effet (versement de la prime en n+1) est différé de plus d’un an vis-à-vis de la décision d’offre de travail. Il n’en demeure pas moins, comme le soulignait ce rapport, que bien souvent, les enjeux sur l’emploi des femmes ne semblent pas intégrés dans l’élaboration des dispositifs, alors même qu’elles sont des cibles importantes de ces politiques.

b. Le revenu de solidarité active (RSA) activité et les femmes

À la fin de l’année 2014, le RSA a été versé par les caisses d’allocations familiales (CAF) à près de 2,43 millions de foyers, dont 550 000 foyers au titre du « RSA activité » seul, qui permet aux travailleurs aux revenus modestes de compléter leur salaire, et 277 000 foyers au titre du RSA socle et activité

Revenu de solidarité active (RSA) et « RSA activité » 

Créé par la loi du 1er décembre 2008, le RSA est une allocation qui complète les ressources initiales du foyer pour qu’elles atteignent le niveau d’un revenu garanti, si elles sont inférieures à ce dernier. Le revenu garanti est calculé comme la somme d’un montant forfaitaire, dont le montant varie en fonction de la composition du foyer et du nombre d’enfant(s) à charge, et d’une fraction des revenus professionnels des membres du foyer, fixée par décret à 62 %. On distingue ainsi plusieurs composantes du RSA (cf. schéma ci-après) :

– si les ressources initiales du foyer sont inférieures au montant forfaitaire, la différence s’appelle le « RSA socle », au sein duquel on distingue le « RSA socle non majoré » (dispositif ayant succédé au RMI) et le « RSA socle majoré » (ex allocation de parent isolé – API) ;

– le complément de revenus d’activité éventuel, égal à 62 % des revenus d’activité, s’appelle le « RSA activité » (ou « RSA chapeau ») ;

– selon le niveau de ressources du foyer par rapport au montant forfaitaire et la présence ou non de revenus d’activité, un foyer peut percevoir une seule composante du RSA (par exemple le RSA activité seul) ou les deux (RSA activité + socle).

Schéma simplifié du RSA

ttp://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=ECOP/ECOP_192/ECOP_192_0123/fullECOP_idPAS_D_ISBN_pu2010-01s_pa01-da10_art07_img001.jpg

Au cours des travaux de la rapporteure, il a été souligné que, compte tenu du caractère familialisé du dispositif (le RSA étant versé aux ménages et son montant déterminé par l’ensemble du « foyer social »), et non au niveau individuel, afin de le cibler efficacement comme un outil de lutte contre la pauvreté), il est difficile de disposer de données sexuées (quand la prestation est versée à un ménage ou foyer composé d’un couple, on peut difficilement mesurer la part revenant finalement à la femme ou à l’homme).

Plusieurs études de la DARES, de l’INSEE et de la CNAF permettent toutefois d’éclairer l’analyse sur ce point :

– les femmes représentaient environ 57% des bénéficiaires du RSA fin 2010 (14), soit près d’1,3 million de femmes ; concernant plus spécifiquement sa composante activité, il ressort d’une étude publiée par l’INSEE en 2012 (cf. données présentées dans le tableau ci-après) que les femmes à la tête des familles monoparentales sont aussi les principales bénéficiaires du « RSA activité » (un tiers des 450 000 foyers allocataires) ; en outre, selon les données ci-dessous, indépendamment des femmes en couples (données non sexuées), les femmes vivant seules et les mères isolées représenteraient à elles seules plus de la moitié des foyers allocataires du RSA activité seul ;

FOYERS ALLOCATAIRES DU RSA SELON LA SITUATION FAMILIALE FIN 2010

 

RSA socle non majoré

RSA socle majoré

RSA activité seul

Ensemble

Nombre de foyers allocataires

1 162 000

190 000

446 000

1 798 000

Situation familiale : (en %) 

       

Personne seule

60,2

 

33,9

47,3

  Femme

19,8

 

18,9

17,5

  Homme

40,5

 

15,0

29,9

Famille monoparentale

22,5

 

34,1

33,6

Femme

20,6

96,7 *

32,0

31,5

  Homme

1,9

3,3

2,1

2,1

Couple

17,3

 

32,0

19,1

  Sans enfant à charge

3,6

 

6,6

4,0

  Avec enfant(s) à charge

13,6

 

25,5

15,1

Total

100

100

100

100

* Ou femme enceinte sans enfant. Champ : France métropolitaine, foyers allocataires au 31 décembre 2010.

Source : INSEE (« Regards sur la parité », mars 2012)

– comme l’a souligné Mme Pauline Domingo, économiste à la CNAF, qui a été entendue par la rapporteure, la mono-activité masculine est le modèle dominant des couples au RSA activité : ainsi, au RSA activité seul, 78 % des couples sont monoactifs et dans 61 % des cas, l’homme est en emploi à temps complet (15) ; ce modèle dominant de la monoactivité masculine pour les couples bénéficiaires du RSA interroge la capacité du barème du RSA à encourager l’emploi des femmes en couple (cf. infra). On observe également des caractéristiques d’emploi différentes pour les femmes et pour les hommes, en termes de temps partiel et de CDI, comme l’illustre le tableau ci-après (16).

CARACTÉRISTIQUES DES EMPLOIS OCCUPÉS PAR LES BÉNÉFICIAIRES DU RSA FIN 2010, SELON LE SEXE ET LA CONFIGURATION FAMILIALE (EN %)

 

Emploi à temps partiel

En contrat à durée indéterminée (CDI)

Plusieurs employeurs

Femmes

En couple sans enfant

62

ns

ns

En couple avec enfant(s)

63

54

Ns

Isolée sans enfant

74

49

27

Isolée avec enfant(s)

69

55

17

 

Ensemble

69

55

21

 

En couple sans enfant

16

59

ns

 

En couple avec enfant(s)

25

70

ns

Hommes

Isolé sans enfant

47

39

ns

 

Isolé avec enfant(s)

Ns

ns

ns

 

Ensemble

32

57

8

Source : étude précitée de Pauline Domingo, CNAF, avril 2014 (DARES, enquête quantitative sur le RSA 2010-2011, phase téléphonique ; champ : bénéficiaires du RSA fin 2010 en emploi)

● Le RSA : un instrument de lutte contre la pauvreté perfectible, voire un frein à l’emploi des femmes ?

Si le soutien à l’activité est réel, dans la mesure où les montants perçus sont significatifs – en 2014, le montant moyen de RSA activité perçu par foyer s’élevait à 196 euros mensuels  l’importance du non-recours, estimé à environ 63 %, a fortement limité l’efficacité de ce dispositif en termes de lutte contre la pauvreté, et notamment des femmes. En outre, par construction, le RSA est indifférent à la provenance des revenus d’activité au sein des couples (un seul apporteur de ressources, le plus souvent un homme, ou les deux membres du couple), et ne prend donc pas en compte la bi-activité, qui s’accompagne pourtant de frais plus importants en termes de transports et de garde d’enfants. Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits en femmes, avait ainsi estimé, fin 2013, que « du fait de sa forte dimension familiale, le barème du RSA peut avoir un effet désincitatif à la reprise d’emploi pour les conjoints, généralement des femmes (17) ».

Par ailleurs, comme cela a été rappelé au cours des travaux de la rapporteure, certaines analyses (18) ont relevé un traitement différencié concernant l’accès au dispositif d’accompagnement en matière d’emploi, selon la configuration familiale des bénéficiaires sans emploi. Ainsi, une femme sans emploi avec un enfant, si elle vit seule, bénéficiera du RSA socle seul et sera soumise à l’obligation d’être accompagnée dans le cadre des « droits et devoirs », mais si elle vit en couple, avec un conjoint travaillant à temps plein, elle bénéficiera du RSA activité seul et ne sera donc pas soumise aux droits et devoirs. Cette situation concernerait bien plus souvent les femmes. Au-delà de la question d’une inégalité entre les femmes à l’égard de l’obligation de s’inscrire dans un parcours d’insertion, comme l’a fait observer Pauline Domingo, cela pose plus globalement celle de l’articulation des objectifs que poursuit le RSA : celui, pour le foyer, de lutte contre la pauvreté et celui d’accompagnement des trajectoires professionnelles, avec une tension possible entre redistribution collective et incitation individuelle.

Au regard de ces limites, le rapport de la mission pilotée par Séverine Lemière sur l’emploi des femmes (19), remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013, a préconisé de réformer le RSA activité sous l’angle de l’emploi des femmes, en favorisant la bi-activité dans le barème du RSA, par exemple par un mécanisme d’abattement plus favorable pour les couples biactifs et /ou par la majoration du montant d’intéressement par un montant forfaitaire en cas de bi-activité, ou de manière plus radicale en individualisant le RSA activité.

En définitive comme le souligne l’étude d’impact du présent projet de loi, la PPE comme le RSA activité favorisaient la mono-activité : le barème de la PPE prévoyait un bonus en cas de mono-activité, tandis que le montant du RSA ne variait pas quelle que soit la répartition de l’activité entre les membres du foyer, alors même que les frais sont plus élevés pour les foyers bi-actifs. C’est d’ailleurs précisément pourquoi la délégation avait préconisé de réformer ces dispositifs de soutien aux travailleur-se-s modestes dans le rapport d’information précité sur les femmes et fiscalité. A contrario, la prime d’activité prévue par le projet de loi permettra de favoriser la bi-activité au sein des couples.

B. LA CRÉATION D’UNE PRIME D’ACTIVITÉ PAR LE PROJET DE LOI (ARTICLES 24 À 27)

1. Une nouvelle prestation pour encourager l’activité et soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs modestes de façon simple et lisible

Se substituant au RSA activité et à la PPE, la prime d’activité vise à améliorer le dispositif actuel, caractérisé par la coexistence de deux instruments peu efficaces et mal coordonnés, pour mieux encourager l’activité et le retour à l’emploi et améliorer le pouvoir d’achat des personnes disposant de revenus d’activité modestes de façon lisible et simplifiée (a). Cette réforme importante permettra notamment de prendre en compte la situation des familles monoparentales et de favoriser davantage la bi-activité (b).

a. Une réforme sociale majeure qui permettra de faire progresser les droits liés au travail

● Un droit social nouveau et simplifié

Annoncée par le Premier ministre lors de la présentation de la feuille de route pour 2015-2017 du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, en mars dernier, la prime d’activité est une nouvelle prestation servie sous conditions de ressources du ménage, dont le montant sera étroitement lié aux revenus d’activité des bénéficiaires. Cette prime sera versée mensuellement par les CAF, pour s’adapter au mieux aux évolutions de l’emploi, et concernera les salarié-e-s comme les travailleur-se-s indépendant-e-s. Ce nouveau dispositif, bien distinct des minima sociaux, poursuit trois objectifs étroitement liés :

– lever les freins monétaires au retour à l’activité : l’article 24 précise ainsi que la prime « a pour objet d’inciter les travailleurs aux ressources modestes (…) à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle » ; en effet, reprendre un emploi ou augmenter son temps de travail entraînent souvent des charges nouvelles (frais de déplacements, garde d’enfants, etc.), tandis que l’augmentation des revenus d’activité peut conduire à une diminution des prestations sociales dans le même temps (allocations logement en particulier), et le gain monétaire réel lié à l’augmentation de l’activité s’en trouve réduit d’autant ; le RSA activité avait pour objectif de répondre à cette situation, mais son point de sortie très bas (autour du SMIC pour une personne seule), sa grande complexité, un faible taux de recours et son association à un minimum social (RSA socle) et la crainte de stigmatisation, ont limité grandement son efficacité ;

– soutenir le pouvoir d’achat des travailleur-se-s modestes de façon simple et lisible ; en valorisant l’activité, la prime permettra d’apporter un complément de revenu pouvant atteindre 10 % du salaire pour un salarié au SMIC ;

– faire entrer les jeunes actifs dans le droit commun de la prime d’activité : plus d’un million de jeunes seraient ainsi éligibles à la prime (voir l’infographie ci-après).

Par ailleurs, pour qu’un maximum de personnes éligibles demandent cette prime, il est essentiel que le dispositif soit très fortement simplifié par rapport au RSA activité, et la rapporteure se félicite à cet égard de plusieurs mesures prévues par le gouvernement. En particulier :

– un simulateur des droits permettra d’évaluer directement le montant de la prime, sur le fondement des données réelles si le travailleur est déjà allocataire ;

– des travaux seront conduits pour permettre aux caisses de récupérer directement les informations relatives aux revenus trimestriels des bénéficiaires salariés, à partir de la déclaration sociale nominative (DSN), à compter de 2017, afin de se rapprocher le plus possible d’un dispositif automatisé tel que la PPE ;

– les bénéficiaires devront déclarer auprès de leur CAF, et par voie dématérialisée s’ils le souhaitent, leurs revenus d’activité et de remplacement perçus au cours du trimestre précédent ; les autres ressources seront connues par l’intermédiaire de la déclaration fiscale et avant chaque déclaration, l’échéance sera rappelée aux bénéficiaires, par SMS et/ou par courriel ;

– la prime sera calculée pour 3 mois avec des « droits figés », toujours dans un objectif de simplification : ainsi, le montant calculé pour un trimestre ne sera pas remis en cause quel que soit le changement de situation intervenant en cours de celui-ci ; il s’agit ainsi de limiter les indus et les rappels, répandus et déstabilisants pour les bénéficiaires, et qui peut contribuer à expliquer le non recours au RSA activité.

Comme l’a précisé Mme Ségolène Neuville devant la délégation, en évoquant plusieurs de ces mesures, et notamment l’envoi de rappels par téléphone ou courriel, et le principe des droits figés (20), « cette simplification devrait aboutir à une diminution très nette du taux de non-recours, et nous espérons d’emblée un taux de recours de 50 % » (celui-ci étant d’environ 32 % pour le RSA activité), « ce qui nécessitera une information claire sur la nature du dispositif. »

● Une amélioration du pouvoir d’achat des travailleur-se-s rémunéré-e-s autour du SMIC

La prime d’activité sera versée dès le premier euro d’activité. Son barème, qui sera précisé par voie réglementaire, garantira que les bénéficiaires du RSA activité ne voient pas leur montant de prestation diminuer, selon l’étude d’impact du projet de loi. Il comprendra tout d’abord une part « famillialisée », proche de l’ancien RSA activité, à laquelle s’ajoutera une bonification étroitement liée aux revenus d’activité individuels, visant à aider plus particulièrement les personnes rémunérées entre 0,8 et 1,2 SMIC.

Le montant mensuel de prime d’activité pour un célibataire sans enfant devrait ainsi s’établir de la façon suivante, selon les informations communiquées par le gouvernement. Ainsi, comme l’a précisé Mme Ségolène Neuville, « les personnes en dessous de 0,6 SMIC n’y perdront pas : elles gagneront un peu plus à chaque fois qu’elles travailleront un peu plus », et le maximum de gain par rapport au RSA activité sera compris entre 0,8 et 1,1 SMIC.

MONTANT MENSUEL DE PRIME D’ACTIVITÉ ET SUPPLÉMENT PERÇU PAR RAPPORT AU RSA ACTIVITÉ POUR UN CÉLIBATAIRE SANS ENFANT EN 2016

En euros par mois

Montant de prime d’activité

Supplément par rapport au RSA activité

Inactif

0

0

Quart temps – 0,25 SMIC

185

0

Mi- temps – 0,5 SMIC

246

0

0,6 SMIC

222

22

0,7 SMIC

199

44

3/4 temps – 0,75 SMIC

188

56

0,8 SMIC

176

67

0,9 SMIC

136

67

Plein temps – SMIC

132

67

Plein temps – 1,1 SMIC

105

67

Plein temps – 1,2 SMIC

60

60

Plein temps – 1,3 SMIC

15

15

Plein temps – 1,4 SMIC

0

0

Source : étude d’impact du projet de loi (22 avril 2015)

Il convient à cet égard de préciser que, dans le système actuel, un célibataire rémunéré au SMIC net (environ 1 150 euros) peut au total prétendre, entre la PPE et le RSA activité, à moins de 50 euros par mois répartis entre deux prestations (l’une annuelle, l’autre mensuelle versée l’année suivante). À 1,2 SMIC (soit environ 1 350 euros nets), les montants deviennent négligeables : le RSA activité est nul et la PPE résiduelle.

Le barème de la prime d’activité sera partiellement familialisé, puisque le montant de l’aide versée, dépendant des revenus d’activité individuels, tient également compte de la configuration familiale et des ressources de l’ensemble des membres de la famille. Il cible ainsi les travailleurs vivant dans des familles modestes, à la différence de la PPE, qui pouvait soutenir des travailleurs faiblement rémunérés mais vivant dans un ménage aisé (par exemple, une personne au SMIC vivant en concubinage avec une personne percevant 10 SMIC).

La prime d’activité garantit ainsi un gain systématique de revenu disponible au moment de la reprise ou de l’augmentation d’activité, dès les premiers euros, et notamment dans le cas d’une famille monoparentale avec un enfant (cf. graphique ci-après). Par exemple, un célibataire au RSA (ex RSA socle) reprenant un emploi à plein temps rémunéré au SMIC (environ 1 200 euros en 2016), verrait son revenu augmenter de seulement 420 euros en l’absence de prime d’activité, dans la mesure où il perdrait son RSA (- 470 euros) et la quasi-totalité de ses allocations logement (- 260 euros). Grâce à sa prime d’activité d’environ 130 euros par mois, son revenu mensuel augmentera de 540 euros.

CAS TYPES DE COMPLÉMENT DE REVENU LIÉ À LA PRIME D’ACTIVITÉ *

* Montants donnés à titre indicatif (la condition de ressources s’apprécie en tenant compte de l’ensemble des revenus du foyer).

Source : ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (22 avril 2015)

La prime d’activité soutiendra significativement la reprise d’activité des familles monoparentales ou des couples inactifs, selon l’étude d’impact du projet de loi : pour ces configurations familiales, elle permet notamment d’éviter qu’une reprise d’activité à mi-temps ne se traduise par une absence d’augmentation du revenu. La prime soutiendra moins nettement la reprise d’activité dans les couples où un actif travaille déjà et est à ce titre déjà éligible à la prime d’activité pour des montants significatifs.

PLACE DE LA PRIME D’ACTIVITÉ DANS LES REVENUS DISPONIBLES : EXEMPLE D’UNE FAMILLE MONOPARENTALE AVEC UN ENFANT (EN EUROS PAR MOIS)

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Au total, plus de 5,6 millions d’actifs seront éligibles à la prime d’activité, dans 4 millions de ménages comprenant 11 millions de personnes (parents et enfants). Sous l’hypothèse d’un taux recours de 50 % en termes d’effectifs, 2 millions de ménages seraient effectivement allocataires et leur montant moyen d’allocation mensuel serait de 160 euros, selon l’étude d’impact, mais ce montant pourra atteindre par exemple 280 euros par mois, soit 3 360 euros par an, pour un parent isolé avec un enfant (des mères seules très majoritairement) travaillant au SMIC à temps plein (cf. infographie supra). La dépense annuelle réservée à ce dispositif sera proche de 4 milliards d'euros. Sans revenir sur le détail de celui-ci, la rapporteure salue en particulier :

 l’objectif de simplification des démarches pour les bénéficiaires ;

– le ciblage opéré sur les ménages de travailleurs modestes, avec la volonté de concentrer les moyens pour un impact plus important sur les niveaux de vie : en effet, 56 % des ménages allocataires appartiendront aux deux premiers déciles de niveau de vie (les 2 % de ménages les plus modestes) et, selon l’étude d’impact, la réforme pourrait permettre de faire baisser de 0,2 point le taux de pauvreté monétaire, à laquelle les femmes sont plus exposées (cf. supra) ;

– la sanctuarisation des crédits correspondants à la PPE et au RSA activité en 2014, conformément aux préconisations du rapport de Christophe Sirugue, ce qui représente en fait, en raison du gel de la PPE (21), un effort budgétaire supplémentaire d’au moins 300 millions d’euros en 2016 à destination des travailleurs modestes.

b. Des modalités de calcul qui prennent en compte la situation des mères seules et favorisent davantage la bi-activité des couples

Tout d’abord, comme l’ont souligné certaines organisations syndicales de salariés lors de leur audition par la délégation, les femmes seront davantage concernées par la prime d’activité, en particulier parce qu’elles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel ou en emploi précaire. Par ailleurs, la prime d’activité prend de fait en compte la situation de femmes à plusieurs titres.

● Une prise en compte de la configuration familiale, et notamment de la situation des familles monoparentales

La composition familiale est prise en considération dans le cadre de la réforme proposée. En effet, l’article 24 prévoit, d’une part, que la prime d’activité sera calculée en prenant notamment en compte un montant forfaitaire, dont le niveau variera en fonction de la composition du foyer et du nombre d’enfants à charge (article L. 842-3 nouveau du code de la sécurité sociale). D’autre part, ce montant forfaitaire sera majoré pour une personne isolée assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants (familles monoparentales) ainsi que pour les femmes enceintes isolées, ayant effectué la déclaration de grossesse et les examens prénataux (article L. 842-7).

Ainsi conçue, la prime permet ainsi de prendre en compte la situation des familles pauvres, et notamment des mères seules. En effet, comme l’a indiqué François Chérèque (22), entendu par la délégation au titre du rapport de l’IGAS sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan de lutte contre la pauvreté, la mission avait « recommandé de procéder à la fusion de la PPE et du RSA activité (…) en tenant compte de la situation des personnes les plus fragiles par rapport à l’emploi, en particulier des familles pauvres. En effet, si l’on n’avait pris en considération que la situation individuelle au regard de l’emploi, les familles les plus pauvres, en particulier les femmes seules avec enfants, auraient risqué d’y perdre par rapport à l’ancienne prestation. En revanche, si l’on n’avait tenu compte que de la situation du foyer, il n’y aurait plus eu d’incitation à reprendre le travail, ce qui est pourtant l’un des objectifs de la fusion », en jugeant ainsi plutôt positif l’équilibre trouvé.

La secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion a également souligné que, sans la prise en compte du nombre d’enfants à charge, qui permet de verser une prime plus importante, les perdants seraient les familles monoparentales, mais aussi qu’une bonification individualisée sera liée uniquement à l’activité pour favoriser la bi-activité, dans l’objectif de « ne pas encourager les situations où le mari travaille et pas la femme ».

● Une forme de « bonus d’activité » qui permettra de favoriser davantage les couples bi-actifs

L’étude d’impact souligne qu’à la différence des deux dispositifs existants, la prime d’activité favorisera la bi-activité, dans la mesure où la prime sera majorée d’autant de bonus qu’il y a de personnes en activité. La nouvelle prestation permettrait, d’autre part, de valoriser les temps partiels élevés et temps complets, et donc d’inciter à l’accroissement de la quotité du travail.

La prime d’activité : un dispositif favorisant la bi-activité et incitant à diminuer le recours temps partiels très réduits selon l’étude d’impact du projet de loi

« La prime pour l’emploi comme le RSA activité favorisaient la mono-activité (…). La prime d’activité, en introduisant un bonus individualisé lié à l’activité, favorise en revanche la bi-activité. En effet, au-delà de la composition du foyer, qui est prise en compte, l’activité de chaque membre est valorisée puisque le montant de la prime d’activité est majoré d’autant de bonus qu’il y a de personnes en activité au-delà d’un certain seuil. Le montant de chaque bonus dépend de l’activité de chacun. Ce dispositif de soutien à l’activité favorise ainsi l’activité de chaque membre du foyer, sans que l’une ne se fasse au détriment de l’autre.

Surtout, en incitant à l’accroissement de la quotité de travail et en valorisant plus fortement les quotités supérieures au mi-temps, la prime d'activité valorise les temps partiels élevés et les temps complets. Elle incite donc à diminuer le recours aux temps partiels très réduits, souvent subis, très majoritairement occupés par des femmes : les femmes représentent en effet près de 80 % des emplois à temps partiel, et plus de 75 % des emplois à temps très partiel (moins de 15 heures hebdomadaires). Dans 30 % des cas, ce temps partiel est involontaire : la prime d'activité constitue donc une forte incitation monétaire à accroître la quotité travaillée. »

S’il est nécessaire de veiller à ne pas subventionner massivement les temps partiels réduits, générateurs de précarité, la rapporteure observe que :

 la bonification liée aux revenus d’activité sera donc réservée aux salariés percevant plus de 0,6 SMIC (voir le tableau supra présentant le supplément perçu par rapport au RSA activité), or ce sont très majoritairement les femmes qui exercent les emplois à temps très partiel (75,5 % de femmes parmi les moins de 15 heures, comme l’indique le tableau ci-après) ;

 indépendamment de la question du pouvoir d’achat des ménages, l’impact de la prime d’activité en termes d’incitation monétaire à la reprise d’un emploi ou à l’augmentation du temps de travail, au niveau individuel, est par définition limité, pour dire le moins, dans les cas où le temps partiel est subi, et non choisi, et que les personnes concernées souhaiteraient déjà travailler davantage. Par exemple, parmi les femmes sans diplôme travaillant à temps partiel, deux tiers auraient préféré occuper un emploi à temps plein mais n’en ont pas trouvé (INSEE, 2014).

TEMPS PARTIEL SELON LE SEXE ET LA DURÉE DU TEMPS PARTIEL EN 2013

Femmes

Hommes

Ensemble

Part des femmes

Temps complet

69,4 

92,8

81,6

40,7 %

Temps partiel (1)

30,6

7,2 %

18,4

79,6 %

dont :

2,8

– Moins de 15 heures

4,4

1,3

2,8

75,5 %

– De 15 à 29 heures

15,9

3,7

9,5

80,0 %

– 30 heures ou plus

9,3

1,6

5,3

84,3 %

– Non renseigné

0,9

0,6

0,7

57,0 %

Ensemble

100

100

100

47,9 %

Effectifs (en milliers)

12 341

13 423

25 764

-

                 

 

Lecture : en moyenne en 2013, 15,9 % des femmes ayant un emploi travaillent à temps partiel entre 15 et 29 heures par semaine. 80 % des personnes travaillant à temps partiel entre 15 et 29 heures par semaine sont des femmes.

Source : INSEE (enquête emploi 2013, étude publiée en 2014)

Environ 4,5 millions de ménages seraient concernés par la réforme (mise en place de la prime et suppression du RSA activité et de la PPE). Parmi eux, après prise en compte de la mesure d’allègement de l’impôt sur le revenu en 2015 (23), plus d’1,2 million de ménages verraient leur revenu disponible augmenter significativement, tandis qu’environ 800 000 ménages verraient leur revenu disponible diminuer significativement (plus de la moitié d’entre eux appartenant à des ménages aisés), et pour 2,45 millions d’autres ménages, la réforme sera sans impact majeur. La perte moyenne (45 euros par mois) sera significativement plus faible que le gain moyen (75 euros), en lien avec la volonté de ciblage de la prime d’activité.

Ces estimations présentées dans l’étude d’impact (en termes de ménages gagnants/perdants et par décile de niveau de vie) ne permettaient cependant pas d’apprécier l’impact de la réforme s’agissant spécifiquement des femmes, même s’il est vrai que la nature même du dispositif rend complexe ce type d’analyse concernant les couples (aides versées par ménage ou foyer fiscal). Il reste que les données auraient pu être affinées selon la configuration familiale (foyers constitués de familles monoparentales ou de femmes vivant seules).

À la demande de la rapporteure, le ministère des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a toutefois réalisé, à partir du modèle de micro-simulation Ines, une étude de la répartition des types de ménages par dispositif, en distinguant pour les célibataires et les familles monoparentales, les femmes et les hommes. Les principaux résultats sont les suivants : la prime d’activité concerne proportionnellement plus les femmes seules avec enfants de moins de 20 ans (11 % des ménages allocataires) que la PPE (8 %), et cette part est plus importante que dans la population (5 %). Le RSA activité concerne proportionnellement plus sur les femmes seules avec enfants (15 %), mais il s’agit d’un effet d’optique, le nombre de femmes seules avec enfants allocataires de la prime étant sensiblement plus élevé que celui du RSA activité (environ + 100 000).

MÉNAGES BÉNÉFICIAIRES DES TROIS DISPOSITIFS (RSA ACTIVITÉ, PPE OU PRIME D’ACTIVITÉ) PAR CONFIGURATION FAMILIALE, PAR SEXE ET PAR COMPARAISON AVEC LA POPULATION GÉNÉRALE : LES ESTIMATIONS TRANSMISES À LA RAPPORTEURE

(projections avec la législation 2016)

 

Population

RSA activité**

PPE***

Prime d’activité

Couples sans enfant

27 %

9 %

19 %

10 %

Couples avec enfant(s) de moins de 20  ans

22 %

29 %

33 %

23 %

Homme sans enfant

14 %

11 %

8 %

12 %

Femme sans enfant

20 %

9 %

8 %

11 %

Homme seul avec enfant(s) de moins de 20  ans

1 %

2 %

1 %

1 %

Femme seule avec enfant(s) de moins de 20  ans

5 %

15 %

8 %

11 %

Autres* 

12 %

25 %

24 %

31 %

* Les ménages "Autres" correspondent aux ménages comportant un enfant à charge de 20 ans ou plus, ainsi que les ménages complexes (colocations, présence d’un parent âgé...) ** Il s’agit des ménages allocataires du RSA activité au moins une fois dans l’année, en 2016 (projection) *** Il s’agit des ménages (et non des foyers fiscaux) qui auraient bénéficié de la PPE si elle avait été maintenue en 2016 (projection)

Source : ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes (modèle Ines, Insee-Drees, législation 2016)

En définitive, la délégation soutient pleinement cette réforme importante des dispositifs de soutien aux travailleur-se-s, qui permettra de mieux favoriser la bi-activité, en rappelant à cet égard que si la parité entre les sexes dans la participation au marché du travail était réalisée au cours des 20 prochaines années, cela conduirait à une augmentation annuelle de 0,4 point de pourcentage du taux de croissance du PIB par habitant (24) .

2. Les points de vigilance et les mesures d’accompagnement souhaitables : les recommandations de la délégation

a. Le barème et les modalités de calcul de la prime d’activité ainsi que l’évaluation ex post sexuée du dispositif

La délégation sera tout d’abord attentive au barème et aux modalités de calcul de la prime d’activité, qui seront précisées par voie réglementaire, concernant en particulier le « bonus d’activité » individuel, pour les raisons évoquées précédemment, mais aussi les ressources prises ou non en compte pour la prime d’activité (« base ressources »).

Sur ce point, la rapporteure souhaite que les pensions alimentaires soient exclues des ressources prises en compte, du fait de leur nature particulière.

À cet égard, comme l’a indiqué Mme Ségolène Neuville lors de son audition par la délégation, en évoquant la garantie contre les impayés de pension alimentaire (GIPA) prévue dans le cadre de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, dans un objectif de sécurisation des familles monoparentales, « ce dispositif est expérimenté dans vingt départements et devrait être généralisé rapidement. Le bilan en la matière montre que 1 000 pensions alimentaires minimales ont été versées à ce jour pour un montant moyen de 45 euros par enfant et par mois. Les choses démarrent, donc, et il faut renforcer le travail d’information car le nombre de femmes seules ne percevant pas de pension alimentaire est élevé ».

Recommandation n° 18 :

Exclure les pensions alimentaires des ressources prises en compte pour déterminer l’éligibilité à la prime d’activité et le calcul du montant de celle-ci, en raison de leur nature particulière.

Il conviendra également de voir dans quelle mesure les prestations familiales seront, le cas échéant, prises en compte dans la base ressources. L’article 24 du projet de loi (alinéas 26 à 30) précise que les ressources prises en compte pour le calcul de la prime d’activité comprendront notamment « les prestations et aides sociales, à l’exception de certaines d’entre elles en raison de leur finalité sociale particulière ».

En tout état de cause, pour faire progresser les droits des femmes, il est essentiel d’intégrer la double dimension de l’approche intégrée de l’égalité : besoin d’actions spécifiques en direction notamment des femmes les plus précarisées, mais aussi dimension transversale, avec l’intégration de l’égalité dans tous les dispositifs (en matière d’emploi et de lutte contre l’exclusion), et d’abord pour rendre visibles les inégalités entre les sexes.

À cet égard, il convient de rappeler que le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale présenté en janvier 2013 prévoyait, pour ce qui concerne la réforme des dispositifs de soutien aux revenus d’activité modestes, que « le dispositif réformé comportera des modalités de suivi et d’étude d’impact (pour les bénéficiaires comme pour les employeurs), s’appuyant notamment des indicateurs sexués, afin d’analyser ses effets sur les comportements d’activité des hommes et des femmes, qu’ils soient en couple ou non ».

Dans ce sens, la rédaction de l’article 24 du projet de loi, qui comporte des dispositions relatives au suivi statistique, à l’évaluation et à l’observation, pourrait être précisée afin de veiller à ce que les informations transmises à cette fin par la CNAF et la Mutualité sociale agricole (MSA) à l’État comportent des indicateurs sexués.

Par ailleurs, il est essentiel de prévoir dès à présent l’évaluation de l’impact de la prime d’activité concernant plus particulièrement les femmes, dans le cadre d’un rapport au Parlement qui pourrait présenter non seulement des données chiffrées (nombre et proportion de femmes parmi les bénéficiaires, dépenses publiques afférentes, etc.) mais aussi qualitatives (enquête auprès des bénéficiaires, stratégies des employeurs, impact sur les comportements d’activités, etc.).

Enfin, les documents budgétaires transmis au Parlement chaque année – annexes relatives aux projets annuels de performance (PAP), s’agissant en particulier des programmes relevant de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances et Travail et emploi – pourraient comporter davantage d’objectifs et d’indicateurs sexués.

Recommandation n° 19 :

Veiller au suivi statistique et à l’évaluation ex post sexuée de la prime d’activité (évaluation quantitative et qualitative de son impact, enquête auprès des bénéficiaires et publics cibles, documents budgétaires, etc.)

b. Les mesures d’accompagnement pour améliorer l’insertion des femmes sur le marché du travail et prévenir le non-recours

À la différence du RSA activité qui, notamment pour les célibataires, concentrait l’effort budgétaire sur les reprises d’emploi à temps partiel, la prime d’activité maintient l’aide apportée aux personnes travaillant à temps partiel, mais cible l’effort budgétaire supplémentaire vers les travailleurs à trois quarts ou à plein temps (à partir de 0,5 SMIC et davantage entre 0,8 et 1,2 SMIC).

Il convient à cet égard de rappeler que l’ANI du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi, transposé dans la loi du 14 juin 2013, a prévu l’introduction d’un seuil de 24 heures de travail minimum – une mesure qu’avait alors pleinement soutenue la délégation aux droits des femmes. Les rapporteurs de la délégation sur ce projet de loi, Mme Ségolène Neuville et M. Christophe Sirugue, avaient ainsi salué l’avancée majeure que représentait l’instauration d’une durée minimale de travail hebdomadaire pour les temps partiels (25).

Cependant, comme cela a été souligné au cours des travaux de la délégation, de nombreuses dérogations ont été prévues par accords de branche. En tout état de cause, cette loi ne suffira pas à résoudre, à elle seule, la question des petits temps partiels et du temps partiel contraint. Il convient à cet égard de rappeler que 32 % des salariés étaient à temps partiel en 2011 faute d’avoir trouvé un emploi à temps complet (DARES, 2013), et parmi eux 60 % souhaitaient travailler davantage et se déclaraient disponibles pour le faire (sous-emploi). Or ces données sous-estiment probablement la réalité. En effet, une partie des salariés qui ne déclarent pas souhaiter travailler plus, le font parce qu’ils ont intégré la probabilité très faible de pouvoir travailler davantage, ou bien parce qu’ils ne disposent pas de solution de garde pour les enfants à un coût abordable. Dans un contexte plus favorable, ils pourraient donc souhaiter accroître leur temps de travail et leur revenu.

Soutenir l’accès et le maintien dans l’emploi durable, en particulier pour les femmes, suppose, certes, de lever les freins monétaires à la reprise d’une activité ou à l’augmentation du temps de travail, et de ce point de vue, la création de la prime d’activité constitue à l’évidence une avancée importante. Cependant, d’autres mesures d’accompagnement sont nécessaires pour favoriser l’insertion durable sur le marché du travail.

Pour cela, il faut poursuivre les actions engagées afin notamment de développer l’offre de garde, en particulier pour les familles modestes et monoparentales, et réduire les disparités territoriales dans ce domaine, mais aussi favoriser l’accès à la formation professionnelle et à la qualification. Sur ce point, la rapporteure a d’ailleurs pu observer des initiatives particulièrement intéressantes dans la structure spécialisée sur l’aide à domicile où elle s’est rendue (LogiVitae), avec en particulier une aide apportée en matière de validation des acquis de l’expérience (VAE), mais aussi des efforts pour mieux organiser les journées de travail, avec des tâches plus diversifiées et des temps d’intervention plus longs, en diminuant aussi les temps de déplacement.

Il est également important que l’ensemble des structures relevant du service public de l’emploi (missions locales, Pôle emploi, AFPA, Cap emploi) apportent un accompagnement de qualité vers et dans l’emploi, concernant notamment les femmes ayant des enfants en bas âge et les femmes en couple inactives (cf. supra). Il convient par ailleurs d’encourager le développement des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ), qui permet aux femmes d’occuper plusieurs emplois à temps partiel, sans cumuler les inconvénients de plusieurs employeurs, par exemple en termes de congés, comme l’a évoqué Mme Ségolène Neuville lors de son audition par la délégation (26).

Enfin, en vue d’améliorer l’accès aux droits, la rapporteure se félicite tout d’abord de la mise en place des « rendez-vous des droits » par les CAF, évoqués à plusieurs reprises au cours des auditions de la délégation, et souligne, d’autre part, la nécessité d’engager une campagne d’information sur la nouvelle prime d’activité.

Différentes actions pourraient être envisagées (sous forme d’affiches, dépliants, stands d’information, courriels, site dédié, etc.), dans les caisses de protection sociale (CAF, CPAM, antennes de Pôle emploi, etc.) ainsi que dans les missions locales et les centres de protection maternelle et infantile (PMI), ou encore les centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), ne serait-ce qu’avec des affiches. Ponctuellement, des stands d’information pourraient être mis en place dans les centres de la Poste et les supermarchés low cost par exemple.

Des courriers ou courriels pourraient aussi être envoyés, de façon ciblée, aux bénéficiaires de la PPE (qui a déjà été supprimée par la loi de finances rectificative pour 2014) ou à certains publics potentiellement éligibles à la prime d’activité (familles monoparentales bénéficiaires de l’ASF, etc.), avec un lien vers le simulateur des droits, dont le gouvernement a prévu la mise en place (cf. supra).

Il conviendra enfin de veiller à la formation des travailleurs sociaux et des personnels des CAF en particulier sur ce nouveau dispositif.

Recommandation n° 20 :

Mettre en œuvre un plan d’information sur la prime d’activité, avec des actions diversifiées en direction des publics cibles –  par exemple, sous forme d’affiches et dépliants dans les organismes de protection sociale (CAF, CPAM, antennes de Pôle Emploi, etc.), PMI, missions locales et centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) notamment, de stands d’information dans les supermarchés low cost et les centres de la Poste, ou encore de courriels envoyés de façon ciblée à certains publics potentiellement éligibles, avec un lien vers le simulateur des droits qui sera prochainement mis en place, etc.

Veiller à la formation des agents des caisses et travailleurs sociaux sur le nouveau dispositif.

IV. UN OBJECTIF D’ÉGALITÉ FEMMES - HOMMES À PRENDRE EN COMPTE DANS LA MISE EN œUVRE DE DEUX RÉFORMES

La question de l’égalité entre les femmes et les hommes doit être prise en compte dans le cadre de la mise en œuvre de deux réformes engagées par le Gouvernement concernant, d’une part, les intermittent-te-s du spectacle (A), et, d’autre part, la sécurisation des parcours professionnels, à travers notamment la création d’un compte personnel d’activité prévue par le projet de loi (B).

A. LA REFONDATION DU RÉGIME DE L’INTERMITTENCE

1. La situation particulière des « matermittentes »

a. Les difficultés rencontrées concernant l’indemnisation des congés maternité et leur prise en compte par l’assurance chômage

Des artistes, ouvrières et techniciennes du spectacle (intermittentes) se sont heurtées à des difficultés pour faire valoir leurs droits aux indemnités journalières (IJ) auprès de caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et de Pôle Emploi à l’occasion de leur congé de maternité. Leurs difficultés recouvrent en fait deux problématiques : d’une part, l’indemnisation par la sécurité sociale des congés maternité et, d’autre part, la prise en compte par l’assurance chômage des congés maternité pour la réouverture de droits au régime de l’assurance chômage au titre des annexes VIII et X de la convention (27). En effet, compte tenu de la spécificité du métier (emploi discontinu) mais aussi des caractéristiques physiques susceptibles d’être exigées, il peut leur être difficile de réunir les conditions posées par le code de la sécurité sociale pour obtenir l’indemnisation du congé de maternité.

À cet égard, les représentantes du Collectif des « matermittentes » entendues par la rapporteure, le 29 avril 2015, ont évoqué plusieurs difficultés, résumées dans l’encadré ci-après.

Il semblerait par ailleurs que certaines intermittentes renoncent à déclarer leur grossesse, mais aussi que les caisses de sécurité sociale ne font pas toujours application de la réglementation qui, dans certaines situations, leur permettrait d’obtenir des prestations (cf. infra). Le collectif a proposé notamment d’adapter les dispositions applicables en matière de protection sociale et d’assurance chômage pour rechercher des heures travaillées sur des périodes glissantes.

Les difficultés rencontrées par les « matermittentes » : la position du collectif auditionné par la rapporteure en avril 2015

« Explication technique et concrète de la problématique :

– Rupture de revenus pour un congé maternité en cas de non indemnisation par la sécurité sociale (qui s’accompagne généralement d’une rupture de droits / revenus par l’impossibilité de renouvellement direct de ses droits à indemnisation du chômage). Ceci correspond à une méprise de la réalité quant à la discontinuité des contrats de travail et aux conditions physiques exigées pour travailler. D’une part, il préexiste une inadaptation des conditions ouverture des droits dans le code de la sécurité sociale (au-delà de la mauvaise application de certaines règles). D’autre part, il y a une injustice de Pôle emploi sur la non prise en compte des congés lorsqu’ils ne sont pas indemnisés (à noter qu’il s’agit d’une régression des droits).

– Baisse de revenus quand le congé maternité est indemnisé et lors de la réouverture des droits à Pôle Emploi : la période est prise en compte à hauteur de 5 heures par jour pour l’ouverture de droits, mais cette absence pendant quatre mois n’est compensée par aucune mesure dans le calcul de l’indemnisation.

– Rupture de revenus pour un congé maladie en cas de non indemnisation par la sécurité sociale et l’absence de prise en compte du congé maladie par Pôle Emploi, si le congé maladie n’interrompt pas un contrat de travail 

– Engrenage de la précarité : la rupture de droits liée à un congé maternité ou maladie entraîne une série de conséquences (emprunts, perte du régime de l’intermittence, difficulté pour retrouver un emploi, problème de garde d’enfants, problèmes d’accès aux soins et de comportements à risques…). Les salarié-e-s mettent au mieux 2 à 3 ans pour revenir à leur situation d’emploi et de revenus antérieurs au congé. »

Source : Collectif des matermittentes (document de synthèse transmis dans le prolongement de leur audition par la rapporteure, le 29 avril 2015)

Il convient à cet égard de rappeler que le Défenseur des droits a été saisi de cette question, au regard du principe de non-discrimination fondée sur l’état de grossesse, et formulé des recommandations en 2012 (28). En avril 2013, le rapport présenté par M. Jean-Patrick Gille au nom de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques comportait également une recommandation concernant les matermittentes (29). Plusieurs avancées récentes méritent cependant d’être saluées.

b. Les avancées récentes avec en particulier l’assouplissement des conditions d’accès aux indemnités journalières depuis janvier 2015

Un décret du 30 janvier 2015 (30) a tout d’abord permis d’assouplir les conditions d’accès aux indemnités journalières pour le congé maternité par l’exigence, à la date du début de grossesse ou à la date du début du repos prénatal, de 150 heures de travail (au lieu de 200 heures auparavant) effectuées sur les trois mois précédents.

Ces dispositions s’appliquent également aux indemnités journalières en cas de maladie ou invalidité, et concernent tous les assurés relevant du régime général de la sécurité sociale et du régime des salariés agricoles.

La rapporteure se félicite de cette avancée importante, qui s’inscrit dans le droit fil d’une recommandation de la délégation, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes (31), dans l’objectif d’ouvrir davantage l’accès aux IJ aux personnes travaillent à temps très partiel.

D’autre part, selon les informations communiquées par le ministère de la Culture et de la communication, la direction de la sécurité sociale (DSS) prévoit la mise à jour de la circulaire du 6 avril 2013 relative au régime juridique applicable aux personnes exerçant une profession discontinue pour l’accès aux prestations au titre de la maladie et de la maternité.

Enfin, les dispositions prévues par le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi permettront aux partenaires sociaux du secteur de traiter la question de l'amélioration des droits à l'assurance chômage lors de la prochaine négociation de la convention d’assurance chômage (cf. infra, concernant l’article 20 du présent projet de loi).

Ces mesures s’inscrivent, plus globalement, dans le cadre de la feuille de route du gouvernement pour refonder le régime de l’intermittence.

La feuille de route du gouvernement pour refonder le régime de l’intermittence

François Rebsamen, ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du Dialogue social et Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication ont présenté la feuille de route du gouvernement pour refonder le régime de l’intermittence. Les 7 janvier et 11 février derniers, le Premier ministre a annoncé les décisions du gouvernement à la suite du rapport que lui a remis la mission de concertation sur le régime des intermittents. François Rebsamen et Fleur Pellerin présentent aujourd’hui les premiers résultats et l’orientation pour les prochains mois.

Tout d’abord, l’existence de règles spécifiques pour les professions concernées sera inscrite dans la loi. C’est l’objet de l’article 20 du projet de loi présenté le 22 avril en Conseil des ministres et prochainement soumis au Parlement pour une adoption à l’été. Dès la prochaine négociation de la convention d’assurance chômage, les professionnels du spectacle par l’intermédiaire de leurs représentants participeront, dans le cadre du processus inscrit dans la loi, à la définition des règles qui leur seront applicables sur la base des orientations fixées par les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel.

Parallèlement, les partenaires sociaux du spectacle vont ouvrir des négociations afin de mieux encadrer le recours au contrat à durée déterminée d’usage (CDU) et de lutter contre la précarisation de l’emploi. François Rebsamen et Fleur Pellerin les réuniront pour lancer ce processus dans les prochaines semaines. Par ailleurs, une conférence pour l’emploi dans les métiers du spectacle sera organisée à l’automne pour développer l’emploi et renforcer la pérennisation des contrats de travail. Les ministres ont confié à Jean-Paul Guillot une mission de préparation de cette conférence.

Enfin, plusieurs chantiers complémentaires ouverts par la mission de conciliation seront poursuivis afin d’améliorer l’accès aux droits des intermittents :

– Sur la question de l’accès aux indemnités maladie et maternité : depuis le 31 janvier, le nombre d’heures nécessaires pour bénéficier des indemnités journalières a été abaissé à 150 heures par trimestre contre 200 auparavant. Une circulaire viendra préciser les conditions d’accès des intermittents à ces prestations ;

– Un comité de liaison avec Pôle emploi a été créé et sera réuni pour la première fois en avril ;

– Le guichet unique du spectacle occasionnel sera modernisé et son fonctionnement amélioré.

Avec cette feuille de route, le gouvernement affirme son ambition de donner aux artistes et techniciens du spectacle qui font vivre la politique culturelle de la France, un cadre social refondé qui permette de sortir durablement des crises périodiques connues par leur régime.

Source : communiqué du ministère du travail de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et du ministère de la culture et de la communication (21 avril 2015)

2. La réforme prévue par le projet de loi et les recommandations de la délégation

a. La pérennisation du régime d’assurance chômage des intermittents et l’instauration d’une nouvelle méthode de négociation (article 20)

L’existence de règles particulières pour les intermittent-te-s vise à prendre en compte la discontinuité spécifique de l’emploi des artistes et des professionnel-le-s de la création. En s’appuyant sur le rapport de la mission de concertation confiée à MM. Jean-Patrick Gille et Jean-Denis Combrexelle et à Mme Hortense Archambault, le Premier ministre a annoncé, le 7 janvier 2015, que deux avancées majeures seraient prévues par loi, afin de :

– sanctuariser l’existence de règles spécifiques d’indemnisation des intermittents du spectacle, et mettre ainsi un terme au débat récurrent sur la légitimité et l’existence de ces règles ;

– instaurer une nouvelle méthode de négociation pour approcher le dialogue social différemment : il s’agit en effet de permettre aux partenaires sociaux représentatifs du secteur du spectacle de négocier ces règles spécifiques, dans un cadre défini par les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel. Un comité d’expertise sera créé pour objectiver les chiffrages et le respect de la trajectoire financière définie par les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel.

Le titre II du présent projet de loi vise ainsi à mettre en place un cadre stabilisé et sécurisé pour les intermittents du spectacle (article 20).

b. Les recommandations de la délégation concernant les intermittentes

Dans le cadre des travaux préparatoires à la conférence pour l’emploi dans les métiers du spectacle (cf. supra), il serait tout d’abord intéressant que l’accès aux droits sociaux puisse faire partie des sujets étudiés.

Par ailleurs, selon les informations communiquées par le ministère de la Culture et de la communication, une analyse quantitative et qualitative (nombre de personnes concernées, typologie des situations) devrait être réalisée.

En tout état de cause, la rapporteure souligne la nécessité d’améliorer les connaissances dans ce domaine, et d’abord pour connaître précisément le nombre des intermittentes et intermittents du spectacle mais aussi, notamment, le nombre de congés maladie et maternité indemnisés par la sécurité sociale et les refus d’indemnisation, l’impact des grossesses concernant les droits à l’assurance chômage et les trajectoires professionnelles. Afin de remédier à « l’invisibilité du phénomène », le Collectif des matermittentes a proposé en particulier de prévoir une codification spécifique aux intermittents dans la nomenclature des professions utilisée pour réaliser des études en matière d’emploi (DARES).

Recommandation n° 21 :

Réaliser une étude sur la situation des intermittentes, avec des éléments d’analyse quantitative et qualitative, s’agissant en particulier de l’accès aux prestations maladie et maternité, et prévoir à cette fin une codification spécifique pour les salariés intermittents dans la nomenclature des familles professionnelles (DARES).

Par ailleurs, lorsque les intermittentes ne remplissent pas les conditions requises pour leur ouvrir des droits, en raison d’une activité insuffisante, elles devraient pouvoir bénéficier des dispositions prévues par les articles L. 161-8 et L. 311-5 du code de la sécurité sociale. L’article L. 161-8 permet, en cas de perte de la qualité d’assuré social, de bénéficier du maintien des droits aux prestations des assurances sociales, notamment maternité, pour une période définie en fonction du type de prestation. L’article L. 311-5 prévoit par ailleurs que toute personne percevant un revenu de remplacement, notamment l’allocation de chômage, conserve la qualité d’assuré social et bénéficie du maintien de ses droits aux prestations du régime obligatoire dont elle relevait antérieurement. Elle continue aussi à en bénéficier en cas de reprise d’une activité insuffisante pour justifier des conditions d’ouverture du droit à prestations.

Le rapport précité de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques  (32) relevait toutefois que les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) n’appliquent pas ces règles, alors qu’il semble qu’elles permettraient souvent d’indemniser les congés de maternité des intermittentes du spectacle. Plus largement, il a été indiqué à la rapporteure que des difficultés d’application des textes subsistent, avec une certaine hétérogénéité des pratiques entre les caisses de sécurité sociale.

Recommandation n° 22 :

Veiller à l’application par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) des dispositions prévues par le code de la sécurité sociale en matière de droits aux prestations et rappeler ce principe dans la prochaine circulaire ministérielle sur le régime applicable aux personnes exerçant une profession discontinue pour l’accès aux prestations au titre de la maladie et de la maternité (direction de la sécurité sociale).

La rapporteure rappelle enfin qu’aux termes de l’article 2 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, « toute discrimination directe ou indirecte est interdite en raison de la grossesse ou de la maternité, y compris du congé de maternité », ces dispositions ne faisant pas obstacle aux mesures prises en faveur des femmes pour ces mêmes motifs.

B. LA SÉCURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS

Depuis 2012, le gouvernement a fait de la sécurisation des parcours professionnels un axe majeur de son action, comme en témoignent notamment la loi n° 2013 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi et la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, faisant suite à la conclusion de deux accords nationaux interprofessionnels (ANI).

Il est en effet essentiel de favoriser la fluidité des parcours professionnels tout en sécurisant les transitions. Le titre III du projet de loi, intitulé « Sécurisation des parcours et retour à l’emploi », vise à compléter les dispositions existantes en assurant une meilleure mobilisation des acteurs, en créant de nouveaux outils et en regroupant les droits individuels pour rendre tous les salariés acteurs de leurs parcours, à travers notamment (articles 21 et 22) :

– la création d’un compte personnel d’activité (1) ;

– une meilleure définition du rôle de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) au sein du service public de l’emploi (2).

1. La création d’un compte personnel d’activité (article 21)

a. Un progrès social majeur avec la création d’un dispositif visant à améliorer la portabilité des droits et sécuriser les parcours

Aujourd’hui, un certain nombre de droits sont très largement liés au contrat de travail, alors que les trajectoires individuelles sont au contraire de plus en plus mobiles, avec notamment des formes atypiques d’emploi (intérim, CDD, stages, freelance, temps partiel, auto-entrepreneur, etc.). Ce cloisonnement induit des rigidités dommageables pour la personne ainsi qu’un manque de lisibilité des droits sociaux.

Pour y remédier, plusieurs réformes récentes ont permis de mieux prendre en compte la notion de parcours professionnels et, de fait, les droits individualisés ont fortement progressé au cours des dernières années. Ainsi, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la loi du 5 mars 2014 relative à la formation, à l’emploi et à la démocratie sociale et la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites ont permis des avancées majeures, avec la création du compte pénibilité et du compte personnel de formation. Cette dynamique mérite aujourd’hui d’être approfondie.

Ainsi, « afin que chaque personne dispose au 1erjanvier 2017 d’un compte personnel d’activité qui rassemble, dès son entrée sur le marché du travail et tout au long de sa vie professionnelle, indépendamment de son statut, les droits sociaux personnels utiles pour sécuriser son parcours professionnel », l’article 21 du projet de loi prévoit que :

– une concertation sera engagée avant le 1er décembre 2015 avec les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salarié-e-s représentatives au niveau national et interprofessionnel ;

– si elles le souhaitent, ces organisations pourront ouvrir une négociation sur la mise en œuvre du compte personnel d’activité ;

– le Gouvernement présentera un rapport au Parlement sur les modalités possibles de cette mise en œuvre, avant le 1er juillet 2016.

Concrètement, ce nouveau dispositif intégrera notamment le compte personnel de formation et le compte pénibilité. Un projet de loi sera présenté en 2016 sur la base de la concertation et, le cas échéant, de la négociation, qui auront été menés dans l’intervalle. L’un des premiers travaux à conduire sera de délimiter le champ du compte personnel d’activité (CPA) et les modalités d’abondement et de mobilisation du compte.

En assurant aux salarié-e-s, tout au long de leur vie professionnelle, la portabilité et la transférabilité des droits ouverts dans le cadre des comptes existants, la création du CPA constituera ainsi un progrès social majeur.

b. Des enjeux en termes d’égalité entre les femmes et hommes

La construction du compte personnel d’activité devra tenir compte de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi. Celle-ci indique également qu’ « en lui-même (sic), l’individualisation d’un certain nombre de droits devrait également favoriser l’égalité » des sexes, et que le diagnostic préalable à la définition du dispositif permettra de mieux cerner les situations et les événements de la vie qui créent des fragilités dans les parcours des femmes : temps partiel subi, parent isolé, impact de la maternité sur une carrière par exemple.

Dans le prolongement de ses précédents travaux (rapports d’information adoptés par la délégation en septembre 2013 et en janvier 2014) et de ses recommandations concernant notamment le compte pénibilité (33) et le compte personnel de formation (34), la délégation suivra naturellement avec attention le déroulement de la concertation, voire de la négociation entre les partenaires sociaux, sur les modalités de mise en œuvre du compte personnel d’activité, qui devraient faire ensuite l’objet d’un projet de loi.

A minima, il conviendrait de veiller à ce que le rapport qui devra être remis au Parlement prenne en compte la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment par la production de données sexuées concernant les dispositifs existants (compte formation et compte pénibilité), voire concernant les modalités d’abondement du compte, s’agissant notamment à des salarié-e-s à temps partiel.

Recommandation n° 23 :

Veiller à la prise en compte de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes dans le diagnostic préalable et la construction du compte personnel d’activité.

2. Le rôle de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (article 22)

a. Les missions de l’AFPA au sein du service public de l’emploi

Aujourd’hui, le maillage territorial et les capacités d’accueil et d’hébergement de l’AFPA en font un acteur central de la sécurisation des parcours professionnels et un membre à part entière du service public de l’emploi (SPE). En 2013, 140 000 stagiaires sont passés par l’AFPA, et parmi eux, 61 % de demandeurs d’emploi dont le taux de retour à l’emploi est de près de 60 % (35). Cependant, alors qu’elle est engagée depuis 2012 dans un plan de refondation, sa mission au sein du service public de l’emploi n’est pas précisée.

L’article 22 du projet de loi précise désormais dans le code du travail le rôle de l’AFPA, comme cela a déjà été fait pour Pôle emploi, les missions locales ou les maisons de l’emploi, car des missions mieux définies, c’est le gage d’une action plus efficace pour sécuriser les parcours professionnels des salarié-e-s.

Ainsi, aux termes de l’article L. 5315-1 du code du travail dans la rédaction proposée par le présent article, l’AFPA, « dans le cadre de sa mission de service public pour l’emploi, participe à la formation des personnes les plus éloignées de l’emploi et contribue à leur insertion professionnelle ». Elle est par ailleurs chargée de contribuer à la politique de certification menée par le ministère chargé de l’emploi.

b. L’égal accès des femmes et des hommes à la formation professionnelle

S’agissant des impacts en termes d’égalité entre les femmes et les hommes, « la rédaction proposée affirme la mission de l’AFPA consistant à contribuer à l’insertion professionnelle des publics les plus éloignés de l’emploi, et de poursuivre un effort spécifique pour accroître la proportion de femmes en formation, notamment en vue de l’accès aux métiers réputés masculins, afin de combattre les discriminations et les freins à l’embauche », selon l’étude d’impact du projet de loi.

Dans le prolongement du rapport d’information présenté par Mme Ségolène Neuville sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, adopté par la délégation aux droits des femmes en janvier 2014 et qui avait notamment souligné l’existence d’inégalités de genre persistantes en matière de formation professionnelle et d’apprentissage (36), la rapporteure formule la recommandation suivante.

L’AFPA effectuant des bilans de compétence, ses agents sont bien placés pour promouvoir la mixité des métiers.

Recommandation n° 24 :

Préciser dans le code du travail que l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) contribue à l’égal accès des femmes et des hommes à la formation professionnelle et à la promotion de la mixité des métiers.

*

Enfin, dans le prolongement notamment de l’audition (37) par la délégation de la secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), Mme Brigitte Grésy, pour partie consacrée au rapport récent du CSEP sur le sexisme au travail (38), la rapporteure souligne la nécessité de renforcer la lutte contre le sexisme en milieu professionnel. Des amendements pourraient être présentés en ce sens, dans la perspective de l’examen en séance publique du présent projet de loi.

Recommandation n° 25 :

Renforcer la lutte contre le sexisme dans le monde du travail.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Sont présentés ci-après les comptes rendus des auditions par la délégation de représentant-e-s d’organisations syndicales de salarié-e-s et d’organisations d’employeurs sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, ainsi que ceux des auditions de M. François Chérèque, de Mme Brigitte Grésy et de Mme Ségolène Neuville, qui ne portaient pas spécifiquement sur ce texte, mais au cours desquelles ont été évoquées notamment la prime d’activité et la négociation collective sur l’égalité professionnelle.

– Audition de M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, président de l’Agence du service civique, sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le mercredi 18 mars 2015 78

– Audition de Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité entre les femmes et les hommes (CSEP), sur le sexisme dans le monde au travail et sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de moins de 300 salariés, le mardi 24 mars 2015 91

– Audition de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État, chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur la feuille de route 2015-2017 du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le mercredi 15 avril 2015 105

– Audition, sous forme de table ronde, de Mme Dominique Marchal, secrétaire confédérale chargée de l’égalité, responsable de la Commission confédérale femmes, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), de Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale chargée de l’égalité professionnelle de Force ouvrière (FO), de Mme Céline Verzeletti et Mme Sophie Binet, membres de la direction confédérale, chargées des questions relatives aux femmes, de la Confédération générale du travail (CGT), de Mme Pascale Coton, secrétaire générale confédérale, et M. Jean-Michel Cerdan, secrétaire confédéral, de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), et de M. Franck Mikula, secrétaire national chargé de l’emploi et de la formation, de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC), sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, le mardi 5 mai 2015 114

– Audition de M. Philippe Chognard, conseiller aux affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de M. Pierre Burban, secrétaire général, et de Mme Caroline Duc, conseillère technique, de l’Union professionnelle artisanale (UPA), sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, le mercredi 13 mai 2015 126

Audition de M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales (IGAS), président de l’Agence du service civique, sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale

Compte rendu de l’audition, ouverte à la presse, du mercredi 18 mars 2015

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation, monsieur le président. Notre délégation a souhaité vous entendre à propos du rapport d’évaluation que vous avez remis et publié en janvier 2015, en votre qualité d’inspecteur général des affaires sociales, sur la deuxième année de mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté par le Gouvernement. Vous y formulez un certain nombre de conclusions et de préconisations. À cet égard, les mesures que vient d’annoncer le Gouvernement dans le cadre de sa feuille de route pour les années 2015 à 2017 correspondent-elles à vos attentes ?

Christophe Sirugue, vice-président de notre délégation, suit ce dossier avec attention. Il a notamment été l’auteur d’un rapport remarqué sur la composante « activité » du revenu de solidarité active (RSA) et sur la prime pour l’emploi (PPE).

Dans la synthèse de votre rapport, vous constatez que la pauvreté n’a pas nécessairement augmenté en France, mais qu’elle a évolué : il y a aujourd’hui davantage d’enfants pauvres, notamment parce que le nombre de familles monoparentales qui vivent sous le seuil de pauvreté s’est accru. Or les parents des familles monoparentales sont, à 85 %, des femmes. D’où notre intérêt particulier pour cette question.

Pour réaliser votre évaluation, avez-vous pu recourir à des indicateurs sexués ?

En ce qui concerne la mise en œuvre du plan au niveau territorial, vous relevez que l’élan initial s’est quelque peu essoufflé. Ce point m’a interpellée.

Qu’en est-il du renoncement aux soins dû à l’absence de couverture complémentaire ? Nous savons que ce phénomène touche particulièrement les femmes. Notre délégation s’est d’ailleurs prononcée en faveur de la généralisation du tiers payant.

D’autre part, les personnes dont les ressources dépassent le plafond d’attribution de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) peuvent bénéficier de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS). Cependant, ce dispositif est très peu utilisé. Cela tient-il au fait qu’il est mal connu ? Est-ce parce que le reste à payer est trop important ? Pourtant, l’ACS n’est-elle pas de nature à permettre à des personnes qui disposent de ressources modestes, notamment à des femmes, de mieux se soigner ?

M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, président de l’Agence du service civique. Je vous remercie de votre invitation, madame la présidente. Je ferai une présentation synthétique de ce rapport, que j’ai établi avec deux autres collègues de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Lorsque le Gouvernement a adopté le plan pluriannuel contre la pauvreté, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault m’a demandé, par lettre de mission, de rédiger un rapport annuel, non seulement pour s’assurer de la bonne mise en œuvre du plan, mais aussi dans un souci d’objectivité et de transparence à l’égard du monde associatif, qui s’était engagé dans ce cadre. Le Premier ministre actuel, Manuel Valls, a souhaité poursuivre selon la même méthode. Celle-ci me paraît originale : on met en place une politique publique, puis on commande un rapport que l’on soumet à la discussion, au vu de laquelle on adapte le plan initial – ce que vient de faire le Premier ministre. La lettre de mission, je le rappelle, me chargeait de réaliser une évaluation de la mise en œuvre du plan et de définir, à cette fin, des indicateurs de suivi.

Vous avez soulevé le problème des indicateurs, madame la présidente : ils ne sont en effet pas toujours sexués. Surtout, il n’est pas encore possible de mesurer l’impact du plan au regard de ces indicateurs, car les derniers chiffres relatifs à la pauvreté dont nous disposons concernent l’année 2012, laquelle est antérieure au lancement du plan, au début de l’année 2013. Nous n’aurons donc d’éléments plus précis sur la mise en œuvre du plan qu’à la fin de cette année.

J’ai élaboré le rapport d’évaluation de la première année de mise en œuvre du plan avec mon collègue de l’IGAS Simon Vanackere, qui avait travaillé sur le RSA activité et la PPE avec M. Sirugue. Notre mission était double : outre la rédaction du rapport, nous devions présenter le plan dans l’ensemble des régions et veiller à sa mise en œuvre au niveau territorial. Nous avions ainsi tenu trente réunions régionales, y compris dans les départements d’outre-mer, en présence des préfets de région, qui avaient souvent suivi l’intégralité des débats. Nous avions rassemblé au total 6 000 personnes, ce qui avait créé une dynamique assez forte autour du plan.

À l’issue de cette première année de mise en œuvre, l’animation territoriale a été transférée à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Or celle-ci a tardé à adresser ses instructions aux préfets pour la deuxième année de mise en œuvre. Dans notre premier rapport, nous avions proposé un pilotage territorial à deux niveaux, avec un comité stratégique placé sous l’autorité du préfet de région, en lien avec les présidents de conseils généraux, et un comité opérationnel dans chaque département. La circulaire relative au dispositif de gouvernance et de suivi territorial n’a été diffusée aux préfets qu’au mois de juillet 2014, leur demandant un retour dès le 31 octobre suivant. Bien sûr, cela ne signifie pas que les préfets étaient restés sans rien faire entre-temps.

Pour la troisième année de mise en œuvre du plan, nous avons recommandé que l’animation territoriale soit confiée à une personnalité qui suive le travail des préfets de région, lesquels sont très impliqués depuis l’origine. Il est en effet un peu dommage qu’il y ait eu une certaine perte de dynamisme.

Dans chacun de nos deux rapports, nous avons évalué les sept volets du plan : accès aux droits et aux biens essentiels ; emploi, travail et formation professionnelle ; logement et hébergement ; santé et accès aux soins ; famille, enfance et réussite éducative ; inclusion bancaire et lutte contre le surendettement ; gouvernance des politiques de solidarité.

Commençons par un bilan global de la mise en œuvre du plan. Notre analyse est plutôt positive : dans l’ensemble, le Gouvernement respecte sa feuille de route, même si l’on peut toujours estimer que celle-ci est insuffisante ou qu’il faut l’approfondir, ce que le Premier ministre vient d’ailleurs de faire. Conformément aux engagements pris, les minima sociaux ont tous été revalorisés : non seulement le RSA et l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), mais aussi le complément familial et l’allocation de soutien familial (ASF), que de nombreuses familles monoparentales touchent. De même, les grandes mesures symboliques du plan ont toutes été mises en place : rendez-vous des droits, garantie jeunes, financement de l’insertion par l’activité économique, accompagnement des personnes vers et dans l’emploi, accès au compte. Plusieurs textes législatifs ont été adoptés à cet égard, en particulier la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR).

En revanche, nous avons émis des critiques concernant un certain nombre de retards, outre celui que j’ai déjà mentionné concernant la mobilisation au niveau territorial. Ainsi, les États généraux du travail social, étape importante de réflexion avec les travailleurs sociaux sur le terrain, qui doit notamment déboucher sur une refonte de leur formation, ont avancé moins vite que prévu. D’autres chantiers ont été mis en attente ou modifiés, en particulier celui du dossier simplifié.

Cette idée, avancée par M. Ayrault, était généreuse : les demandeurs devaient pouvoir solliciter le bénéfice de plusieurs prestations au moyen d’un seul dossier. Cependant, l’expérimentation en Seine-et-Marne et en Loire-Atlantique a montré qu’il n’était guère possible de simplifier sans harmoniser au préalable les critères d’attribution des différentes prestations. Le dossier auquel on a abouti n’était, en réalité, qu’une compilation des dossiers préexistants : il comportait trente pages pour six ou sept prestations ! Il y aurait un travail législatif considérable à accomplir pour déterminer les ressources – professionnelles ou autres, individuelles ou familiales – à prendre en compte. C’est d’ailleurs un des aspects du débat sur la fusion du RSA activité et de la PPE.

Deux mesures ont été décidées pour remplacer le dossier simplifié. D’une part, un simulateur des droits en ligne va être mis en place. Il est prêt et a été testé avec des personnes en situation de pauvreté.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je le confirme : j’ai essayé le simulateur avec deux personnes qui sont venues à ma permanence. Il fonctionne assez bien et fournit des informations utiles sur les droits.

M. François Chérèque. En effet. Cela étant, une fois que les intéressés ont connaissance des prestations auxquelles ils ont droit, encore faut-il qu’ils en fassent la demande, ce qui est un autre sujet.

D’autre part, un coffre-fort numérique permettra à ceux qui le souhaitent, en particulier aux personnes sans domicile fixe, de numériser tous leurs documents personnels : carte d’identité, carte de sécurité sociale, etc. Auparavant, lorsque les intéressés perdaient leurs documents, ils pouvaient perdre aussi leurs droits. Tel ne sera plus le cas. En outre, les documents seront ainsi prêts pour faire une simulation des droits.

Ces deux mesures, somme toute positives, compensent l’échec du dossier simplifié. On s’en sort par le haut, si je puis dire.

Nous avons constaté un retard important sur l’ensemble du volet « logement et hébergement », en particulier en matière de construction de logements sociaux. Nous avons fait un certain nombre de préconisations à ce sujet. S’agissant du volet « famille », nous insistons particulièrement sur l’accueil des enfants de moins de trois ans dans les structures collectives, notamment les crèches.

J’en viens à une appréciation plus détaillée de la mise en œuvre du plan, en commençant par le volet « accès aux droits ». L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) a évalué à environ 6 milliards d’euros le montant des droits sociaux non utilisés. Cet argent n’est pas mis de côté au cas où les intéresseraient réclameraient le versement des prestations : le budget de l’État est construit en intégrant une estimation du non-recours. Cela peut paraître choquant au premier abord, mais on ne peut guère faire autrement et il s’agit en réalité d’une mesure de bonne gestion.

Dans le cadre du plan, une démarche importante a été engagée pour améliorer l’accès aux droits. D’une part, il a été demandé aux caisses d’allocations familiales (CAF) d’organiser 100 000 rendez-vous des droits chaque année. En 2014, elles en ont tenu 140 000. En pratique, elles convoquent les personnes à l’occasion de difficultés particulières – décès d’un proche, divorce, rupture, perte d’emploi – afin de calculer leurs droits et de les ouvrir. Nous ne connaîtrons que l’année prochaine la quantité de nouveaux droits ouverts au cours de la première année grâce à cette mesure. Il est utile d’évaluer cette montée en charge, car elle peut entraîner des dépenses supplémentaires.

D’autre part, il a été décidé de simplifier le dispositif en fusionnant le RSA activité et la PPE. Cette mesure est bienvenue. Quelles sont les raisons des difficultés que nous constations dans l’accès au RSA activité ? Selon moi, il y en a principalement trois. D’abord, la complexité du dispositif. Le RSA activité s’adresse par définition à des personnes en situation de précarité, qui peuvent entrer dans le dispositif ou en sortir assez rapidement « par le haut » comme « par le bas ». Ainsi, les bénéficiaires sont souvent des personnes qui touchaient le RSA socle et qui trouvent du travail. Cet emploi peut être stable, mais il est plus souvent précaire. S’ils le perdent, les intéressés reviennent alors au RSA socle. Or les droits ne sont pas calculés une fois pour toutes, mais sur une base trimestrielle, ce qui est source d’indus que les personnes concernées doivent rembourser.

Deuxième raison, que je tiens à mentionner : les effets négatifs du débat sur l’assistanat. Dans le cadre de l’expérimentation conduite en Loire-Atlantique et en Seine-et-Marne, j’ai assisté à des débats de groupe et rencontré des personnes qui refusaient de demander le RSA activité. Il s’agissait notamment de chômeurs en fin de droits qui entraient dans le dispositif « par le haut » après avoir retrouvé un emploi précaire. Ils déclaraient notamment : « je ne suis pas pauvre », « je n’ai pas besoin d’être assisté » ou encore « je ne veux pas être au RSA ». À cet égard, il y a eu une confusion entre le RSA activité, prestation d’assistance destinée à des personnes qui travaillent, et le RSA socle, qui a hérité de l’image négative du revenu minimum d’insertion (RMI), véhiculée notamment par le débat politique sur l’assistanat. Ce phénomène n’est pas négligeable.

Troisième raison : le manque d’information, certaines personnes ne connaissant tout simplement pas l’existence de ce droit.

S’agissant de la PPE, il y avait notamment un problème d’éparpillement : un nombre non négligeable de personnes la touchaient alors qu’elles n’étaient pas du tout dans une situation de pauvreté. Tel était notamment le cas des jeunes qualifiés qui finissaient leurs études pendant l’été, commençaient à travailler en septembre ou octobre et percevaient un revenu inférieur à 2 000 euros avant la fin de l’année : ils avaient droit à la PPE l’année suivante, alors qu’ils étaient en réalité en voie d’insertion. Certains s’émeuvent qu’ils sortent du dispositif avec la réforme en cours, mais la PPE n’était pas faite pour eux.

Dans notre rapport, nous avons recommandé de procéder à la fusion de la PPE et du RSA activité – elle était déjà acquise, mais on a tardé à la faire – en tenant compte de la situation des personnes les plus fragiles par rapport à l’emploi, en particulier des familles pauvres. En effet, si l’on n’avait pris en considération que la situation individuelle au regard de l’emploi, les familles les plus pauvres, en particulier les femmes seules avec enfants, auraient risqué d’y perdre par rapport à l’ancienne prestation. En revanche, si l’on n’avait tenu compte que de la situation du foyer, il n’y aurait plus eu d’incitation à reprendre le travail, ce qui est pourtant l’un des objectifs de la fusion. L’équilibre qui a été trouvé me semble plutôt positif.

Quant à l’intégration des moins de vingt-cinq ans dans le dispositif, elle me semble un élément de justice sociale. On peut toujours avoir un débat sur l’opportunité de rendre le RSA socle accessible aux jeunes appartenant à cette tranche d’âge. En revanche, je m’étonne que ce débat existe à propos du RSA activité : j’entends parfois dire que leur accorder cette prestation serait les pousser vers l’oisiveté. Or il n’en est rien : s’ils la touchent, c’est justement parce qu’ils travaillent ! Il est logique qu’ils en bénéficient de la même façon que les autres. Sur ce point, le projet de loi va donc dans le bon sens.

La principale mesure du volet « emploi » est la garantie jeunes. Très originale, elle allie accompagnement, engagement du jeune et prestation sociale, ce qui est, selon moi, une bonne chose. La problématique rejoint celle du RSA : l’objectif est que les jeunes qui sont en situation d’extrême pauvreté, n’ont aucun revenu et sont en dehors de tout cadre familial et de tout circuit de formation, puissent entrer dans un dispositif d’accompagnement vers l’emploi. Ils signent une sorte de contrat avec la mission locale : en échange d’une indemnité du même montant que le RSA socle, ils s’engagent dans un parcours de formation et d’intégration. La montée en charge de la mesure a été lente, car elle impliquait un changement de pratiques professionnelles de la part des missions locales. En effet, les jeunes concernés ne viennent pas d’eux-mêmes dans les missions locales : pour pouvoir les accompagner, il faut les orienter vers ces missions, notamment avec l’aide des travailleurs sociaux. Je rencontre d’ailleurs la même difficulté pour le service civique : il faut « aller chercher » les jeunes qui en ont le plus besoin, et le leur présenter. La montée en charge est désormais satisfaisante : le Premier ministre souhaite passer de 10 000 à 50 000 garanties jeunes en 2015 et étendre le dispositif à plusieurs dizaines de territoires supplémentaires.

En ce qui concerne le volet « logement et hébergement », outre ce que j’ai indiqué précédemment, je souhaite soulever le problème de l’hébergement en hôtel des familles qui sont à la rue, notamment des femmes seules avec enfants. Nous avons demandé une action urgente en la matière. En effet, plusieurs rapports, en particulier ceux du SAMU social de Paris et de Médecins sans frontières, ont dénoncé des conditions d’hébergement qui rappellent les camps de réfugiés, notamment du point de vue sanitaire. Ils demandent de mettre fin à ces situations précaires et d’héberger ces personnes dans des logements stables. Lorsque les intéressés ne remplissent pas les conditions pour avoir accès à un logement social, il est possible de recourir aux associations qui pratiquent l’intermédiation : celles-ci prennent en location des appartements, y compris des logements sociaux, et les « sous-louent » aux personnes concernées, dont certaines, notons-le, ont un travail.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’avais reçu le SAMU social, qui m’avait exposé le contenu de son rapport. Les conditions de vie dans les hôtels sont souvent scandaleuses, alors que ce type d’hébergement coûte très cher : des dizaines de millions d’euros, voire davantage. Avez-vous évalué ce montant ? Ne pourrait-on pas utiliser tout ou partie de cet argent pour loger les familles en faisant appel aux associations qui pratiquent l’intermédiation ? C’est sans doute très difficile à Paris, où les loyers sont très élevés.

M. François Chérèque. L’hébergement en hôtel coûte en effet très cher. De plus, les personnes concernées sont éparpillées dans des hôtels qui, dans les grandes agglomérations telles que Paris ou Lyon, sont souvent situés à la périphérie, ce qui rend l’accompagnement social très difficile. Passer par des associations qui pratiquent l’intermédiation permet de réaliser une économie certes modeste sur l’hébergement – cela coûte moins cher de louer un appartement que de payer des nuits d’hôtel –, mais cette différence est réinvestie dans l’accompagnement social, ce qui est fondamental. Avec un même montant, on peut donc à la fois héberger les familles et les suivre, l’objectif étant qu’elles ne se retrouvent pas de nouveau sans domicile.

Cependant, il existe une limite, sur laquelle nous avons appelé l’attention dans nos deux rapports : les personnes hébergées en hôtel sont souvent des déboutés du droit d’asile qui ne sont pas régularisables – ce qui les empêche d’avoir accès au logement social –, mais pas non plus expulsables, parce qu’ils ont des enfants français. Cette zone grise crée une situation de blocage.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les « ni-ni » n’ont en effet pas accès au logement social, mais les associations qui pratiquent l’intermédiation peuvent mettre un logement à leur disposition. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi on ne passe pas de l’hébergement en hôtel, très onéreux en plus d’être souvent inhumain, à cette solution, dont le coût est équivalent, voire moindre ? Quels sont les freins ?

M. François Chérèque. Ce qui a freiné jusqu’à présent, c’est l’absence de reconnaissance de la situation des « ni-ni ». Le plan proposé par le Gouvernement va dans le bon sens : il prévoit d’utiliser provisoirement au profit de l’intermédiation une partie des fonds dédiés à l’hébergement en hôtel. La situation est paradoxale : les associations se plaignent que le Gouvernement restreigne les moyens pour financer les nuitées d’hôtel, qui sont déjà insuffisants par rapport à la demande, alors que, en réalité, les fonds consacrés globalement à l’hébergement d’urgence augmentent d’année en année. Le Gouvernement a d’ailleurs rempli tous ses objectifs en termes de création de places supplémentaires. Cependant, plus il dépense pour créer des places, plus la demande s’accroît. À un moment donné, il devient nécessaire de trouver une solution, non seulement pour des motifs humanitaires ou de santé publique, mais aussi pour des raisons financières évidentes.

Mme Maud Olivier. Le département de l’Essonne, où je suis conseillère générale, s’est beaucoup engagé en matière d’hébergement, en particulier pour les familles avec enfants. Or nous constatons que le SAMU social propose de plus en plus fréquemment des hébergements de court séjour, c’est-à-dire de moins de vingt-huit jours, ce qui rend l’accompagnement social et le suivi des enfants très difficile. Avez-vous des informations sur cette notion de court séjour ?

M. François Chérèque. Je n’ai pas de précisions à vous apporter sur ce point, que je n’ai pas examiné dans le cadre du rapport. En tout cas, votre propos rejoint le mien : les hébergements de court séjour, notamment les nuitées d’hôtel, ne permettent pas de faire un accompagnement social efficace.

Les préfectures sont en train de réaliser un diagnostic à 360 degrés en matière d’hébergement d’urgence et de logement. Il s’agit d’évaluer concrètement la situation, département par département. Les résultats seront connus dans les mois qui viennent. Je ne suis pas hostile à ce que l’on recoure à l’hébergement en hôtel, y compris de manière massive, dans des régions très urbanisées telles que l’Île-de-France ou Rhône-Alpes. En revanche, dans d’autres territoires, c’est bien souvent une solution de facilité, par ailleurs coûteuse, alors qu’il existe des logements sociaux vides et qu’il est possible de faire appel à l’intermédiation.

S’agissant du volet « santé », les plafonds d’attribution de la CMU-C et de l’ACS, ont été relevés de 7,5 % au début de la mise en œuvre du plan. La mesure a été efficiente : environ 600 000 personnes en ont bénéficié sur 750 000 éligibles, ce qui est appréciable. En outre, le panier de soins a évolué pour les personnes éligibles à la CMU-C.

Dans notre premier rapport, nous avions fait un certain nombre de remarques concernant la prise en charge de malades mentaux. Au cours des rencontres que nous avions organisées, beaucoup d’intervenants étaient revenus sur le lien entre maladie mentale et difficultés sociales, ainsi que sur les problèmes d’articulation entre la politique sanitaire mise en œuvre par les agences régionales de santé (ARS) et l’action sociale qui relève des conseils généraux. Sur le terrain, les préfets et les ARS se critiquent mutuellement. Il me semble intéressant d’avoir intégré cette problématique dans le projet de loi relatif à la santé. Nous verrons ce qu’il en ressortira sur le plan opérationnel.

Dans notre deuxième rapport, nous avons exprimé notre soutien à la généralisation du tiers payant prévue par le projet de loi. Dans le débat, on entend que cette mesure ne devrait profiter qu’aux plus pauvres. Mais, à ce moment-là, où placer le curseur ? Car il y a toujours un problème de seuil : lorsque l’on fixe un plafond de revenus pour l’attribution d’une prestation telle que l’ACS, le risque est d’exclure les populations dont les revenus oscillent autour de ce plafond. À certaines périodes, elles auront droit à la prestation, mais à d’autres, non. Globalement, elles n’en bénéficieront pas. La généralisation du tiers payant est donc une mesure de simplification bienvenue, même s’il est probable que la population la plus aisée n’en a pas vraiment besoin. Pour de fausses raisons de justice sociale, on en viendrait à fixer des seuils qui excluraient de fait les plus pauvres.

Autre élément du débat : certains craignent que la généralisation du tiers payant ne conduise à une augmentation des dépenses de soins. Or les explications des responsables du Fonds CMU-C sont très claires à cet égard. Lorsque des personnes qui n’avaient pas droit initialement à la CMU-C entrent dans le dispositif, on observe, dans un premier temps, une augmentation des dépenses de santé, qui correspond à un décalage temporel dans l’accès aux soins : ces personnes, qui ne se soignaient pas auparavant en raison de difficultés financières, le font désormais parce qu’elles ont une couverture sociale. Si l’on estime que ces dépenses supplémentaires ne sont pas légitimes, c’est que l’on a une vision financière qui n’est guère compatible avec les objectifs de santé publique ! Dans un second temps, toujours selon les responsables du Fonds CMU-C, on assiste à une stabilisation : une fois que ces personnes se soignent régulièrement, elles ne consomment pas davantage de soins que les autres, bien qu’elles bénéficient de la gratuité totale. Je tenais à rappeler ce point important.

Quelles sont les raisons du faible taux de recours à l’ACS ? D’abord, cette prestation a été mise en place récemment – il y a un peu moins de dix ans – et n’est pas encore très connue. En outre, il y a, là aussi, un problème de seuil : les personnes qui sortent du dispositif de la CMU-C ne demandent pas toujours à bénéficier de l’ACS, dont l’attribution est moins automatique que celle de la CMU-C. Enfin, jusqu’à récemment, les bénéficiaires de l’ACS, même les personnes en situation de pauvreté stable, devaient en demander le renouvellement chaque année.

Dans notre premier rapport, nous avions demandé que les bénéficiaires de l’ASPA – qui a remplacé le minimum vieillesse – aient automatiquement accès à l’ACS. On peut en effet penser que ces personnes continueront à toucher l’ASPA jusqu’à la fin de leurs jours. Dès lors, pourquoi leur demander de présenter une nouvelle demande chaque année ? Nous avons obtenu non pas l’accès direct à l’ACS, mais son renouvellement automatique : lorsque les allocataires de l’ASPA demandent l’ACS, ils le font désormais une fois pour toutes. Or c’était là une des raisons du non-recours : plus les personnes avançaient en âge, moins elles avaient le réflexe de faire leur demande. D’autant qu’il n’est pas aisé de rassembler les documents nécessaires à la constitution du dossier : il faut s’adresser à plusieurs organismes, c’est-à-dire à ses propres caisses de retraite de base et de retraite complémentaire si l’on a travaillé, ainsi qu’à la caisse de son ex-conjoint si l’on touche une pension de réversion – la plupart des bénéficiaires de l’ASPA sont des femmes. De surcroît, ces personnes ont souvent eu une vie assez pénible et elles ne disposent pas toujours des connaissances administratives nécessaires pour accomplir ces démarches.

D’autre part, nous avons proposé que les allocataires du RSA socle aient un accès automatique à la CMU-C. Actuellement, ils doivent en faire la demande, ce qui est source de complexité. Et la difficulté est réelle : le taux de recours des bénéficiaires du RSA socle à la CMU-C s’établit seulement à un peu plus de 60 %. La mesure que nous proposons aurait le mérite de simplifier le dispositif tout en améliorant l’accès aux droits. Pour le moment, elle est en discussion. Elle aurait certes un coût, mais je ne suis pas certain qu’il soit considérable.

Dans d’autres rapports, j’avais proposé que l’on évalue le coût du non-accès aux droits. Par exemple, certaines personnes qui ne bénéficient pas de la CMU-C renoncent à faire soigner les caries de leurs enfants. Or cela coûte beaucoup plus cher le jour où il devient indispensable de faire enlever une dent. Si l’on chiffrait ces phénomènes, on se rendrait probablement compte que l’accès automatique aux droits représente certes un coût supplémentaire une année donnée, mais que tel n’est pas nécessairement le cas sur plusieurs années.

Concernant le volet « famille et enfance », nous avons choisi de suivre, comme l’année dernière, l’évolution des taux de pauvreté, qui sont des indicateurs importants. Dans le rapport de cette année, j’ai souhaité mettre l’accent plus particulièrement sur la situation des enfants pauvres.

D’après les chiffres dont nous disposons, le taux de pauvreté des plus de soixante-cinq ans a diminué de 0,9 point en un an pour atteindre 8,4 % – il n’est donc pas supérieur à 10 % comme j’ai pu l’entendre hier à la radio. Ce taux baisse de manière sensible et continue depuis trente ans. Cela tient, pour une part, au bon fonctionnement de notre système social : les politiques sociales mises en place pour sortir les personnes âgées de la pauvreté ont été efficaces, en particulier l’augmentation de l’ASPA de 25 % sur cinq ans. Surtout, les générations qui arrivent aujourd’hui à la retraite ont des carrières de plus en plus complètes, y compris les femmes.

En revanche, le taux de pauvreté des moins de dix-huit ans a augmenté de manière constante depuis dix ans pour atteindre aujourd’hui 19,6 %. Dès lors, la question qui se pose est la suivante : peut-on avoir une politique sociale qui réponde à l’enjeu actuel, à savoir la pauvreté des enfants ? J’ai constaté qu’il était beaucoup question de la pauvreté des personnes âgées dans les médias, ce qui est positif, mais qu’on parlait très peu de celle des enfants, y compris dans les rapports des associations caritatives. Il y a une difficulté à aborder ce problème. L’expression « pauvreté des enfants » est d’ailleurs impropre, car les enfants, cela va de soi, ne vivent pas seuls et ne perçoivent pas de revenus : il s’agit d’enfants qui vivent au sein de familles pauvres, notamment de familles monoparentales, qui sont souvent, vous l’avez dit, madame la présidente, des femmes seules avec enfants. En un an, la part des familles monoparentales en situation de pauvreté est passée de 34,6 à 36 %. Cela tient à la crise économique : les emplois précaires sont les premiers à être supprimés ; et, lorsqu’un couple se sépare, les enfants restent généralement avec leur mère, laquelle occupe souvent un emploi plus précaire que le père.

Le plan contient plusieurs mesures positives à cet égard. D’une part, la garantie contre les impayés de pension alimentaire, expérimentée dans vingt départements, semble bien fonctionner : lorsque le parent qui doit verser la pension ne le fait pas – il s’agit, dans la très grande majorité des cas, du père –, la CAF verse au parent qui devait en bénéficier un montant de 95 euros par mois et par enfant, à charge pour elle de se faire rembourser ensuite par le mauvais payeur. Nous avons recommandé la généralisation de la mesure. D’autre part, la revalorisation des minima sociaux, de près de 50 % sur la durée du plan, aura un effet important.

Néanmoins, il nous semble nécessaire de dépasser la politique actuelle. Plusieurs études récentes ont montré que les mères seules avec enfants étaient d’autant plus touchées par la pauvreté que leur niveau de qualification était faible. Nous proposons donc de compléter la revalorisation des prestations par une action d’accompagnement renforcé de ces personnes vers la formation et vers l’emploi. Le plan de lutte contre le chômage de longue durée présenté par M. Rebsamen s’inspire des réflexions sur ce point.

Nous recommandons, en outre, de faciliter l’accès aux structures d’accueil collectif. Cette mesure figure déjà dans le plan, mais il s’agit d’accélérer sa mise en œuvre. Il y a notamment eu un débat sur les cantines, qui sont de plus en plus nombreuses à n’accueillir que les enfants dont les deux parents travaillent.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’Assemblée nationale a adopté jeudi dernier en première lecture une proposition de loi obligeant les communes à accueillir tous les enfants dans les cantines, y compris ceux dont les parents sont chômeurs.

M. François Chérèque. Cette évolution législative va dans le bon sens. Ainsi que le plan le prévoit, il faut que le nombre d’enfants issus de familles modestes accueillis par les structures collectives – non seulement les cantines, mais aussi les crèches, les assistantes maternelles et, surtout, les écoles, s’agissant notamment des enfants de moins de trois ans – soit représentatif de leur part dans la population du même âge sur un territoire donné. Avec les moyens supplémentaires qui lui ont été attribués, l’éducation nationale fournit un gros effort pour ouvrir l’accès à l’école maternelle aux enfants de deux ans, dès qu’ils sont propres. À ce stade, reconnaissons-le, les familles qui étaient visées en priorité par cette mesure amènent moins leurs enfants à l’école que les parents des classes moyennes, qui ont une meilleure connaissance du droit. Il faut donc aller dans ces familles, avec les travailleurs sociaux, pour les convaincre que l’intérêt de leur enfant est d’aller à l’école, même si eux-mêmes ne travaillent pas et qu’il fait froid, parce que c’est un élément de socialisation et d’intégration. La reproduction sociale, on le sait, commence très tôt.

Je récapitule les cinq recommandations principales de notre rapport : à l’intention des familles pauvres, mettre en place un accompagnement renforcé vers l’emploi pour les parents et améliorer l’accueil des enfants dans les structures collectives ; fusionner le RSA activité et la PPE ; instaurer un accès automatique à la CMU-C pour les allocataires du RSA socle ; préférer l’intermédiation locative à l’hébergement en hôtel ; mener à bien les États généraux du travail social. Le Gouvernement a plutôt suivi ces propositions.

Mme Maud Olivier. La scolarisation des enfants de moins de trois ans est le problème non seulement des parents, mais aussi des municipalités : certaines d’entre elles refusent de scolariser les enfants de deux ans, parce qu’elles estiment que cela leur coûte trop cher, mais aussi parce que les parents sont souvent des demandeurs d’asile ou des personnes bénéficiant de l’hébergement d’urgence. Il faut que les préfets jouent leur rôle en la matière.

M. François Chérèque. Vous soulevez là un véritable problème. Conformément à ce qui était prévu dans le plan, les préfets ont été chargés d’élaborer un schéma territorial de la parentalité et de la petite enfance. La circulaire correspondante a été diffusée au mois de janvier. Or on se heurte à la complexité administrative, tant les acteurs sont nombreux : l’État, avec l’éducation nationale ; les CAF, avec les mesures de soutien à la parentalité ; les conseils généraux, avec la protection maternelle et infantile (PMI) ; les responsables de crèches, etc. On ne sait pas qui doit être le chef de file dans le cadre de ces schémas, et c’est au préfet qu’il revient de mettre tout le monde d’accord.

M. Christophe Sirugue. Je vous remercie pour votre travail, monsieur le président. Des plans de toute nature, nous en avons connu ! Or, pour la première fois, un véritable suivi est mis en place : l’évaluation très fine et très sérieuse que vous réalisez chaque année est très utile pour tous ceux qui participent à un titre ou à un autre – associations, élus, etc. – à la politique de lutte contre la pauvreté, mais aussi pour les publics concernés.

Je suis très préoccupé par la précarité croissante des femmes. Elle résulte notamment de trois phénomènes qui se sont cumulés ces quinze ou vingt dernières années : les femmes sont les principales concernées par l’augmentation de la monoparentalité ; les femmes touchent souvent les pensions de retraite les plus faibles, parce qu’elles ont eu des carrières plus hachées ; les femmes sont celles qui subissent les diminutions de niveau de vie les plus importantes à la suite des ruptures familiales. À cela s’ajoute une précarité professionnelle très importante, liée au développement de certains métiers dans lesquels – malheureusement, si je puis dire – les femmes sont souvent très représentées : commerce en grande surface, nettoyage, services à la personne, etc.

Dans le cadre de l’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté, pourrions-nous disposer, l’année prochaine, d’une analyse plus fine des situations de précarité et de pauvreté que connaissent les femmes ? Certes, les femmes bénéficient des dispositifs généraux de lutte contre la pauvreté, mais certaines problématiques qui leur sont propres mériteraient d’être davantage soulignées. Nous pourrions alors envisager des textes qui permettent d’avancer sur ces questions.

M. François Chérèque. Je n’ai pas encore de feuille de route pour les années qui viennent en ce qui concerne l’évaluation du plan ! En revanche, j’en ai une bien fournie pour ce qui est du service civique.

Vous avez abordé, monsieur Sirugue, un sujet très important. On a cherché à répondre à cette situation notamment en fixant à vingt-quatre heures la durée hebdomadaire minimale du travail à temps partiel. Cette disposition a été très critiquée après la conclusion de l’accord national interprofessionnel qui la contenait, y compris par un certain nombre de signataires. La préoccupation des organisations syndicales était que l’on ne puisse pas descendre au-dessous d’un certain niveau d’emploi. Cependant, j’observe que de nombreuses branches signent des accords dérogatoires, en particulier dans les secteurs que vous avez cités. C’est une difficulté. Notre système économique a certes besoin de variables d’ajustement, mais pas nécessairement de celle-là.

D’une manière générale, selon moi, on ne peut plus lutter contre la pauvreté uniquement par des mesures monétaires. Celles-ci sont utiles, mais il faut aller au-delà, en proposant des services et une aide aux personnes pour sortir de la pauvreté. S’agissant des familles monoparentales, il s’agit de faciliter l’accès à la qualification et à l’emploi. Ce type de mesures est non seulement plus efficace dans la durée, mais aussi mieux accepté socialement. À cet égard, il faut être conscient qu’une partie de plus en plus importante de la population est en train de prendre ses distances avec les politiques de solidarité. Selon une enquête annuelle réalisée depuis trente-cinq ans par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), que nous avons citée dans notre rapport, le taux d’acceptabilité de notre système social n’a jamais été aussi bas en France. La pression de l’opinion devient d’ailleurs inquiétante en la matière.

Votre remarque sur le calcul des pensions est juste, monsieur Sirugue. D’autre part, si la pauvreté baisse actuellement chez les personnes âgées, elle augmentera à nouveau dans une quinzaine d’années, compte tenu du nombre de personnes qui touchent le RSA socle et ne sont pas en situation de cotiser. Notre système social a très bien fonctionné pendant plusieurs années, notamment du fait de l’accès des femmes à l’emploi. Mais cette tendance favorable est en train de s’inverser en raison du chômage de longue durée et de la pauvreté. À l’âge de la retraite, les personnes qui sont dans ces situations seront les premières touchées.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Lors de l’examen de plusieurs textes de loi, notamment de la réforme des retraites, nous avons constaté que les dérogations au code du travail s’appliquaient majoritairement aux femmes. D’autre part, nous subissons aujourd’hui les conséquences de l’explosion du temps partiel dans les années 1990, que nous avons nous-mêmes favorisée avec certaines dispositions.

M. Jacques Moignard. Vous avez évoqué la multiplicité des acteurs qui interviennent dans le champ social, monsieur le président. Je me réjouis d’ailleurs que les départements conservent leurs compétences en la matière. Cependant, les personnes en situation de pauvreté sont confrontées à un dédale administratif insupportable ! Nous recevons dans nos mairies des gens désorientés, et nous le sommes nous-mêmes car les réponses des différents organismes à nos questions ne sont pas toujours cohérentes ! Ainsi, une personne en situation de pauvreté extrême, ne disposant plus d’aucune ressource, s’est récemment adressée à moi. Elle a atteint l’âge de la retraite après avoir très peu cotisé. Pendant six mois, elle a perçu à tort l’allocation aux adultes handicapés (AAH), soit au total 5 500 euros que la CAF lui demande de rembourser, ce qu’elle n’a pas les moyens de faire. Je l’ai orientée vers le centre communal d’action sociale (CCAS), en lui suggérant de demander le RSA. J’ignore comment nous allons pouvoir l’aider. Comment faciliter la tâche des travailleurs sociaux, des caisses de sécurité sociale et, surtout, des demandeurs ? La simplification est peut-être pour demain, mais, en tout cas, elle n’est pas pour aujourd’hui !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le nouveau système issu de la fusion du RSA activité et de la PPE sera-t-il plus simple que l’ancien ? Une critique que j’ai lue dans la presse à ce sujet m’a inquiétée. Auparavant, il était tenu compte des revenus de la famille pour le calcul du RSA activité, mais pas pour celui de la PPE, qui était une prime personnelle.

M. François Chérèque. La simplification du système est l’un des enjeux du débat parlementaire. Pour certaines prestations, la CAF a mis en place un mécanisme de « droits glissants » : dès lors qu’une personne a droit à une prestation au début d’un trimestre, elle la conserve jusqu’au trimestre suivant. Il s’agit d’une simplification qui évite les indus, la situation du bénéficiaire n’étant réexaminée que quatre fois au cours de l’année.

Vous avez soulevé une vraie question concernant l’AAH, monsieur Moignard. Dans un rapport que j’ai remis en 2014 sur les liens entre handicap et pauvreté, j’ai recommandé, d’une part, que l’AAH soit renouvelée non pas tous les ans, mais tous les cinq ans lorsque la situation de handicap le justifie et, d’autre part, que l’on examine simultanément l’éligibilité à l’AAH et au RSA, afin que les personnes qui n’auraient plus droit à l’AAH « basculent » immédiatement dans le dispositif du RSA. Ces propositions devraient en principe être retenues.

L’étalement des renouvellements dans le temps soulagera partiellement les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui commencent à être engorgées. Ainsi, les MDPH pourront accorder l’AAH pour dix ans si elles estiment que la situation de handicap a peu de chances d’évoluer. C’est une mesure de simplification : actuellement, il arrive que l’on demande à des personnes qui resteront handicapées toute leur vie de solliciter chaque année le renouvellement de l’AAH. En fait, les règles en vigueur résultent d’un accord « donnant donnant » entre les pouvoirs publics et les associations compétentes en matière de handicap : on avait relevé le montant de l’AAH de 25 % – comme celui de l’ASPA –, mais, en contrepartie, on avait augmenté la fréquence des renouvellements afin d’éviter les dérives. Cependant, ce n’est pas nécessairement sur ce point que les dérives sont les plus importantes.

Là encore, si l’on souhaite vraiment simplifier le dispositif, il faudra se mettre d’accord sur les ressources à prendre en compte (base ressources). Mais nous devrons alors assumer collectivement le fait que certaines personnes y gagneront et d’autres y perdront provisoirement.

Mme Catherine Quéré. Dans ma circonscription, j’ai eu à connaître du dossier d’une femme qui était en situation de très grande précarité : elle avait perdu son emploi et on lui avait enlevé la garde de ses enfants. Je l’avais orientée vers une assistante sociale. J’ai rencontré récemment cette dernière et lui ai demandé des nouvelles de cette femme. Elle m’a répondu que les assistantes sociales recevaient les personnes qui venaient les voir, qu’elles les aidaient et leur donnaient des conseils, mais qu’elles n’avaient plus le temps ni les moyens d’assurer un suivi, contrairement à ce qu’elles faisaient autrefois. En outre, alors qu’elles avaient auparavant un rôle assez général, il y a désormais des puéricultrices, des conseillères familiales, etc. Or ces différents intervenants ne se parlent pas. C’est dramatique pour les demandeurs : on a recherché cette femme, elle s’était mise à boire...

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ainsi que vous l’avez indiqué, monsieur le président, il est indispensable de tenir les États généraux du travail social. Ce sont les conseils généraux qui organisent le travail des assistantes sociales et leur donnent des instructions. Autrefois, celles-ci se rendaient en effet dans les familles, ce qui leur permettait de se rendre compte du contexte et des conditions de vie. Désormais, conformément à ce qui leur a été demandé, elles font venir les familles. Peut-être est-ce là une évolution normale, mais cela les a beaucoup éloignées du terrain.

M. François Chérèque. Le système est très complexe, car il existe des professionnels pour chaque prestation : l’État est compétent en matière de logement et d’hébergement, le département l’est pour telle allocation, la CAF pour telle autre, etc. Lorsque nous avons tenu nos réunions au niveau territorial, les personnes en situation de pauvreté nous ont indiqué qu’elles avaient un interlocuteur différent pour chaque problème. Il s’agira en effet d’un sujet central pour les États généraux du travail social. Ne pourrait-on pas envisager que le suivi d’une personne donnée soit confié au premier interlocuteur auquel elle s’adresse ?

Dans la feuille de route pour les années 2015 à 2017, le Premier ministre a repris la notion d’accompagnement, qui ne figurait pas dans la première feuille de route. Faut-il aller jusqu’à créer un droit à l’accompagnement ? En la matière, le droit au logement opposable a un peu traumatisé tout le monde. En tout cas, il faut mettre en place un système qui permette d’accompagner les personnes dans la durée. D’autant qu’elles sont obligées de raconter leur vie à chaque nouvelle démarche, ce qui est parfois très dur psychologiquement, ainsi que plusieurs d’entre elles nous l’ont fait remarquer. Elles préféreraient que les services se mettent d’accord entre eux plutôt que d’invoquer le secret professionnel ! Nous allons tenter de répondre à ces difficultés en travaillent sur la notion d’accompagnement, mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Mme Catherine Quéré. Dans ma circonscription très rurale, les assistantes sociales ne travaillent souvent qu’un ou deux ans avant de partir s’installer en ville, notamment à La Rochelle. C’est un vrai problème : les personnes se plaignent de ne jamais avoir affaire à la même assistante sociale, et elles doivent en effet raconter leur histoire chaque fois, essayer de la faire comprendre. De plus, comme les assistantes sociales ne se déplacent plus dans les familles, on oblige les demandeurs à se rendre dans les mairies, ce qui n’est pas toujours aisé compte tenu des difficultés de transport.

M. François Chérèque. Plusieurs mesures récentes sont susceptibles de faciliter l’accès aux droits, notamment dans les milieux ruraux : la création des maisons de services au public, que La Poste est d’ailleurs prête à héberger dans ses bureaux et points d’accueil – il y en a encore 17 000 sur le territoire national –, mais aussi la mise à disposition du simulateur des droits, que l’on pourrait très bien installer dans ces mêmes locaux. Nous pourrions d’ailleurs y déployer des jeunes en service civique pour aider les personnes à saisir leur demande, car celles-ci ont parfois du mal à suivre les évolutions informatiques.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie, monsieur le président, pour votre intervention passionnante. Ainsi que l’a relevé Christophe Sirugue, la méthode employée est exemplaire : votre rapport d’évaluation est très utile au législateur, notamment en vue d’améliorer la loi.

Audition de Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), et de Mme Marie Becker, cheffe de projet au CSEP, sur le sexisme dans le monde du travail et sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de 50 à 300 salariés

Compte rendu de l’audition du mardi 24 mars 2015

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame la secrétaire générale, la délégation aux droits des femmes est heureuse de vous recevoir pour vous entendre présenter deux rapports fort intéressants que le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) vient de publier, l’un portant sur le sexisme dans le monde du travail, l’autre sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de 50 à 300 salariés.

Les travaux du CSEP tout comme ceux du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) permettent à la délégation d’aller plus vite et plus loin dans l’examen des textes de loi, que vous accompagnez par la suite d’évaluations. Notre collaboration est extrêmement performante. Elle donnera, je l’espère, des résultats très efficaces en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

Nous allons d’abord vous entendre à propos du rapport sur le sexisme dans le monde du travail, sujet insuffisamment pris en compte et qui ne recouvre que partiellement les agissements visés dans la loi sur le harcèlement sexuel du 6 août 2012.

Nous aimerions que vous nous présentiez ses grandes lignes et que vous mettiez en avant la façon dont la lutte contre le sexisme peut trouver une traduction juridique. Faut-il définir le sexisme dans la loi ? Comment faire en sorte que les femmes qui en sont victimes puissent se défendre ?

À ce propos, je rappellerai que lorsqu’il a été récemment question de renforcer la lutte contre les discriminations, notamment pour des faits d’antisémitisme ou d’homophobie, Yvette Roudy m’a immédiatement appelée pour me demander de reprendre les dispositions de lutte contre le sexisme qu’elle n’avait pas pu faire passer en 1983. Nous tenons peut-être une autre occasion d’avancer sur ce sujet.

Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Madame la présidente, mesdames les députées, c’est la première fois que je suis auditionnée à l’Assemblée nationale en tant que secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Je suis très heureuse de rendre compte du travail de cette instance, créée en 1983 par la loi « Roudy », et dont la rénovation en 2013 a été marquée par la création de la fonction de secrétaire générale. Même si nos moyens ne sont pas à la hauteur de nos espérances, nous comptons bien nous développer pour vous proposer encore plus de rapports et vous faire encore plus de suggestions concernant les politiques publiques à mettre en œuvre dans les lois.

Le CSEP s’est attaqué dès sa rénovation à la question du sexisme. Une enquête menée auprès de neuf grandes entreprises françaises nous a permis de recueillir les réponses de 15 000 salariés, femmes et hommes, à un questionnaire couvrant divers aspects de la vie au travail, des réunions jusqu’aux interactions devant la machine à café, des situations de gouvernance aux périodes de grossesse. Il s’agissait pour nous de mettre au jour ce qui, dans les relations entre femmes et hommes, était ressenti comme du sexisme. Les résultats sont impressionnants : plus de 80 % des femmes salariées considèrent qu’elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou à des décisions sexistes, 56 % des hommes salariés ont déclaré en avoir été témoins et 90 % des femmes victimes de sexisme estiment que ces attitudes ont eu un effet négatif sur leur sentiment d’efficacité personnelle. Autrement dit, le sexisme a un impact direct sur le bien-être des salariés et donc sur leur performance au travail.

Fort de ces résultats, le Conseil supérieur a publié un avis, à la suite duquel il a été décidé d’aller plus loin. C’est ainsi que nous avons rédigé ce rapport sur le sexisme dans le monde du travail, remis le 6 mars dernier à Mme la ministre des affaires sociales et à Mme la secrétaire d’État en charge des droits des femmes.

Ce rapport, j’insiste sur ce point, est innovant. Nous avons trouvé très peu d’éléments sur le sexisme au niveau de l’Union européenne, exception faite de la Belgique, dans le domaine de la psychologie sociale, les informations venant principalement des États-Unis. D’une façon générale, ce sujet demeure largement inexploré. Ce qui prévaut dans le monde du travail, c’est la loi du silence. Le mot « sexisme » est un mot tabou : on parle de « misogynie », de « machisme », alors que les mots de « racisme » et « homophobie » ont droit de cité.

Nous nous sommes posé la question de savoir pourquoi le sexisme se heurtait à tant de résistances et faisait l’objet d’une telle euphémisation dans le monde du travail.

C’est d’abord, nous semble-t-il, parce qu’il prend place dans le tissu des relations quotidiennes entre femmes et hommes, qui supposeraient humour et distanciation. C’est ensuite que ce terme est mal défini : il désigne aussi bien des actes clairement visés dans notre droit, comme la discrimination, le harcèlement, les agressions sexuelles voire le viol, que des actes plus anodins, qui se manifestent de manière plus subtile et insidieuse, que l’on pourrait ranger dans la catégorie du sexisme ordinaire – on parle même de « minutie du sexisme » –, incidents mineurs et micro-agressions qui, additionnés, créent de la souffrance au travail.

Tout cela pose une question très délicate : où se situe la limite entre le caractère acceptable et le caractère blessant dans les actes, les propos, les attitudes de la vie quotidienne en entreprise ? La grande difficulté qu’il y a à la saisir exige de s’entourer de précautions.

La notion de sexisme est née aux États-Unis dans les années soixante, par analogie avec le mot « racisme » apparu trente ans plus tôt, pour désigner un déséquilibre hiérarchique entre femmes et hommes, et un phénomène d’exclusion et de concentration du pouvoir dans les mains de ceux qui le détiennent déjà.

Cette notion renvoie bien évidemment aux systèmes de représentation. Elle repose sur la construction sociale des rôles de sexe à travers une valence différentielle qui accorde au masculin un coefficient symbolique positif par rapport au féminin. Elle a à voir avec les stéréotypes qui, rappelons-le, ne créent pas les inégalités mais les légitiment en les naturalisant et en les rendant invisibles.

Le mot sexisme se réfère, d’une part, à une idéologie, qui proclame la supériorité d’un sexe sur l’autre, d’autre part, à des actes et des pratiques s’inscrivant dans un continuum des violences, de la plus anodine jusqu’à la plus grave.

Trois étapes ont marqué l’histoire du sexisme. D’un sexisme ouvertement hostile mettant en avant de prétendues qualités naturelles des femmes en les privant d’accéder à certains espaces pour mieux les confiner dans d’autres, nous sommes passés dans les années soixante-dix à un sexisme masqué : à une époque où les luttes féministes ont commencé de produire leurs effets tant dans le domaine du droit que des politiques d’accompagnement, il est devenu politiquement incorrect de se dire sexiste, et ce phénomène a pris des formes subtiles. Aujourd’hui, prévaut ce que l’on pourrait appeler un sexisme ambivalent : en apparence bienveillant, il consiste à attribuer aux femmes des qualités prétendument positives, tout en les maintenant dans un statut de subordonnées et dans une logique de protection. Ce faisant, il reproduit une division des qualités, des aptitudes et des comportements dans laquelle les femmes sont considérées comme complémentaires des hommes et non comme leurs pairs. Il se manifeste dans la mise en avant d’un modèle androgyne de l’entreprise qui attribue certaines compétences et certains postes aux femmes – direction des ressources humaines, communication – et d’autres aux hommes – le leadership, la finance et la stratégie. Cette forme de sexisme renoue avec une division sexuelle des fonctions et une naturalisation des compétences de l’ordre de la discrimination.

Je n’entre pas dans le détail des différentes manifestations du sexisme : blagues, incivilité, police des codes sociaux de sexe, interpellations familières, fausse séduction. Je soulignerai avant tout la façon dont les femmes façonnent des stratégies de réponse au sexisme. Le plus souvent, elles adoptent une attitude de déni, de contournement ou d’euphémisation. L’affrontement est assez rare : le coût en est plus lourd pour elles que l’acceptation. Elles préfèrent faire comme si elles n’avaient rien vu, ce que les Anglo-Saxons appellent la stratégie de coping, une logique de protection mise en œuvre pour se préserver de la menace ou de l’agression : notre enquête a ainsi montré qu’à peine 8 % des femmes ont fait appel à leur supérieur hiérarchique ou aux syndicats pour dénoncer le sexisme. Ou alors elles déploient des stratégies de blanchiment à travers lesquelles le sexisme est repeint avec des couleurs qui le rendent acceptable aux yeux de celles qui en sont victimes, ce qui va jusqu’au déni, à l’évitement, voire au retrait et au désengagement du travail.

Le sexisme n’a rien d’anodin. Il crée de la souffrance. C’est une entorse au bien-être et à la qualité de la vie au travail. Isabelle Boni a ainsi montré comment les femmes en situation de gouvernance mettaient en place des stratégies de passing pour surmonter les injonctions paradoxales auxquelles elles sont soumises : montrer leur appartenance à la catégorie des femmes tout en devant se comporter comme un homme. Ces mécanismes, que la psychologie sociale s’attache à mettre au jour, il s’agit de mieux les cerner pour apporter des éléments de réponse.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’aimerais savoir si les 15 000 personnes qui ont répondu à l’enquête constituent un panel représentatif.

Mme Brigitte Grésy. Les 15 000 salariés – deux tiers de femmes, un tiers d’hommes – consultés dans notre enquête sont des cadres appartenant à neuf grandes entreprises françaises, ce qui implique des biais. Nous comptons compléter cette étude par une consultation auprès de non-cadres dans les PME. Si les résultats mis en évidence avaient avoisiné les 50 % ou les 40 %, nous aurions pu nous interroger sur la pertinence de notre procédure, mais des proportions telles que 90 % ou 80 % ne laissent aucun doute sur l’existence du phénomène : les biais sont de facto lissés.

J’en viens à la deuxième partie du rapport : le sexisme dans le droit.

Certains actes sexistes sont d’ores et déjà visés dans notre droit, qu’il s’agisse de l’agression sexuelle, du harcèlement moral, du harcèlement sexuel, et des discriminations en tous genres. Toutefois, la notion de sexisme, a fortiori de sexisme ordinaire, n’a pas trouvé sa place dans les normes juridiques. Le sexisme en tant que tel n’est pas une catégorie juridique et le droit du travail ou les dispositions légales s’appliquant au contexte du travail n’en disent rien.

En droit international, que ce soit dans la convention sur 1’é1imination de toutes les formes de discrimination à 1’égard des femmes (CEDEF) des Nations Unies, dans les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou encore dans la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes et la violence domestique, aucune mention n’est faite du sexisme en tant que tel. On assiste à la montée en puissance des instruments juridiques de la discrimination et des violences. Or le terme de « violences » peut donner l’impression que seuls les actes perçus comme très graves sont visés et renforcer le sentiment d’impunité face à des comportements de sexisme ordinaire. Le seul signe positif, c’est que la stratégie 2014-2017 en matière d’égalité entre les femmes et les hommes publiée par le Conseil de l’Europe a fixé comme objectif n° 1 le fait de combattre les stéréotypes de genre et le sexisme.

Le droit de l’Union européenne est marqué par une timide émergence de la prise en compte du sexisme ordinaire à travers deux notions : la discrimination indirecte à raison du sexe et le harcèlement fondé sur le sexe, défini comme une situation dans laquelle un comportement non désiré, lié au sexe d’une personne, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Il s’agit toutefois d’une notion très peu connue, n’ayant pas fait l’objet d’une interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne (CJCE). Seule la Belgique a récemment adopté une loi incriminant le sexisme mais cette démarche reste à ce jour isolée parmi les États membres.

Dans notre législation nationale, on peut discerner un début de caractérisation du sexisme ordinaire. Toutefois, l’absence de jurisprudence interdit toute définition claire de la notion.

En matière pénale, trois incriminations ont retenu notre attention. Cependant les agissements relevant du sexisme ordinaire demeurent particulièrement difficiles à établir du fait de l’obligation qui pèse sur la victime d’apporter la preuve matérielle de ces agissements et de celle de l’intentionnalité de l’auteur.

Il s’agit, premièrement, des délits d’injures, de diffamation, de provocation à la haine et à la violence fondées sur le sexe ou sexistes, introduits par la loi de 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Membre d’un cabinet ministériel à cette époque, je peux vous dire comme il m’a été difficile de faire intégrer le caractère sexiste des propos discriminatoires dans la loi, dans la lignée de la loi défendue par Yvette Roudy. On me répondait que seule la répression des propos homophobes était importante et qu’il ne valait pas la peine d’évoquer celle des propos sexistes ! À ce jour, ces délits n’ont pas donné lieu à des condamnations par la Cour de cassation et un flou juridique continue d’entourer la définition de l’injure sexiste.

Il s’agit, deuxièmement, du délit de harcèlement sexuel dont la définition a été élargie aux « propos et comportements sexistes », à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2012. Une circulaire d’application précise que le délit peut viser les propos et comportements sexistes. Nous ne savons cependant pas encore quelles interprétations en feront les juges.

Il s’agit, troisièmement, du délit de harcèlement moral. Très souvent mobilisé par les personnes qui sont la cible de comportements sexistes, il présente l’inconvénient d’être insensible au mobile sexiste.

En matière de droit du travail, qui demeure la voie privilégiée pour contester les discriminations à raison du sexe du fait de l’application du principe de l’aménagement de la charge de la preuve, trois outils peuvent être mobilisés : le harcèlement moral ; le harcèlement sexuel – nous espérons que la circulaire d’application de la loi du 6 août 2012 permettra de prendre en compte certains propos comme constitutifs de ce délit ; une nouvelle disposition prohibant tout agissement à raison d’un critère prohibé, dont le sexe, depuis la loi du 27 mai 2008, loi de transposition du droit communautaire.

Vous nous avez demandé, madame la présidente, la mesure qui nous semblait la plus importante à mettre en œuvre. C’est celle qui correspond à la recommandation 18 de notre rapport : codifier la notion d’agissement à raison du sexe. On nous a reproché de vouloir ajouter du droit au droit ; or il ne s’agit pas de créer une nouvelle disposition mais de codifier une disposition existante. On le sait, la loi du 27 mai 2008 n’a pas été codifiée et la loi de 2012 sur le harcèlement sexuel qui, elle, l’a été est venue se juxtaposer vis-à-vis de la définition du harcèlement moral et sexuel que cette dernière établissait.

Nous proposons donc de codifier la disposition relative à l’agissement à raison du sexe contenue dans l’article 1er de la loi de 2008 sous la dénomination d’« agissement sexiste ». Nous avons choisi de l’intégrer au code du travail, pour des raisons de facilitation de la charge de la preuve, plus précisément dans la partie dédiée à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, pour des raisons de lisibilité.

Pourquoi « agissement » et non « harcèlement » ? Les directives européennes retiennent le mot de « harcèlement », traduction de harassment, termes reposant tous deux sur l’idée d’actes répétés. Le terme « agissement », lui-même retenu par le législateur français dans la loi de 2008, nous a semblé plus intéressant.

Pourquoi le terme « sexiste » ? Nous aurions pu reproduire la formulation de la loi de 2008 : « agissement à raison d’un critère prohibé » ou même « agissement à raison du sexe ». Toutefois, inscrire le mot « sexiste » permet de rendre visible le sexisme dans le code du travail, de façon que les femmes puissent identifier plus facilement ce qui leur arrive, les juges apprécier de façon plus sûre les faits qui leur sont soumis, et les inspecteurs du travail disposer de meilleurs outils pour saisir ce phénomène. Le choix de ce terme est pour nous un instrument de mise en visibilité de ce sexisme trop souvent occulté, euphémisé, dénié.

Pourquoi avoir choisi la partie consacrée à l’égalité professionnelle dans le code du travail ? L’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes fait d’ores et déjà l’objet d’un traitement spécifique dans la Constitution. Le code du travail lui consacre un chapitre et il nous est apparu que ce choix permettait d’assurer une meilleure visibilité, de nature, là encore, à donner un moyen d’agir plus sûr à ceux qui ont la charge de juger et de contrôler les manifestations de sexisme.

Nous avons presque réussi à ce que les pouvoirs publics nous soutiennent, mais à la dernière minute, cela n’a pas été possible. Nous savons les résistances de certaines parties prenantes, qui ne souhaitent pas modifier le droit au motif que les changements créent une insécurité juridique supplémentaire pour les entreprises, qui auraient déjà beaucoup de mal à s’y retrouver. Nous prétendons que cette codification contribuerait, au contraire, à créer de la sécurité juridique.

Les femmes peuvent reconnaître ce que recouvre un agissement sexiste, et notamment s’il est particulièrement lourd, grave ou répété. Évidemment, il faudra trouver un faisceau d’indices. Évidemment, il faudra se faire aider par la jurisprudence pour parvenir à le qualifier correctement. Pour la notion de harcèlement moral, il a bien fallu arriver à construire une jurisprudence cohérente. Il y aura de la même manière une phase d’acclimatation. Mais nous estimons que la notion d’ « agissement sexiste » serait un tremplin formidable pour rendre visible ce phénomène. Vous savez bien qu’il faut d’abord une reconnaissance dans le droit pour parvenir à une sensibilisation, à des actions de formation et à un accompagnement par les politiques publiques.

L’idée qu’avec le temps, on parviendrait à lutter contre ce phénomène, ou que la neutralisation des politiques publiques est le meilleur outil pour ce faire est un leurre. Le sexisme fait l’objet d’un tel déni qu’il faut agir par le droit. Et je précise que le sexisme n’est pas seulement le fait des hommes. Nous sommes tous tombés dans la même marmite dès l’enfance et les femmes ne sont pas plus vertueuses.

Au-delà de la codification juridique, il importe de prendre en compte la prévention en matière de sécurité et de santé au travail. La sécurité et la santé au travail constituent une dimension nouvellement prise en compte par la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, laquelle prévoit que les entreprises doivent produire des statistiques « genrées » et tenir compte de l’impact différencié des risques sur les femmes et les hommes  dans le document unique d’évaluation des risques. Nous recommandons que figurent dans le plan de prévention une définition très claire et extensive du harcèlement moral et du harcèlement sexuel et une mention de la notion d’agissement à raison du sexe.

Par ailleurs, il importe de s’appuyer sur les instruments de régulation internes à l’entreprise : le règlement intérieur, outil de régulation des comportements au sein de l’entreprise qui impose des règles générales et permanentes, et les chartes d’éthique, inspirées des États-Unis. Or ces documents prennent actuellement très peu en compte les éléments relevant du sexisme. Nous préconisons que l’employeur précise lui-même ce qu’il entend par comportement sexiste dans le règlement intérieur. Nous recommandons, en outre, au législateur d’intégrer dans les dispositions du code du travail relatives au règlement intérieur des éléments précis sur l’agissement à raison d’un critère prohibé, dont le sexe.

Pour reconnaître une existence légale au sexisme, nous avons mis en avant plusieurs axes de travail.

Nous proposons de nommer le sexisme, en lui donnant deux définitions : l’une portant sur le sexisme au travail au sens large, qui prend en compte tous les éléments, du plus anodin jusqu’au viol, et rappelle qu’il renvoie à une croyance mais aussi à des actes ; l’autre portant sur le sexisme ordinaire.

Nous préconisons de rendre visible le sexisme. Pour cela, il faut introduire des questions sur le sexisme dans les enquêtes de ressenti portant sur les conditions de travail car, actuellement, elles ne comportent aucun élément de cette nature, exception faite d’une petite question sur les blagues, dans une enquête en cours sur les risques psycho-sociaux.

Nous suggérons de former non seulement les salariés, les employeurs et les partenaires sociaux, mais aussi les juges et les avocats.

Nous invitons les entreprises à organiser des circuits de remontée, via des procédures d’alerte, et à mettre en place une culture organisationnelle prenant en compte la lutte contre le sexisme.

Enfin, nous encourageons la mise en place d’un traitement des situations de sexisme au travail.

Tout cela passera par différentes actions que Mme la ministre nous a demandé de mettre en place. Elle va envoyer une directive à la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) pour intégrer des questions sur le sexisme dans les enquêtes générales. Elle a donné son accord pour que nous organisions à la fin de l’année un grand colloque sur le sexisme, associant partenaires sociaux, entreprises, chercheurs, représentants des pouvoirs publics et élus – vous y serez bien sûr conviées. Elle souhaite surtout que le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle crée assez rapidement un kit pour les entreprises, formé d’un exemple de règlement intérieur intégrant la question du sexisme et d’un exemple d’action de prévention du sexisme ordinaire dans le document unique d’évaluation des risques, exemples non contraignants destinés à aider les employeurs à mieux prendre en compte ce phénomène.

Par ailleurs, le label Égalité, qui fait l’objet en ce moment d’un travail de refonte avec le label Diversité, va intégrer dans de brefs délais dans son cahier des charges des éléments de prise en compte du sexisme. Les pouvoirs publics vont multiplier les conventionnements avec de grandes entreprises autour des questions de l’emploi et de la mixité mais également du sexisme.

Mme la présidente Catherine Coutelle. S’agissant du choix du terme « agissement » plutôt que celui de « harcèlement », j’ajouterai une précision. Lors de l’examen du projet de loi relatif au harcèlement sexuel, après de longues discussions, nous avons réussi à intégrer dans le texte que le harcèlement pouvait renvoyer à un acte isolé alors qu’il est généralement associé à des actes répétés. Il n’y a toutefois pas encore de jurisprudence.

Par ailleurs, je souhaiterais savoir quelle loi vous aurait permis d’intégrer la notion d’agissement sexiste.

Mme Brigitte Grésy. Il n’y avait pas encore de vecteur législatif mais nous avons failli avoir un accord sur ce principe.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La loi sur le dialogue social, qui sera bientôt examinée, pourrait peut-être s’y prêter.

Mme Barbara Romagnan. J’aurai quatre séries de questions.

Premièrement, dans l’enquête que vous avez lancée auprès des 15 000 salariés, quelles questions étaient destinées aux hommes : leur a-t-on demandé s’ils étaient victimes du sexisme, s’ils avaient été témoins ou encore acteurs ?

Deuxièmement, vous avez cité des mots visant à euphémiser le sexisme comme le terme « misogynie ». Pour ma part, je ne vois pas en quoi il serait plus faible.

Troisièmement, je me suis interrogée sur la façon dont je réagissais au sexisme. Certes, le cadre dans lequel nous évoluons en tant qu’élus n’est pas à strictement parler un milieu professionnel, mais il s’en approche et il est loin d’être exempt de manifestations de sexisme. Considérez-vous que de ne pas les dénoncer revient à les atténuer ? Je dois dire que je ne vis pas les remarques sexistes comme exagérément violentes, même si elles sont répétées. En général, j’y réponds par la moquerie. Sinon, j’évite les spécimens connus pour en être familiers en me disant que mieux vaut ne pas croiser tel ou tel malveillant.

Quatrièmement, je soulignerai cette réaction répétée chez certains de nos collègues masculins qui consiste à nous renvoyer à notre statut de femme lorsque nous présentons certaines propositions de loi et appelons l’attention sur certains sujets, comme si c’étaient nos problèmes à nous, qui ne nécessitaient pas qu’ils interviennent autrement qu’en faisant des petites blagues. Tout se passe comme si l’égalité entre hommes et femmes ne devait concerner que les femmes, autrement dit une seule des deux parties en jeu, attitude que bien entendu ils s’interdiraient d’avoir s’il s’agissait du racisme. Vous faites une réunion toutes les semaines sur la lutte contre le Front national, vous êtes considéré comme un champion de la démocratie ; vous faites une réunion par an consacrée à l’égalité entre femmes et hommes, vous êtes une odieuse féministe.

Mme Conchita Lacuey. Madame Grésy, votre Petit traité contre le sexisme ordinaire a fait date, révélant l’état de notre société, du monde du travail en particulier, face à ce phénomène. La médiatisation dont il a fait l’objet a permis de mettre cette question sur la place publique.

Toutefois, le constat que dresse le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de la Gironde, avec lequel je travaille depuis de nombreuses années, reste préoccupant. L’entrée des femmes dans les métiers dits masculins – métiers de la propreté, du bâtiment, de la SNCF – n’a rien d’anodin, alors même que celles-ci réunissent toutes les conditions requises en termes de motivation, de compétences et de formation. Leur accueil et leur intégration durable sont déterminants. Ils renvoient à une organisation collective de tous les acteurs de l’entreprise et à une politique publique forte et visible. Or, actuellement, l’intégration des femmes n’est pas suffisamment pensée et réfléchie. Il n’est qu’à prendre l’exemple des sanitaires, cité de manière récurrente. Lorsque les femmes ne dépassent pas 30 % des effectifs, elles restent dans une position minoritaire et sont souvent isolées. Le sexisme bienveillant peut également poser problème et être contre-productif. Les femmes sont maintenues dans une posture dite féminine, ce qui complique leur pleine insertion dans le métier. Pour les fonctions d’encadrement, elles se heurtent parfois carrément au refus des hommes d’être dirigés par des femmes et souvent à une résistance passive se manifestant sous forme de discrimination. La posture des cadres doit être très claire, ce qui suppose, comme vous l’indiquiez, des actions de formation adaptées.

Ne pensez-vous pas qu’il serait nécessaire d’aller plus loin dans la parité en l’étendant à toutes les instances dirigeantes du monde du travail afin de lutter efficacement contre les stéréotypes et les préjugés tenaces ?

Nous préconisons la mise en œuvre de l’expertise féministe à tous les niveaux. Je sais que tel est votre combat.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous avez proposé, madame Grésy, de lancer une campagne de communication dans les médias. Pour souligner toute l’importance de telles actions, je citerai le cas d’une femme que j’ai rencontrée hier à ma permanence. Depuis dix ans qu’elle subit la violence de son mari et après huit tentatives de suicide, ce qui lui a fait prendre conscience de ce dont elle était victime, c’est un spot télévisé. Et elle est venue spécialement me voir pour me dire le rôle fondamental qu’avait joué pour elle cette campagne.

Mme Édith Gueugneau. Madame la secrétaire générale, je vous remercie pour votre exposé. Que seules 8 % des femmes osent dénoncer le sexisme parmi les cadres des grandes entreprises montre toute l’importance de votre travail.

J’aimerais savoir quelle sorte de lien il est possible d’établir entre situations de burn-out et sexisme, qui n’est finalement qu’un des aspects du harcèlement auquel les femmes sont exposées dans une entreprise. Avez-vous des éléments statistiques mettant en évidence le fait que le sexisme a pu être le point de départ d’une situation de détresse ?

Dans votre rapport, vous faites le point sur les différents acteurs conduits à intervenir dans la lutte contre le sexisme, citant les services de médecine et de prévention au travail, qui devraient être la pierre angulaire du dispositif de lutte contre le sexisme. Or dans de nombreuses entreprises, notamment les plus grandes, se pose la question de leur proximité avec les employeurs, car ils n’ont pas toujours tendance à agir dans un sens favorable aux salariés. Est-ce une réalité dont vous avez connaissance ? Si oui, comment y remédier ?

L’égalité entre femmes et hommes est un combat permanent et le chemin à parcourir reste long. Je pense que le kit que vous destinez aux entreprises pourrait également être distribué, sous une forme adaptée, dans les collectivités publiques. Le sexisme se manifeste aussi dans nos communes, nos communautés de communes et nos régions. Ce serait un premier pas important. Les élus doivent montrer l’exemple.

Mme Brigitte Grésy. Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP) couvrant seulement le marché du travail privé, il revient au Conseil supérieur de la fonction publique d’État et au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale de se saisir de ces questions, madame Gueugneau.

Madame Romagnan, dans notre enquête, nous avons demandé aux femmes si elles avaient été les victimes ou les témoins d’agissements sexistes ; aux hommes, seulement s’ils en avaient été les témoins. Et la psychologie sociale montre qu’être témoin ou être victime crée quasiment le même type de dégâts. On peut souffrir du sexisme passif, à l’instar du tabagisme passif.

Misogynie, machisme, sexisme sont des termes qui recouvrent un même phénomène, mais ce qui est important, c’est de disposer d’un terme juridique. Sexisme en est un, comme le racisme. Nous visons la reconnaissance d’un concept juridique, ce qui nous fait éliminer tous les termes qui ne font que désigner des relations difficiles entre femmes et hommes.

Les stratégies des femmes face au sexisme sont très différentes. Elles dépendent des milieux, or le monde politique est le pire en la matière car il ne connaît pas de mécanismes de régulation interne, le sexisme s’y exprime de manière sauvage. Dans une organisation de travail, que ce soit une entreprise ou la haute fonction publique – où, je peux vous le dire d’expérience, le sexisme sévit –, des autorégulations se mettent en place à travers la chaîne hiérarchique. Le sexisme se manifeste de manière beaucoup plus insidieuse et détournée que dans le monde politique, où il n’y a de comptes à rendre qu’à ses électeurs. Et ce caractère dissimulé du sexisme ordinaire au travail est source d’une grande souffrance qui affecte non seulement les victimes mais aussi les témoins, et donc la performance globale de l’entreprise.

Le seuil de tolérance au sexisme est très différent suivant les femmes : certaines semblent être invincibles quand d’autres sont mises à terre par une simple remarque. Le rôle des pouvoirs publics est de donner la plus grande visibilité possible au phénomène du sexisme pour venir en aide aux plus faibles, aux plus fragiles.

Vous avez raison, madame Lacuey, les deux milieux où les femmes souffrent le plus du sexisme sont les métiers majoritairement masculins, comme les métiers du bâtiment, et les postes de gouvernance. C’est quand les femmes sont les moins nombreuses, et quand, historiquement, elles n’ont pas encore fait la preuve de leur légitimité, qu’elles sont contestées et agressées. Nous voyons bien quelle sauvagerie se déchaîne contre celles qui se portent candidates à des postes à pourvoir dans des enceintes que nous connaissons toutes. Même si les aides européennes permettent de créer des sanitaires distincts, si les femmes ne sont pas accompagnées et ne sont pas en effectifs suffisants, elles partiront de l’entreprise au bout d’un an ou de deux ans, les ailes souvent brisées. Il faut nommer ce sexisme-là dans ces milieux majoritairement masculins. Seules quelques-unes pourront déclarer que ces manifestations sexistes tenaient davantage du bizutage, la majorité renoncera. Je vous renvoie à l’un des derniers numéros de la publication Bref du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) consacré aux femmes dans les métiers d’hommes.

Renforcer la parité, dites-vous encore, madame Lacuey. Je suis « Madame objectifs chiffrés » car je considère qu’on ne peut parvenir à créer de l’égalité qu’en mettant en tension les organisations : l’égalité, ça se mesure et ça se contraint. La parité est à développer. Il faut le faire avec doigté et cela passera par des objectifs chiffrés de progression.

Quant au burn-out et aux situations de détresse, nous ne disposons pas de données permettant d’établir un lien avec le sexisme, précisément parce que rien n’est sexué dans les plans de prévention et les documents uniques de sécurité. Faire émerger la notion d’agissement sexiste, parvenir à ce que le sexisme soit mentionné dans les règlements intérieurs, les plans de prévention, les chartes d’éthique, voilà qui permettra de mener des enquêtes susceptibles de montrer qu’il existe une telle causalité. Nous avons tous l’intuition que l’usure professionnelle, la difficulté à se projeter dans le lendemain, le burn-out, sont liées à des phénomènes de non-reconnaissance de ce que l’on est et d’atteinte à son identité au travail.

Enfin, la proximité des médecins du travail avec les employeurs est une critique répandue, mais je crois qu’ils sont de plus en plus sensibilisés au sexisme même si leurs missions ne comprennent pas sa prise en compte.

Mme Marie Becker, cheffe de projet au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). La nouvelle définition du harcèlement sexuel établie dans la loi du 6 août 2012 vise deux formes de harcèlement : les faits répétés et le fait isolé, lorsque s’exerce une pression grave. Reprise dans le code du travail, elle a donné lieu à une circulaire qui prend en compte les propos ou comportements sexistes ou grivois, mais met en avant la connotation sexuelle, ce qui la rend à notre sens difficile à appliquer.

Les femmes ont du mal à dire qu’elles sont victimes de harcèlement sexuel. Les dossiers reçus par le Défenseur des droits et traités par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) montrent que, bien souvent, il faut que le stade de l’agression sexuelle soit atteint pour que le harcèlement sexuel soit dénoncé. Peu de femmes savent que cette incrimination couvre aussi des gestes et des propos qui ne sont pas de l’ordre de l’agression.

Les notions de harcèlement lié du sexe dans la législation européenne et d’agissement fondé sur le sexe présentent l’intérêt de cerner une discrimination entre femmes et hommes sans que la connotation sexuelle soit nécessairement en jeu. C’est la raison pour laquelle codifier la notion d’agissement sexiste nous paraît essentiel. Elle permettrait à un grand nombre de femmes victimes du sexisme ordinaire dans les entreprises de dénoncer ce qu’elles subissent.

Mme Brigitte Grésy. Sans compter que nombre de femmes font appel à la notion de harcèlement moral parce qu’il leur est extrêmement difficile de parler de harcèlement sexuel. La notion d'agissement sexiste collerait parfaitement aux réalités vécues.

Mme Marie Becker. Lorsque je travaillais pour le Défenseur des droits, nous nous étions interrogés sur les blocages dans les métiers majoritairement masculins, en particulier s’agissant de l’absence de sanitaires et de vestiaires séparés. Il faudrait analyser précisément les dispositions légales.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Oui, l’obligation a même conduit à l’exclusion des femmes de certains métiers. J’ai pu le constater dans le secteur du transport : des entreprises se refusaient à embaucher des femmes pour ne pas avoir à construire des sanitaires et des vestiaires séparés.

Mme Brigitte Grésy. Certaines aides du Fonds européen de développement régional (FEDER) sont fléchées vers la construction de ces équipements.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Et s’agissant de parité, l’actualité nous offre de quoi réfléchir. Alors même que nous avons voté une loi pour assurer une représentation paritaire dans les assemblées départementales, nous avons pu constater dimanche dernier, à l’occasion du premier tour des élections départementales, que les plateaux de télévision étaient remplis d’hommes. On a retiré la parole aux femmes ou elles se la sont retirées elles-mêmes. Comme vous dites, madame Grésy, la parité, ça se compte et ça se contraint.

Nous vous remercions pour cette présentation de votre passionnant rapport qui porte sur un sujet largement méconnu. Nous aurons à cœur de voir si la notion d’agissement sexiste peut trouver rapidement un vecteur législatif. La prochaine loi sur le dialogue social nous offrira peut-être l’occasion de l’inscrire dans nos codes. Il faudra veiller à préciser avec vous sa définition. Le délit de harcèlement sexuel, vous vous en souvenez, avait fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité et le Conseil constitutionnel l’avait abrogé, considérant que sa définition n’était pas assez précise. A l’occasion de l’examen de la loi sur le harcèlement sexuel, nous avions ensuite eu de nombreux débats sur les adjectifs à intégrer dans la définition, certains considérant qu’ils étaient redondants.

Nous en venons au rapport du CSEP consacré à la négociation collective sur l'égalité professionnelle dans les entreprises de moins de 300 salariés. Instaurée par la loi Roudy de 1983, la négociation collective sur l’égalité professionnelle a été renforcée par divers textes. Depuis la loi d’août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, elle s’impose aux petites et moyennes entreprises (PME) et figure parmi les conditions requises pour pouvoir accéder aux marchés publics.

Je me félicite que vous ayez pu en faire une évaluation, car il faut absolument que des progrès réels soient enregistrés. Des contraintes ont été instaurées, notamment à travers le décret de 2012 qui renforce certaines exigences. L’augmentation des plans d’action est notable. Toutefois, soulignez-vous, la qualité n’est pas au rendez-vous de la quantité. Quelles sont les voies d’amélioration possibles ? Quels leviers activer pour aider les PME dans leurs démarches ? Et surtout, comment simplifier ? Les entrepreneurs déplorent tous la complexité des normes et l’illisibilité du code du travail.

Mme Brigitte Grésy. Ce rapport a pour objet de faire état de la négociation collective dans les entreprises de 50 à 300 salariés.

On note une évolution très positive de la signature des accords d’entreprise depuis le décret de 2012. Aujourd’hui, 36 % des entreprises assujetties sont couvertes contre 7,5 % des entreprises ayant déclaré un délégué en 2009. Toutefois, ce taux recouvre une réalité disparate selon la taille des entreprises : il atteint 79 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés mais reste inférieur à 30 % pour celles de moins de 300. Il y a eu 1 346 mises en demeure adressées, dont 91 % ont toutefois été régularisées très rapidement, ce qui prouve que les entreprises arrivent à s’en sortir lorsqu’elles sont accompagnées, notamment par les administrations du travail. Par ailleurs, quarante-cinq décisions de pénalités ont été prises.

La loi fait obligation aux entreprises d’inclure dans la négociation au moins trois domaines, lorsqu’elles ont moins de 300 salariés, et quatre, au-delà. Sur cette base, elles doivent signer un accord ou, à défaut, présenter un plan unilatéral reprenant le plan nouveau intégré dans le rapport de situation comparée (RSC), pour les entreprises de plus de 300 salariés, ou le rapport de situation économique (RSE) pour les moins de 300.

L’analyse de plusieurs séries d’accords a fait apparaître que la plupart des entreprises se focalisent sur les mêmes indicateurs : la rémunération, critère obligatoire, la formation professionnelle, l’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. La qualification, la classification, les conditions de travail, sont des indicateurs très peu choisis car ils sont très mal compris, même dans les grandes entreprises.

Par ailleurs, ces plans et ces accords sont extrêmement mal libellés. La loi veut que les indicateurs soient assortis d’objectifs de progression dûment identifiés et d’actions pour accompagner ces évolutions. Qui dit progression, dit point de départ et point d’arrivée. Or, très souvent, les accords se contentent de reprendre la loi de manière tautologique. L’objectif est identique à l’action : « diminuer les écarts de rémunération », par exemple. Les plans et accords tiennent trop souvent de la pétition de principe, les actions concrètes restant très peu identifiées.

Nous envisageons d’ouvrir une rubrique spécifiquement destinée aux PME sur le site www.ega-pro.femmes.gouv.fr. Il s’agirait, par exemple, d’expliquer qu’un objectif de progression suppose de déterminer un point p et un point p+1, et que le champ lexical employé doit rendre concrète l’idée de progression  – « augmenter », « enrichir », « développer », « multiplier ». Il consisterait, en outre, à expliciter les différences entre objectifs, plans et actions.

Au-delà des précisions apportées par décret en Conseil d’État, nous voulons aussi aider les entreprises à donner de la chair aux indicateurs.

Les grandes entreprises se débrouillent assez bien dans l’élaboration de leurs rapports de situation comparée, d’autant que les indicateurs qui doivent y figurer sont dûment identifiés dans un décret. La loi du 4 août 2014 a toutefois ajouté de nouveaux domaines à prendre en compte dans le RSC : la sécurité et la santé au travail, l’évaluation des écarts de rémunération et du déroulement de carrière, en fonction de l’âge, de la qualification et de l’ancienneté. Le groupe de travail « indicateurs » que nous avons créé au sein du CSEP est en train de mettre au point des indicateurs pertinents dans le domaine de la sécurité au travail.

Pour les entreprises de moins de 300 salariés, les indicateurs ne sont pas obligatoires. Il faut les laisser libres de se saisir de ces questions car elles disposent de beaucoup moins de moyens que les grandes entreprises. Toujours sur le site www.ega-pro.femmes.gouv.fr, nous comptons leur fournir des exemples très précis de ce que peut être un indicateur de promotion, un indicateur de qualification ou un indicateur d’écart de rémunérations.

Enfin, nous voulons rendre plus lisible le droit de la négociation collective en matière d’égalité professionnelle. Les différentes lois, depuis la loi Roudy de 1983, forment un millefeuille particulièrement complexe : loi Génisson de 2001, loi sur l’égalité salariale de 2006, loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014.

Nous avons dans notre rapport insisté tout particulièrement sur la notion de plan d’égalité professionnelle. Le code du travail en prévoit trois types différents : le plan pour l’égalité professionnelle, à l’article L. 1143-1, négocié pour mettre en œuvre des mesures d’actions positives temporaires, et valable pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ; le plan d’action intégré dans le RSE ou le RSC, ces deux rapports devant désormais non seulement présenter des objectifs chiffrés mais aussi un plan d’égalité professionnelle – je vous renvoie aux articles L. 2323-47 et L. 2323-57 ; le plan unilatéral de l’employeur, prévu à l’article R. 2242-2, qui intervient en cas d’échec des négociations.

Or le plan pour l’égalité professionnelle, valable pour toutes les entreprises, ne fait aucune allusion aux deux autres plans. Il serait donc judicieux que l’article L. 1143-1 précise la manière dont ils s’articulent entre eux.

S’agissant de l’articulation des deux autres plans, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et la direction générale du travail (DGT) considèrent que deux cas se présentent, une fois le plan d’action soumis à négociation : soit la négociation aboutit à un accord, qui enrichit ce plan d’action ; soit elle aboutit à un échec, et le plan d’action du RSE ou du RSC devient le plan unilatéral de l’employeur. Est-ce à dire qu’il n’est pas nécessaire d’élaborer un plan unilatéral spécifique ?

Pour éliminer cette incertitude, nous souhaiterions que, dans le rapport de situation comparé, il ne soit pas question de « plan d’action » mais de « programme d’action », qui serait soumis à négociation. En cas d’accord, ce programme serait retenu ; en cas d’échec, l’employeur devrait prendre appui sur ce document pour rédiger un plan unilatéral. Il nous paraît en effet aberrant qu’un plan unilatéral puisse être identique au plan d’action du RSE ou du RSC, alors même que les négociations ont échoué. Il faut s’assurer que l’employeur ajoute de nouveaux éléments. C’est ce plan unilatéral qui serait déposé auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), qui dispose déjà des RSE et des RSC.

Cela permettrait aux entreprises de mieux s’y retrouver et d’échapper à l’enchevêtrement des dispositions digne d’un mikado qui prévaut actuellement.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les partenaires sociaux ne semblent pas s’investir dans ces plans, soit qu’ils aient du mal à s’y retrouver, soit qu’ils aient d’autres priorités. La loi sur le dialogue social sera bientôt débattue. Peut-on parvenir à une simplification ? Une clarification serait-elle facilitée par l’inscription dans la loi du principe de la parité des représentants des salariés, point d’achoppement lors de l’examen de la loi de sécurisation de l’emploi ?

Nous devons réfléchir les uns et les autres à trouver une solution à cet empilement de textes qui rend la législation illisible.

Mme Brigitte Grésy. La loi de mars 2006 a introduit un autre élément d’ambiguïté en intégrant la suppression des écarts de rémunération dans les négociations annuelles obligatoires (NAO). S’il n’y a pas eu d’accord sur ce point dans le cadre de la négociation professionnelle au sens large, alors un accord doit être prévu dans le cadre des NAO, ce qui n’est pas source de clarté juridique.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il me semble que, lors de l’examen de la loi de sécurisation de l’emploi, notre assemblée a adopté un amendement qui est venu simplifier ces discussions, à la demande des partenaires sociaux.

Ne craignez-vous pas que ces plans d’égalité professionnelle ne soient purement formels ? Vous semblent-ils porteurs de réelles avancées ?

Mme Brigitte Grésy. L’intégration de l’égalité des rémunérations dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire a constitué une avancée. Elle visait à coincer les entreprises qui n’avaient pas conclu d’accord dans le cadre de la négociation sur l’égalité professionnelle. En réalité, elle a manqué son but car le système de remontée des accords est particulièrement complexe. Il est très difficile de faire la part entre les accords portant sur la rémunération et les accords portant sur l’égalité professionnelle au sens large, sans parler des accords de branches.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Avez-vous des exemples d’accords de rattrapage qui ont permis une réduction sensible des écarts de salaires ? Les entreprises ont-elles recours dans ce cas à une enveloppe supplémentaire ?

Mme Brigitte Grésy. Beaucoup d’entreprises, notamment les grandes entreprises, s’affranchissent de leurs obligations en matière de suppression des inégalités de salaires par une enveloppe de rattrapage salarial. La plupart du temps, elle s’intègre dans l’enveloppe générale, et le rattrapage intervient au moment où toutes les augmentations sont distribuées, ce qui est très mal perçu par les salariés masculins.

De surcroît, le rattrapage contribue à réduire les écarts de rémunération mais sans s’attaquer aux problèmes de fond. Si bien que tous les trois ans, au gré des négociations, on retrouve les mêmes problèmes. Il faudrait poser beaucoup plus clairement le principe de ce que doit être un accord de rattrapage au sein de l’entreprise, en cernant bien en quoi consistent les inégalités qui provoquent les écarts de salaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie, mesdames, pour vos réponses. Sachez que vos passionnants travaux contribuent toujours à enrichir la réflexion de la délégation.

Audition de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, sur la feuille de route 2015-2017 du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale

Compte rendu de l’audition, ouverte à la presse, du mercredi 15 avril 2015

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame la ministre, je vous remercie chaleureusement de revenir devant la délégation, pour évoquer aujourd’hui la feuille de route 2015-2017 du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Nous n’oublions pas que vous avez été un des piliers de cette délégation lorsque vous en étiez membre, notamment par votre remarquable rapport sur le harcèlement sexuel, et votre engagement sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, que nous espérons voir adoptée avant fin juin.

Pour bien situer les enjeux de cette audition, je voudrais tout d’abord rappeler quelques chiffres.

Les travailleurs pauvres représentent environ 3,7 millions de personnes, dont 70 % de femmes, exerçant un emploi leur procurant un revenu inférieur à 964 euros, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) publié en 2013. Ils occupent plus fréquemment des emplois à temps partiel, majoritairement exercés par des femmes. Malgré l’instauration d’un seuil de 24 heures hebdomadaires minimales pour les salariés à temps partiel, il existe un certain nombre de dérogations à cette règle.

Parmi ces travailleurs pauvres, on trouve des mères seules avec enfants, dont le père ne participe pas à l’entretien ou ne verse plus de pension alimentaire. Environ un tiers des familles monoparentales sont pauvres et, dans plus de 80 % des cas, ce sont des femmes seules qui élèvent leurs enfants.

La pauvreté des femmes a d’importantes répercussions, et en premier lieu sur les enfants. Comme l’a indiqué François Chérèque, que nous avons auditionné récemment au titre du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan de lutte contre la pauvreté, le taux de pauvreté des moins de dix-huit ans a progressé, pour s’élever aujourd’hui à près de 20 %. Entre 2007 et 2012, le nombre d’enfants pauvres a ainsi augmenté de 416 000, en particulier au sein des familles monoparentales.

Madame la ministre, pouvez-vous nous présenter les principales mesures de la feuille de route 2015-2017 du plan pluriannuel contre la pauvreté et l’inclusion sociale qui concernent plus particulièrement les femmes ?

Quelles actions sont prévues pour éviter les ruptures de parcours et pour améliorer l’accompagnement et l’accès aux droits ? Je pense, en particulier, aux femmes qui souhaitent travailler, reprendre une activité professionnelle ou se former.

Enfin, quels avantages sont attendus de la prime d’activité, qui sera issue de la fusion entre la prime pour l’emploi (PPE) et le revenu de solidarité active (RSA) activité ?

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. C’est avec un grand plaisir que je reviens m’exprimer devant la délégation aux droits des femmes. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir rappelé mon engagement personnel sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, que je souhaite également voir adoptée le plus rapidement possible.

Conformément aux engagements du Président de la République, le Gouvernement auquel j’appartiens est très engagé en faveur des droits des femmes. Ce sujet revêt une très grande importance au regard de la lutte contre l’exclusion puisque 4,7 millions de femmes en France sont en situation de pauvreté monétaire, soit 15 % de femmes, contre 14 % en moyenne chez les hommes, en particulier chez les moins de vingt-cinq ans avec quatre points d’écart entre les hommes et les femmes. La pauvreté monétaire correspond à un niveau de revenu inférieur à 60 % du revenu médian : pour une femme seule, ce revenu est inférieur ou égal à 987 euros ; pour une femme avec un enfant de plus de quatorze ans, il est inférieur ou égal à 1 480 euros par mois.

Certes, la situation s’est améliorée puisque l’écart entre le taux de chômage des femmes et celui des hommes a été divisé par quatre en vingt ans. Néanmoins, les inégalités salariales perdurent et les femmes se retrouvent souvent seules pour élever leur(s) enfant(s). Vous l’avez dit, madame la présidente : un ménage monoparental sur trois se trouve en situation de pauvreté ; or dans neuf cas sur dix, ce sont des femmes qui sont à la tête de ces foyers.

Faire rempart contre la pauvreté nécessite de créer des droits, mais aussi de faciliter l’accès aux droits, car s’il en existe un grand nombre dans notre pays, les potentiels bénéficiaires n’y ont pas toujours recours. Il faut donc rendre les droits effectifs, et c’est le sens de la mise en place par les caisses d’allocations familiales (CAF) des « rendez-vous des droits », une des mesures inscrites dans le plan pauvreté. Il s’agit de rendez-vous qui durent plus longtemps que des rendez-vous ordinaires et au cours desquels les personnes bénéficient d’une analyse complète de leur situation pour identifier les prestations sociales auxquelles elles ont droit. Ces rendez-vous peuvent être proposés en cas de situation complexe, lorsque la personne a droit à plusieurs prestations, mais aussi en cas de parcours spécifique – naissance, décès ou rupture familiale. Les ruptures familiales touchent particulièrement les femmes, puisqu’elles peuvent tomber dans la pauvreté après une séparation, a fortiori si elles se retrouvent seules avec leur(s) enfant(s). Le bilan 2013-2014 du plan pauvreté montre que, sur 100 000 « rendez-vous des droits » annuels prévus, 130 000 ont été réalisés à fin 2014 ; l’objectif a donc été rempli. Néanmoins, j’ignore s’ils ont permis un meilleur accès aux droits pour les personnes reçues, car ces données ne m’ont pas encore été transmises par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).

Pour protéger contre la pauvreté, il faut aussi plus de simplicité. C’est pourquoi la feuille de route 2015-2017 du plan pauvreté prévoit la création d’un « coffre-fort numérique » qui conservera les pièces d’une institution à l’autre, afin que les personnes n’aient pas à refournir l’ensemble des pièces à chaque demande de prestation. Le dossier unique, envisagé initialement, n’a pas été retenu car ce ne sont pas les mêmes ressources qui sont utilisées pour l’attribution de chaque prestation sociale, et il aurait donc fallu changer les bases ressources.

Au-delà de cette simplification et de la facilitation d’accès aux droits, nous avons revalorisé un certain nombre de prestations sociales destinées aux personnes les plus fragiles.

Le RSA a été revalorisé de 2 % par an, et il est prévu que cette augmentation atteigne 10 % à la fin du quinquennat. Le RSA socle pour une personne seule s’élève actuellement à 500 euros par mois.

L’allocation de soutien familial (ASF), destinée aux familles monoparentales, a été augmentée de 5 % en 2014 et en 2015, ce qui représente un montant de 5 euros par mois et de 60 euros par an. Cela concerne 730 000 familles.

Le complément familial majoré destiné aux familles nombreuses – composées d’au moins trois enfants âgés de plus de trois ans – a été revalorisé de 10 % par an, soit 17 euros par mois et 200 euros par an. Cela a concerné 800 000 ménages en situation de précarité.

Sans ces prestations sociales, le taux de pauvreté des familles monoparentales, actuellement de 33 %, s’élèverait à plus de 50 %. C’est la preuve que ces prestations sociales tiennent leur rôle en limitant la précarité.

Protéger contre la pauvreté, c’est aussi permettre aux femmes sans domicile d’avoir un toit. Le plan avait prévu la création de 5 000 places d’hébergement, dont un tiers réservé aux femmes victimes de violences. L’objectif a été dépassé en termes de places d’hébergement, puisque 7 000 places ont été créées depuis 2013. En revanche, il n’est pas encore rempli s’agissant des places réservées aux femmes victimes de violences, soit 1 500 à 2 000 nouvelles places, en raison de deux freins majeurs. Le premier est que, parmi les nouvelles places, un grand nombre sont des places d’hôtel créées dans l’urgence pour accueillir les personnes sans domicile. Le second est que les structures d’accueil sont habituées à accueillir les personnes sans domicile, mais pas des publics spécifiques. D’où l’intérêt de ces places spécifiques, et même de structures spécifiques, l’accueil de personnes sans domicile et l’accueil de femmes victimes de violences étant deux métiers différents.

Les familles sont prioritaires pour être accueillies à l’hôtel. Évidemment, beaucoup de femmes avec leurs enfants y sont logées, dans les conditions que vous imaginez : une chambre, pas de quoi faire la cuisine avec les colis de l’aide alimentaire... C’est pourquoi un plan de réduction des nuitées hôtelières, coordonné par Sylvia Pinel, ministre du Logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité prévoit la création d’ici à 2017 de solutions alternatives qualitatives avec un accompagnement social systématique des familles. Car actuellement, les familles dans le besoin appellent le 115, dans le meilleur des cas elles sont logées à l’hôtel, mais sans aucun accompagnement social, si bien qu’elles ne peuvent pas résoudre leurs difficultés. Ainsi, transformer les nuitées hôtelières en nuitées dans des structures alternatives permettra de mettre en place cet accompagnement qui bénéficiera à un grand nombre de femmes.

Protéger encore, c’est évidemment permettre de se soigner. Ce sont des mesures que vous connaissez, puisque vous venez d’adopter en première lecture le projet de loi relatif à la santé, porté par Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Mais il m’est difficile de vous parler de précarité des femmes sans vanter les mérites du tiers payant généralisé, qui permettra à des millions de gens de se soigner sans avoir à avancer les frais médicaux, mesure essentielle qui concerne aussi bien les femmes que les femmes. De la même manière, la prise en charge à 100 % des actes avant et après l’interruption volontaire de grossesse (IVG) viendra renforcer le droit à l’IVG. Je sais que vous êtes en pointe sur ce sujet, en ayant notamment soutenu la suppression du délai de réflexion, qui a été votée.

En plus de protéger les femmes, il faut leur donner confiance et les sécuriser dans les parcours, car la précarité est souvent provoquée par les ruptures familiales, mais aussi les ruptures professionnelles, notamment à la suite de la naissance des enfants. On le sait : beaucoup de femmes arrêtent de travailler après une troisième naissance, ce qui peut engendrer un relatif isolement social, voire un isolement psychologique – il est parfois difficile de se réinsérer après être restée à la maison pendant plusieurs années. Quand je dis « donner confiance et sécuriser les femmes », loin de moi l’idée de penser qu’elles sont fragiles ou plus fragiles, notamment psychologiquement, que les hommes. Simplement, elles se retrouvent plus souvent dans des situations qui les fragilisent, puisque les familles monoparentales sont à 85 % des femmes avec enfants. L’objectif est donc de les aider à sortir d’une situation difficile et à se reconstruire, sachant que 60 % des mères célibataires se disent aujourd’hui fréquemment angoissées et que, de manière générale, les femmes sont deux fois plus souvent atteintes que les hommes de troubles dépressifs – encore que cette proportion doive être relativisée car la dépression se manifeste sous d’autres formes chez les hommes.

Dans cet objectif de sécurisation des familles monoparentales, la garantie contre les impayés de pension alimentaire a été votée dans le cadre de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, portée par Najat Vallaud-Belkacem, et je sais que vous y avez pris une part active. Ce dispositif est expérimenté dans vingt départements et devrait être généralisé rapidement. Le bilan en la matière montre que 1 000 pensions alimentaires minimales ont été versées à ce jour pour un montant moyen de 45 euros par enfant et par mois. Les choses démarrent, donc, et il faut renforcer le travail d’information car le nombre de femmes seules ne percevant pas de pension alimentaire est élevé.

J’en viens au temps partiel, sujet qui vous tient à cœur. On le sait : le temps partiel est le plus souvent subi par les femmes, et non souhaité ; elles sont donc nombreuses à vouloir travailler davantage. Un grand nombre de femmes à temps partiel travaillent dans le secteur de l’aide à domicile, auprès des personnes âgées et des personnes handicapées, et elles cumulent de faibles rémunérations, des temps de déplacement importants, des horaires décalés et des temps d’inactivité contraints. Certes, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi a imposé 24 heures de travail minimum par semaine, sauf accord de branche, mais de nombreuses dérogations existent, si bien que la loi ne suffira pas à résoudre le problème du temps partiel.

C’est la raison pour laquelle la feuille de route 2015-2017 comporte une mesure, soutenue par François Rebsamen, ministre du travail, consistant à encourager un plan de développement des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ). En effet, le groupement d’employeurs permettra aux femmes d’occuper plusieurs emplois à temps partiel sans cumuler les inconvénients de plusieurs employeurs, par exemple lorsqu’ils leur opposent un refus sur leurs dates de vacances.

Le temps partiel pose également un problème aux femmes lorsqu’elles veulent trouver un mode de garde pour leurs enfants. Comme vous le savez, le Gouvernement avait promis en 2013 la création de 275 000 solutions d’accueil d’ici à 2017. Certes, cet objectif est loin d’être atteint, mais les élections en 2014 ont retardé les projets des communes ou communautés de communes. Ma collègue Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la Famille, des personnes âgées et de l’autonomie a donc décidé de relancer le plan crèches, avec une aide supplémentaire de la CNAF de 2 000 euros par place de crèche dont la création est décidée en 2015.

En outre, les crèches étant plus souvent accessibles aux parents qui travaillent, et non à ceux en situation de précarité, le plan pluriannuel contre la pauvreté prévoit que 10 % des enfants de familles pauvres doivent être accueillis au sein des crèches, objectif qui a été inscrit dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) des caisses d’allocations familiales (CAF) et de la CNAF. L’administration se base sur les données fournies par les déclarations d’impôt pour déterminer si un enfant est issu d’une famille pauvre, et le logiciel « FILOUE » (fichier localisé des enfants usagers d’établissements d’accueil des jeunes enfants), mis en place dans dix départements, permet de suivre le nombre d’enfants accueillis dans chaque département. J’ajoute que le schéma départemental de l’accueil pour les familles, que doivent élaborer les préfets, décline le nombre de places en structure collective et le nombre de places chez les assistants maternels. Enfin, le versement en tiers payant, c’est-à-dire l’avance du complément de mode de garde pour les assistants maternels, expérimenté dans onze départements, permet aux familles qui ne peuvent avancer les frais de pouvoir malgré tout faire garder leurs enfants.

J’en viens maintenant à la prime d’activité, qui sera issue de la fusion entre la prime pour l’emploi (PPE) et le RSA activité dans le cadre du projet de loi relatif au dialogue social porté par François Rebsamen et qui sera présenté dans quelques jours en Conseil des ministres, avant d’être discuté au Parlement fin mai. Destinée à encourager la prise ou la reprise d’emploi pour les plus modestes, la prime d’activité devrait entrer en application dès le 1er janvier 2016.

Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi prend en compte la composition familiale. En effet, sans la prise en compte du nombre d’enfants à charge, qui permet de verser une prime plus importante, les perdants seraient les familles monoparentales. Néanmoins, une bonification individualisée sera liée uniquement à l’activité pour favoriser la bi-activité. Il s’agit de ne pas encourager les situations où le mari travaille et pas la femme, et je sais que votre délégation est particulièrement vigilante sur cette question, tout comme l’est Marisol Touraine en tant que ministre des Droits des femmes.

Le gain maximum sera compris entre 0,6 et 1,2 SMIC. Les personnes en dessous de 0,6 SMIC n’y perdront pas : elles gagneront un peu plus à chaque fois qu’elles travailleront un peu plus. Surtout, elles bénéficient de l’augmentation du RSA socle, en plus de celles intervenues pour les autres prestations – allocation de soutien familial, complément familial, allocation de rentrée scolaire.

L’objectif est d’encourager la reprise d’activité, et non de créer une allocation supplémentaire. Car il est souvent reproché à notre système de protection sociale, compte tenu des diverses allocations, de placer dans une situation comparable les personnes aux très petits revenus et celles qui ne travaillent pas ou très peu.

L’objectif est aussi d’introduire de la simplicité. En effet, alors que le taux de non-recours au RSA socle est de 30 %, celui du RSA activité se situe entre 60 % et 70 % en raison de la complexité du système : les personnes doivent déclarer leurs revenus tous les mois, elles peuvent aussi se voir réclamer des indus à la suite d’une simple erreur ou même d’un oubli sur la composition de leur foyer. Or certaines personnes se séparent et se remettent en couple tous les trois mois – vous avez certainement reçu dans vos permanences des bénéficiaires qui se voient réclamer des indus, alors qu’ils n’ont déjà pas grand-chose pour vivre. Pour remédier à ce problème, il est envisagé d’attribuer aux personnes des droits figés pour une durée de trois mois, c’est-à-dire quels que soient leurs changements de situation pendant de ce laps de temps, à charge pour elles de faire une nouvelle déclaration au bout de ces trois mois, formalité qui leur sera rappelée grâce à l’envoi d’un mail ou d’un SMS. Les courriers papiers ne sont, en effet, pas toujours lus ni compris par les destinataires, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques car il est très compliqué de faire rouvrir des droits. Cette simplification devrait aboutir à une diminution très nette du taux de non-recours, et nous espérons d’emblée un taux de recours de 50 %, ce qui nécessitera une information claire sur la nature du dispositif, à savoir une prime pour l’activité, et non une allocation, et un système beaucoup plus simple.

Vous vous êtes interrogée, madame la présidente, sur les moyens susceptibles de permettre aux femmes de retourner vers l’emploi. En la matière, la feuille de route 2015-2017 du plan pauvreté prévoit d’améliorer les dispositifs d’accompagnement vers l’emploi en renforçant la coopération entre Pôle emploi et les CAF. Concrètement, au vu des données de la CAF, qui connaît les dates de fin de congés parentaux et les allocations afférentes, Pôle emploi pourra, un an avant la fin de leur congé, conseiller les femmes sur une formation et leur proposer un bilan de compétences.

Pour terminer, je vais vous parler des enfants. Car lorsque les femmes sont en situation de pauvreté, leurs enfants en pâtissent, notamment à cause de toute une série de privations sur lesquelles l’UNICEF a publié un rapport édifiant qui montre qu’un nombre important d’enfants en France sont en situation de privation. Et lorsqu’elles n’ont pas suffisamment d’argent pour élever leurs enfants, les femmes seules culpabilisent. Par conséquent, aider les enfants, c’est aussi aider les femmes à ne pas culpabiliser, à ne pas sombrer dans des situations extrêmes quand elles n’ont pas les moyens d’acheter à manger à leurs enfants et encore moins de leur payer des loisirs et des vacances.

Ensuite, comme le montrent les chiffres, malgré un système de protection sociale très développé, malgré notre école républicaine, la pauvreté en France est toujours héréditaire. Il faut donc faire en sorte qu’elle ne le soit plus, et c’est une des priorités à laquelle je suis particulièrement attachée dans ma mission au Gouvernement. Dans cet objectif, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, a décidé de porter les fonds sociaux destinés aux enfants scolarisés dans le second degré à 45 millions d’euros, soit une augmentation de 8 millions d’euros, afin de mieux accompagner les élèves dont les parents sont pauvres.

Enfin, conformément à l’une des promesses de campagne de François Hollande, la lutte contre la pauvreté suppose de développer la scolarisation des enfants de moins de trois ans, ce que prévoit également la feuille de route 2015-2017. C’est la raison pour laquelle l’Éducation nationale embauche de nouveaux enseignants pour pouvoir ouvrir de nouvelles classes. Mais encore faut-il que les parents souhaitent mettre leurs enfants de moins de trois ans à l’école. C’est pourquoi un travail de discussions vient de démarrer entre les CAF et les services de la protection maternelle et infantile (PMI) afin de sensibiliser les familles sur l’intérêt de scolariser le plus tôt possible leurs enfants, car cela est un facteur de réussite scolaire. Certes, la scolarisation précoce concerne tous les enfants, mais il est avéré que l’échec scolaire a un lien avec la pauvreté.

Je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les classes passerelles sont une excellente solution pour les familles qui hésitent à mettre leurs enfants de moins de trois ans à l’école. Malheureusement, elles ne sont pas assez développées sur le territoire.

Concernant la prime d’activité, nous avons alerté François Rebsamen sur la simplicité absolue qui devra prévaloir à sa mise en œuvre. Ce dispositif, qui doit se faire à coût constant, a-t-il fait l’objet de projections en termes de gagnants et de perdants ?

Mme Maud Olivier. Merci beaucoup, madame la ministre, de cette présentation.

Vous avez annoncé la suppression de nuitées hôtelières en vue de la création de solutions alternatives. Est-ce le « 115 » qui créera et prendra en charge ces solutions alternatives ? Je pose cette question car les hébergements de court séjour de ce service d’urgence rendent très difficile la scolarisation des enfants et quasiment impossibles le suivi social des familles et l’accompagnement des parents. Ces solutions alternatives vont-elles répondre à cette problématique ? Les conseils départementaux assureront-ils le financement des nuitées ?

Lors de l’audition de François Chérèque par notre délégation, nous avons été alertées sur la pauvreté des enfants qui atteint 20 % dans notre pays. Il y a là un risque énorme pour les mères seules, mais aussi pour les enfants, de tomber dans la prostitution. Les chiffres sont difficiles à vérifier, mais selon une association qui s’occupe de prostitution enfantine, 6 000 mineurs sur le territoire français en seraient victimes, ce qui ne peut que renforcer notre volonté de lutter contre la pauvreté des enfants.

Mais la question reste posée pour les mineurs isolés. Comment aider ces enfants en situation de grande pauvreté et en déshérence ? Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de lutte contre la prostitution, nous avions demandé que les travailleurs sociaux soient réellement formés à des diagnostics et à des repérages de ces enfants qui se prostituent et qui évidemment ne le disent pas. Même si la proposition de loi n’a pas encore été votée, j’aimerais savoir s’il est possible d’avancer sur cette question de la formation des professionnels.

Pour finir, j’ai cru comprendre que la CNAF ne mettait pas toute l’énergie nécessaire pour que les « rendez-vous des droits » se concrétisent par des ouvertures de droits effectifs. Comment faire, madame la ministre, pour que la CNAF joue ce rôle indispensable d’ouverture des droits ?

Mme Sandrine Mazetier. Merci infiniment, madame la ministre, de tout ce que vous faites pour les droits des femmes. D’abord, je ne suis pas certaine que le déclenchement de cette prime à partir de 0,6 SMIC n’écartera pas du dispositif essentiellement des femmes. Disposez-vous de chiffres sur la répartition des revenus ? Ne pensez-vous pas que démarrer à 0,4 SMIC permettrait d’englober davantage de femmes ? En tout cas, toutes les données sur la répartition des revenus par sexe seraient utiles à notre délégation pour réfléchir à l’optimisation du dispositif, que nous trouvons a priori excellent. Mais nous souhaiterions qu’il vise juste.

Vous avez également évoqué le taux de non-recours au RSA activité. Le Gouvernement envisage-t-il un plan d’action pour que cette mesure importante et novatrice touche bien le public visé ?

En outre, je me demande s’il ne faudrait pas aussi envisager des stands d’information dans des lieux très fréquentés, en particulier par les personnes en grande difficulté, comme les supermarchés, les magasins low cost, etc. Avez-vous imaginé des choses de cet ordre ?

Enfin, il a été annoncé que la fusion de la prime pour l’emploi (PPE) avec le RSA activité serait réalisée à coût constant. De deux choses l’une : ou bien on augmente le coût ou on n’ajoute pas de bénéficiaires. Quelles sont vos convictions dans ce domaine, madame la ministre ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les permanences d’information des CAF pourraient également être installées dans des lieux comme La Poste, les épiceries sociales, etc.

Mme la secrétaire d’État. D’abord, la prime d’activité sera versée dès le premier euro de revenu d’activité, et non à partir de 0,6 SMIC. Jusqu’à 0,6 SMIC, la prime d’activité sera équivalente au RSA activité : une personne seule à 0,25 SMIC qui touchait 185 euros par mois au titre du RSA activité recevra 185 euros par mois au titre de la prime d’activité. En revanche, une personne seule à 0,75 SMIC touchera une prime d’activité de 188 euros par mois, soit un supplément de 56 euros par mois par rapport au RSA activité. Le maximum de gain par rapport au RSA activité serait compris entre 0,8 SMIC et 1,1 SMIC.

Par « coût constant », je fais référence à la dépense annuelle de 4 milliards d’euros qui devrait être consacrée à ce dispositif. Il faut savoir que le budget de la prime pour l’emploi (PPE) était en diminution constante depuis 2008, en raison du gel du barème. Comme le RSA, la prime d’activité sera indexée sur l’inflation. Il s’agit donc d’une prestation dynamique et qui bénéficiera aussi des revalorisations exceptionnelles du montant forfaitaire du RSA. Les « perdants » seront les personnes au-delà de 1,3 SMIC qui touchaient la PPE. Nous avons été extrêmement vigilants à ce que le dispositif soit ciblé sur les personnes en situation de précarité.

Je partage votre préoccupation sur l’importance de faire connaître ce dispositif. Un plan communication a été évoqué, mais je n’en connais pas les détails pour l’instant. Je peux néanmoins vous dire que le programme de simplification prévoit un simulateur en ligne qui permettra à chacun de calculer le montant de sa prime d’activité en fonction de ses revenus. Avec le « coffre-fort numérique », ce simulateur fait partie du plan pauvreté : il devrait grandement faciliter les choses.

Ensuite, les 13 000 solutions alternatives aux nuitées d’hôtel qui sont programmées d’ici à la fin du quinquennat supposent un accompagnement social automatique. Actuellement, les nuitées d’hôtel ne permettent pas cet accompagnement social. Surtout, elles sont un frein à la scolarisation des enfants, problème qui se pose essentiellement en Île-de-France, puisqu’un grand nombre de familles sont logées dans des hôtels éloignés de Paris, mais elles peuvent être domiciliées dans un centre communal d’action sociale (CCAS) ou une association basée dans la capitale, d’où une inadéquation entre le département de domiciliation et le département de résidence. Pour remédier à ce problème, les préfets ont eu pour consigne d’élaborer des schémas territoriaux. En outre, j’ai rencontré récemment l’Union nationale des CCAS (UNCCAS) lors d’une journée consacrée à la domiciliation. Le problème se pose d’ailleurs pour toutes les aides – une personne envoyée en nuitée hôtelière dans un département loin de la capitale doit venir chercher son aide alimentaire à Paris –, et c’est à cela que nous travaillons avec l’UNCCAS.

Enfin, vous connaissez mieux que personne le problème des enfants qui se prostituent. Une réflexion globale est actuellement menée sur la formation des travailleurs sociaux dans le cadre d’une démarche ascendante, intitulée « États généraux du travail social », qui s’appuie sur les remontées du terrain, les rapports d’experts, et la mission parlementaire conduite par votre collègue Brigitte Bourguignon. Parallèlement, Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la Famille, des personnes âgées et de l’autonomie, travaille sur la formation des éducateurs spécialisés, notamment dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance. La formation des assistants sociaux et celle des éducateurs sont différentes, et si la formation des travailleurs sociaux doit être renforcée, elle doit également être ciblée, car ils ne sont pas tous concernés par le sujet.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci infiniment, madame la ministre, de la clarté de votre propos et des réponses que vous nous avez apportées. Nous apprécions beaucoup le travail qui est réalisé au sein de ce grand ministère qui regroupe trois secrétaires d’État autour de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, toutes engagées en faveur de l’égalité réelle des droits entre les hommes et les femmes.

Mme la secrétaire d’État. Je tiens à vous rappeler que je suis à votre disposition non seulement dans le cadre des auditions, mais aussi à chaque fois que vous le souhaiterez, car je considère que j’ai à vous rendre compte de notre activité au sein du ministère.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci encore, madame la ministre, de votre engagement.

Audition de représentant-e-s d’organisations syndicales de salarié-e-s (CFCT, CFDT, CFE-CGE, CGT et FO), sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi

Compte rendu de l’audition du mardi 5 mai 2015

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous accueillons des représentants des syndicats qui vont nous faire part de leur appréciation sur le projet de loi « relatif au dialogue social et à l’emploi » au regard de l’égalité femmes-hommes.

Au nom de la délégation, Mme Sandrine Mazetier, rapporteure sur ce projet de loi, va poser plusieurs questions.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. L’article 5 prévoit une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les institutions représentatives du personnel (IRP). Que pensez-vous de la possibilité de prévoir, d’une part, une forme de bonus pour encourager à la représentation plus équilibrée dans les IRP – par exemple, des heures de représentation –, au-delà des sanctions, et, d’autre part, des mesures pour instaurer la parité au sein des commissions paritaires interprofessionnelles régionales, prévues à l’article 1er ? Double question, donc, sur un bonus pour les IRP prenant mieux prendre en compte l’objectif de mixité des professions et sur la parité pour les commissions paritaires régionales.

Les articles 13 et 14 sont relatifs au regroupement des consultations et négociations obligatoires. Nous souhaitons connaître votre appréciation sur la place de la négociation collective sur l’égalité professionnelle et sur le rapport de situation comparée (RSC). En particulier, pensez-vous nécessaire de rétablir l’égalité professionnelle comme thème de la négociation collective ou, au contraire, d’affirmer le caractère transversal de l’égalité professionnelle en prévoyant qu’elle soit évoquée dans les trois temps de la négociation, et non exclusivement dans le temps « qualité de vie au travail » (QVT)?

L’article 24 est relatif à la réforme des dispositifs de soutien aux travailleur-se-s modestes. Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur la prime d’activité et son impact concernant les femmes ?

Enfin, quelle est votre position sur l’utilisation éventuelle du fonds paritaire de financement des organisations syndicales de salariés et d’employeurs – dont l’article 18 prévoit l’élargissement du champ des missions – pour les formations des représentants du personnel ou les recherches sur l’égalité professionnelle ?

Mme Dominique Marchal, secrétaire confédérale chargée de l’égalité, responsable de la Commission confédérale femmes, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). La CFDT demande depuis longtemps la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les IRP. La disposition prévue dans le projet de loi bousculera les habitudes, mais sans cela, on n’avancera pas.

Concernant le bonus, j’avais compris qu’il s’agissait d’encourager cette représentation-là ; or vous venez de parler d’un objectif de mixité.

Mme Sandrine Mazetier. Le texte prévoit que pour une entreprise qui comporte 70 % d’hommes et 30 % de femmes, les IRP doivent reproduire cette proportion. Cela nous semble contradictoire avec le travail mené par le Gouvernement en faveur de la mixité des métiers, qui participe aussi de l’égalité professionnelle. C’est pourquoi nous préconisons, en plus d’une représentation qui serait un miroir absolu, un encouragement à aller plus loin, grâce par exemple à des heures de délégation, pour inciter des organisations à proposer 40 % de femmes même s’il y en a 30 % dans le corps électoral.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je suis contre la représentation miroir. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir comment on peut inciter davantage à une représentation des femmes.

Mme Dominique Marchal. La CFDT est favorable à la mixité proportionnelle, c’est-à-dire représentative de l’entreprise. Dans une entreprise comportant 80 % de femmes, cela impliquerait 80 % de femmes dans les IRP, ce qui constituerait déjà un grand pas. C’est comme cela que nous envisageons l’égalité.

Concernant le bonus pour aller plus loin, il ne nous semble pas opportun de l’envisager, car il serait compliqué d’avoir un nombre d’heures de délégation suffisant pour fonctionner en tenant compte du nombre d’hommes et de femmes.

Quant aux commissions paritaires régionales, la CFDT a toujours été favorable à une élection de liste, et non sur sigle, et aurait été prête à avoir des listes paritaires. Dans la mesure où de nombreuses femmes travaillent dans les très petites entreprises (TPE), nous sommes pour la règle de la parité, mais à condition qu’elle soit proposée par organisation.

Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale chargée de l’égalité professionnelle, de Force ouvrière (FO). Nous pensons que la proportion est plus raisonnable que la parité, inapplicable selon nous. En outre, nous préférerions que cette proportion soit plus souple et progressive. On pourrait prévoir, par exemple, une proportion à plus ou moins 30 % au premier renouvellement de l’instance, puis une proportion plus proche de la proportion pure au scrutin suivant, à plus ou moins 10 %. Des mesures progressives de cet ordre ont été instaurées pour les instances qui dépendent des pouvoirs publics.

Ce qui nous pose problème, c’est la sanction a posteriori, à savoir une invalidation d’élection. Nous proposons une incitation, c’est-à-dire un crédit d’heures supplémentaires qui serait octroyé aux organisations syndicales dont l’ensemble des listes respecterait l’équilibre proportionnel.

En tout état de cause, la mise en place d’une telle mesure sera difficile. Le non-engagement des femmes dans la vie syndicale est un vrai sujet. Certes, il faut des mesures volontaristes, mais il faut aussi traiter la situation des femmes au regard des autres sujets : l’emploi, la conciliation des temps, la rémunération des femmes, la répartition des tâches.

Mme Pascale Coton, secrétaire générale confédérale, de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Le principe de réalité doit nous amener à nous demander pourquoi les femmes ont autant de mal à s’impliquer dans le monde syndical. Il faut bien voir que tant que les femmes se poseront des questions sur leur emploi, la perte de salaire, leur carrière professionnelle, leur situation monoparentale, tant qu’elles auront peur l’avenir, que l’ascenseur social ne fonctionnera pas si elles s’engagent en dehors de leur travail, tant qu’elles seront dans l’incertitude quant aux conséquences sur leur retraite et la conciliation des temps de vie, elles ne souhaiteront pas s’engager dans le syndicalisme – ni d’ailleurs en politique et dans le secteur associatif. En tout cas, ce sont les réponses qu’elles nous donnent. Certes, le projet de loi reconnaît le parcours syndical au-delà de 30 % d’engagement, mais dans combien de temps, combien d’années cette reconnaissance sera-t-elle effective ? Il faudra certainement attendre un temps très long avant qu’hommes et femmes soient logés à la même enseigne professionnelle !

Dans le cadre des élections dans l’agriculture l’année dernière, l’égalité hommes femmes a été imposée dans les listes, puis cela est devenu une femme sur trois. La CFTC s’est arraché les cheveux pour trouver des femmes désireuses de s’engager dans un métier difficile. Qu’est-ce qu’on donne aux femmes pour qu’elles y gagnent par rapport à leur situation actuelle de salariée ?

Dans la perspective de notre congrès en novembre 2015, nous avons inscrit dans nos statuts que partout où il sera possible de présenter deux personnes, elles devront être de sexe différent, faute de quoi la structure ne pourra pas présenter de candidat. Nous savons déjà que certaines structures ne pourront pas être représentées au sein de notre confédération, faute de trouver des femmes qui remplissent les conditions – deux ans de responsabilité syndicale sont nécessaires pour arriver au niveau confédéral.

Par conséquent, faisons très attention à ce que l’on met dans une loi, car des sanctions, en l’occurrence l’annulation d’élection, pourraient avoir des conséquences extrêmement graves sur le dialogue social, mais aussi pour les salariés. Nous n’aurions peut-être même rien à gagner. Lorsque certains membres du gouvernement précédent avaient proposé que la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur les salaires soit déclarée non valable dans les grandes entreprises en cas d’absence de parité, j’avais indiqué que cela reviendrait à rendre les femmes responsables dans les entreprises de ne pas avoir pu valider des augmentations salariales.

Enfin, s’agissant du bonus, qui va attribuer ces heures supplémentaires : la DGT, l’entreprise ? Ces heures supplémentaires seront-elles prises sur le contingent des hommes ? Autant de questions auxquelles il faut réfléchir.

M. Franck Mikula, secrétaire national chargé de l’emploi et de la formation, de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). La CFE-CGC se réjouit du choix qui a été fait d’une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes au sein des IRP. Au premier abord, il peut paraître raisonnable de mettre en œuvre cette mesure progressivement. Néanmoins, il faudra sans doute s’inspirer des politiques qui ont décidé de passer brutalement à une représentation égalitaire entre les hommes et les femmes… car finalement, les femmes, on les trouve ! Une des raisons pour lesquelles les femmes sont si peu nombreuses dans les syndicats, c’est probablement parce que les hommes ne leur laissent pas la place. Je fais partie d’une organisation dont le trio confédéral est composé aux deux tiers de femmes : cette représentation équilibrée est donc possible. Dans certains cas, il n’y aura donc aucune femme, dans d’autres, aucun homme – cela n’est pas choquant si cela est représentatif du corps électoral.

Le bonus-malus va favoriser la mixité des métiers, dites-vous. Je ne comprends pas cet argument, car la représentation équilibrée et la mixité des métiers sont deux sujets totalement différents.

Une représentation équilibrée peut être une aubaine si l’on met 30 % d’hommes devant, et 70 % de femmes derrière dans les positions non éligibles. Il faut donc aller plus loin, en imposant une présentation des candidatures qui soit véritablement représentative – s’il y a autant de femmes que d’hommes dans l’entreprise, par exemple, une candidature sur deux devra être une femme ou un homme.

L’article 8 du projet de loi prévoit que les membres suppléants de la délégation unique du personnel participent aux réunions en cas d’absence des membres titulaires. Cela reviendra à diminuer la participation des suppléants au fonctionnement des IRP, ce qui est fort dommage, car cette fonction constitue souvent un marchepied pour les nouveaux candidats et donc les nouvelles candidates ! Si l’on veut une représentation équilibrée des hommes et des femmes, il faut y mettre tous les moyens.

Parler de la représentation équilibrée des salariés, c’est bien, mais quid des employeurs ? Ne pensez-vous pas choquant d’avoir une armada de femmes face à quatre patrons hommes ? Aller au bout du processus impose d’être exigeant aussi sur la représentation équilibrée des employeurs.

Il semble préférable de raisonner en termes de bonus-malus qu’en termes de stricte pénalité. Si l’augmentation du nombre d’heures de délégation permet d’aller plus loin que la représentation équilibrée, pourquoi pas. Une mesure qui améliore le fonctionnement des syndicats est toujours bienvenue. Quant à savoir qui paiera, c’est évidemment l’entreprise qui doit fournir les heures de délégation supplémentaire pour favoriser la présence de la partie du corps social la moins bien représentée au sein des salariés.

Enfin, nous sommes bien évidemment favorables à la parité dans les commissions paritaires régionales, qui sera plus facilement atteinte grâce à un scrutin de liste.

Mme Sophie Binet, membre de la direction confédérale, chargée des questions relatives aux femmes, de la Confédération générale du travail (CGT). En 1999, la CGT a imposé la parité dans ses instances de direction confédérale : dans nos délégations interprofessionnelles au niveau national, nous sommes quasiment à la parité, mais au niveau de nos organisations sur les territoires et dans les professions, c’est un autre problème !

La juste représentation des femmes dans les IRP est une proposition que nous portons depuis longtemps – nous l’avons encore fait dans le cadre de l’examen de la loi sur l’égalité femmes-hommes. Mais nous pensons nécessaire de se pencher, avant tout, sur les raisons qui expliquent l’inégale représentation des femmes. Comme Pascal Coton, je pense à la surexploitation des femmes au travail, majoritaires dans les temps partiels et les emplois précaires ; à l’inégal partage des tâches domestiques, qui empêche les femmes d’assister à des réunions tard le soir ou les oblige à cumuler trois emplois du temps au lieu de deux ; à la concentration des femmes dans des secteurs où la présence syndicale est moindre, et dans les TPE-PME, où il n’y a pas d’IRP.

Cette étude qualitative sur les freins à l’accès des femmes aux IRP et les leviers susceptibles d’améliorer la situation, nous la demandons depuis un an et demi. Elle permettrait de disposer d’un panel de propositions, y compris qualitatives, par exemple des mesures d’accompagnement du mandat pour aider les femmes dans la prise en charge des enfants et des tâches ménagères lorsqu’elles se rendent à un CCE à Paris ou à un CCE à Bruxelles, ou encore pour réguler les horaires de réunion afin qu’elles n’empiètent pas sur la vie privée des femmes, etc.

Pour en venir au projet de loi, il faut mesurer l’impact de toutes les mesures sur la présence des femmes dans les instances. D’abord, comme l’a dit Franck Mikula, la disposition sur les suppléants fragilisera la place des femmes. Ensuite, la mesure de concentration d’instances, avec l’élargissement de la possibilité de mettre en place une délégation unique du personnel (DUP), est défavorable à la prise de responsabilités des femmes, tout comme la mesure de valorisation des parcours militants avec le seuil à 30 %, car il faut pour cela cumuler trois mandats et que ce seuil exclut de fait les salariés à temps partiel. Enfin, l’élargissement des possibilités de négociation aux élus sans étiquette nuira également à la représentation syndicale des femmes, dans la mesure où les femmes sont plutôt dans des déserts syndicaux.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Pourriez-vous expliquer ce dernier point ?

Mme Sophie Binet. En cas de négociation par des élus sans étiquette, des commissions paritaires doivent valider les accords. Toutefois, ces commissions paritaires sont supprimées. À l’inverse, la possibilité pour des salariés mandatés, au lieu du syndicat, de négocier est élargie par rapport aux dispositions actuelles. Or, ces mesures d’ordre général s’appliqueront dans des secteurs où la présence syndicale est moindre, et donc dans des métiers à prédominance féminine.

Concernant précisément l’article 5, la mesure retenue nous inquiète, car la sanction seule risque d’aboutir à une augmentation du nombre de déserts syndicaux, c’est-à-dire sans liste syndicale. Au-delà, nous avons des interrogations d’ordre technique : faudra-t-il réorganiser des élections et, si oui, passer directement au deuxième tour ?

En résumé, la CGT propose une mise en place progressive avec, d’abord, une étude qualitative, puis l’instauration d’un système de bonus-malus – le dispositif pour la représentation parlementaire ressemble à cela, avec une pénalité sur le financement des partis politiques. Pour favoriser cette mise en place progressive, nous préconisons une mesure du type « plus un, moins un » : dans une entreprise comportant deux tiers d’hommes et un tiers de femmes où six postes sont à pourvoir, quatre seraient attribués aux hommes et deux aux femmes avec une souplesse de « plus un, moins un » pour les entreprises de moins de 300 salariés, par exemple. Nous souhaitons également que la condition d’ancienneté des candidats soit abaissée à trois mois, au lieu de six actuellement, sachant que les femmes sont plus nombreuses à occuper des emplois précaires. Enfin, nous sommes favorables à une représentation des salariés des TPE, mais nous pensons également qu’il est important de s’interroger sur la représentation dans les branches, ce qui permettrait d’envisager à la fois la représentation syndicale et la représentation patronale.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Nous en venons à la deuxième question. Faut-il rétablir dans les documents obligatoirement renseignés et dans les trois temps de négociation prévus par le projet de loi la dimension égalité professionnelle ? Ou faut-il concentrer sur un temps et un document la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle ? Ou encore faut-il un hybride des deux, c’est-à-dire à la fois retrouver le registre de situation comparée ou le RSE et une approche transversale lors de la négociation QVT, laquelle, aux termes du projet de loi, inclut l’égalité professionnelle ? Enfin, quelle appréciation portez-vous sur le devenir du RSC et du RSE dans le texte actuel ?

Mme Sophie Binet. Ces dispositions du projet de loi nous inquiètent beaucoup. L’égalité professionnelle comme sujet régulier de négociation dans l’entreprise est une construction vieille de trente ans, dont on commence à voir les résultats aujourd’hui, avec les sanctions, les négociations qui fleurissent et le rapport de situation comparée. Si le projet de loi reste en l’état, tout cela s’écroulera, puisque le RSC disparaît, la négociation dédiée disparaît, et l’on ne sait pas ce qu’il adviendra des sanctions. Au surplus, alors que nos équipes militantes commençaient à s’approprier toutes ces questions, nous serons obligés de les former à nouveau. Par conséquent, notre position est qu’il faut conserver les outils qu’on a réussi à construire, en intégrant les avancées de la loi du 4 août 2014.

Ensuite, l’égalité entre les femmes et les hommes est, pour nous, une préoccupation transversale qui doit être abordée à chaque négociation. Tout concentrer dans le cadre de la négociation QVT reviendra à exclure les enjeux majeurs d’égalité salariale et professionnelle.

En définitive, nous souhaitons, d’un côté, que les questions d’égalité soient traitées de façon obligatoire dans un maximum de temps – la formation professionnelle doit interroger sur l’accès à la formation professionnelle des femmes ; la prévention des risques, sur les risques professionnels des femmes, etc. – et, de l’autre, que la négociation spécifique égalité et le document spécifique égalité soient conservés, pour avoir une visibilité forte sur cette thématique. Bref, cet équilibre, dont on commence à voir les fruits dans l’entreprise, doit être préservé.

M. Franck Mikula. Le législateur casse tout le dispositif actuel, en regroupant en trois thématiques les consultations et les négociations. Votre délégation s’inquiète pour la négociation sur l’égalité hommes-femmes, mais la commission des Finances pourrait tout aussi bien s’inquiéter du devenir des négociations annuelles sur les salaires ! Le problème n’est donc pas que la négociation égalité hommes-femmes ait disparu, le problème est que toutes les négociations thématiques qui avaient de l’importance pour l’ensemble des salariés, hommes comme femmes, seront noyées. Ce processus ne va pas dans le bon sens pour la défense des salariés.

Vous l’avez compris : je ne suis pas très favorable au regroupement des négociations. Comme l’a dit Sophie Binet, le long combat de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est loin d’être terminé. Si l’on n’y prend pas garde, les femmes resteront encore dans l’ombre, peu représentées par les syndicats et faiblement défendues dans les négociations au sein des entreprises. Il faut donc un traitement particulier de la question de l’égalité hommes-femmes.

Selon le projet de loi, certains seuils sont déplacés et la DUP devient le mode normal de représentation jusqu’à 300 salariés. En revanche, la commission égalité professionnelle, qui s’appliquait à partir de 200 salariés, disparaît. Ensuite, lorsqu’une l’entreprise décide une DUP au-delà de 300 salariés, toutes les commissions deviennent facultatives. De facto, la commission égalité professionnelle passe à la trappe ! Or, on ne peut pas dire, d’un côté, qu’il y a un sujet égalité hommes-femmes dans le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, et, de l’autre, faire disparaître un pan entier de la législation qui préservait l’égalité hommes-femmes dans les entreprises ! La survie de la commission égalité professionnelle est en cause, vous devez donc porter votre attention sur son utilité, notamment au travers du rapport de situation comparée.

Pour ce qui est de l’unicité de la consultation, je serai moins sévère. Les consultations peuvent être regroupées de façon rationnelle dans trois temps distincts, mais à condition que les élus du personnel rendent un avis sur chacune des thématiques – égalité hommes-femmes, temps partiel, durée du temps de travail, etc. Or, le projet de loi est très discret sur ce point.

Enfin, d’après la lecture que je fais du projet de loi, je ne crois pas que le RSC ait disparu.

Mme Sophie Binet. J’espère que vous avez raison.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Effectivement, les choses ne sont pas claires.

Jean-Michel Cerdan, secrétaire confédéral, de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Je commence par les négociations, prévues à l’article 14.

Au premier abord, on pourrait penser que c’est « marche arrière toute », mais c’est une logique séquentielle qui se trouve dans ce projet de loi. Ainsi, d’une logique de résultat, on passe à une logique de « à défaut » et de « si et seulement si ».

L’article 2242-6 du code du travail prévoit que les négociations obligatoires en entreprise prennent en compte l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Donc, pour répondre à votre question, l’égalité professionnelle doit avoir un caractère transversal dans les négociations, y compris dans la triennale GPEC, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Ce projet de loi modifie l’article L. 2242-8 du code du travail, qui inclut déjà les salaires effectifs, en prévoyant que la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail porte, notamment, sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, mais qu’en l’absence d’accord, la négociation annuelle sur les salaires effectifs prévue à l’article L. 2242-5 porte également sur les écarts de rémunérations. Ainsi, les salaires effectifs se retrouvent dans le premier silo, « la rémunération » ; et l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes, dans le deuxième silo, « la qualité de vie au travail », mais faute d’accord, ce thème revient au premier silo ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Par ailleurs, la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences (GPEC), mes collègues ont raison, est limitée aux entreprises de plus de 300 salariés. Sur le RSC, nous sommes très inquiets, c’est le moins qu’on puisse dire ! Quant à la négociation spécifique égalité hommes femmes, la logique du projet de loi ne s’y prête absolument pas !

J’en viens aux consultations, prévues à l’article 13.

L’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes fait partie la « politique sociale » de l’entreprise, si bien qu’elle se retrouve intercalée, dans le projet de loi, entre « les modalités d’utilisation du contingent annuel d’heures supplémentaires et les modalités d’exercice du droit d’expression des salariés ». Les « petits » syndicalistes que nous sommes seront-ils capables d’analyser ce flot de données face à une armada de gestionnaires et autres DRH ? Bref, il faut absolument des avis par domaine, et non noyés dans la masse ! Car la négociation sur l’égalité professionnelle concerne obligatoirement les conditions d’accès à l’emploi, à la formation professionnelle et à la promotion professionnelle, les déroulements de carrière, les conditions de travail, le temps partiel, etc. !

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les actuelles 17 négociations annuelles sont-elles satisfaisantes ?

Jean-Michel Cerdan. Le projet de loi modifie les règles de négociation par voie d’accord : pour les NAO, on passe d’une périodicité annuelle à une périodicité à trois ans ; pour la GPEC, on passe de trois ans à cinq ans. Demain, la négociation de branche suffira !

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. La négociation de branche garde sa périodicité, contrairement aux négociations d’entreprise, qui peuvent changer de périodicité par voie d’accord.

Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale chargée de l’égalité professionnelle, de Force ouvrière (FO). Pourquoi légiférer à nouveau sur l’égalité professionnelle ? L’arsenal législatif était à peu près complet, avec un décret de décembre 2012 prévoyant une sanction financière pour les entreprises ne respectant pas l’obligation de négociation ou de dépôt du plan d’action égalité – aucune entreprise n’a mis la clé sous la porte depuis. Quant à la loi du 4 août 2014, elle a permis de regrouper les négociations salariales femmes-hommes dans la négociation égalité professionnelle ; il est trop tôt pour savoir si la mesure est appliquée. Nous n’avons pas de recul non plus sur ce qui a été décidé par les signataires de l’accord QVT, notamment pour le regroupement de toutes les négociations – nous n’avons pas signé cet accord, mais soutenu son volet RSC qui avait été sanctuarisé dans la loi.

Avec ce projet de loi, toutes ces dispositions sont balayées, ce qui constitue à nos yeux une véritable régression en matière d’égalité professionnelle après des années et des années de construction au cours desquelles nos équipes syndicales avaient progressé sur cette question. Nous voyons dans cette fusion des négociations une remise en cause du sujet égalité professionnelle, mais aussi du sujet handicap. Nous observons d’ailleurs cette remise en cause au niveau européen, à la faveur de chartes, de codes éthiques, de RSE, de droits souples…

Vous l’avez compris, nous sommes farouchement opposés à l’article 14 du projet de loi, car la négociation égalité professionnelle se retrouverait dans un « 2° » d’une négociation fourre-tout, où des sujets pourraient être ajoutés par accord majoritaire, sans compter que pourrait être modifiée la périodicité par accord majoritaire au niveau des branches.

Ensuite, FO est favorable au caractère transversal de l’égalité professionnelle : ce sujet doit être traité par une négociation spécifique, mais aussi par toutes les autres, au même titre que le handicap. Nous avons d’ailleurs participé à l’avis que rendra le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle lundi prochain à ce sujet.

Dans le jeu de piste des articles du projet de loi, nous comprenons bien que le rapport de situation comparée et la base de données unique disparaissent ! Nous le déplorons. Quant à la sanction financière, les choses ne sont pas claires : l’article L. 2242-5-1 du code du travail serait modifié pour dire que les entreprises sont soumises à pénalité lorsqu’elles ne sont pas couvertes par un accord relatif au  « 2° » du projet de loi sur la négociation QVT ; or, ce 2° comporte plusieurs sujets, si bien que l’accord sera un accord QVT, et non un accord égalité… Il suffira donc que l’accord QVT comporte une ligne sur l’égalité professionnelle pour qu’il n’y ait pas de sanction. Bref, l’article n’est pas clair, c’est le moins qu’on puisse dire. Nous sommes farouchement contre ce retour en arrière.

Mme Dominique Marchal. La CFDT avait déjà demandé un regroupement des consultations. Tel qu’il est prévu dans le projet de loi, le processus avec trois grandes consultations nous convient, d’autant que toutes les consultations obligatoires sont reprises.

Ce processus fait référence à la base de données économiques et sociales (BDES), que nous aimerions voir dénommée base de données unique (BDU), qui devrait selon nous être disponible pour toutes les IRP et à tous les niveaux, du groupe jusqu’à l’établissement. Nous pensons en effet indispensable de consolider cette BDES, car elle est appelée à jouer un rôle central dans les consultations pour la mise à disposition des informations sur l’égalité professionnelle. Pour ce faire, nous souhaitons que toutes les données y figurant soient des données genrées, ce qui permettrait d’y retrouver tous les éléments que doit comporter le RSC, lequel, nous sommes d’accord avec FO, a disparu de la rédaction actuelle du projet de loi.

Pour ce qui est du regroupement des négociations, la dimension égalité professionnelle est mentionnée dans les trois négociations. A priori, il y a une volonté de prise en charge transversale de la question. Par contre, n’est mentionnée nulle part l’obligation de fournir, lors de chaque négociation, des informations sur la situation comparée entre les hommes et les femmes. Il faut donc être cohérent : si l’on mentionne l’égalité entre les femmes et les hommes dans les trois négociations, cela suppose l’obligation de fournir des éléments de comparaison entre les hommes et les femmes pour ces trois temps.

La négociation de l’égalité professionnelle dans le cadre d’un accord QVT ne nous choque pas. C’est ce que nous avons voulu réaliser dans la négociation sur l’ANI (l’accord national interprofessionnel) QVT/EP – « EP » signifiant égalité professionnelle. Du coup, nous serions satisfaits si le texte parlait de QVT/EP, car le fait de négocier l’égalité professionnelle dans le cadre de la qualité de vie au travail est cohérent, à condition que l’égalité professionnelle reste visible.

Mme Anne Balthazar. Il n’existe aucun accord QVT/EP.

Mme Dominique Marchal. En ce qui concerne la sanction, si la négociation sur l’égalité professionnelle reste obligatoire, la rédaction actuelle du texte est effectivement très floue.

Enfin, sur la qualité de vie au travail, nous tenons à la référence à l’organisation du travail, à laquelle il n’est jamais fait référence dans le texte. L’organisation du travail est, en effet, un élément fondamental pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Nous passons à l’article 18, relatif au fonds paritaire de financement des organisations syndicales de salariés et d’employeurs. Pensez-vous intéressant de prévoir l’élargissement des missions de ce fonds à des recherches genrées – par exemple, sur les mesures d’accompagnement du mandat – et à la formation des représentants du personnel aux négociations égalité professionnelle et à leur caractère transversal ?

Mme Dominique Marchal. L’article 18 prévoit une nouvelle mission d’intérêt général, la recherche. Pour la CFDT, prévoir que les partenaires sociaux vont gérer les recherches, dont des recherches sur l’égalité professionnelle, nous semble compliqué.

Quant à l’élargissement du fonds aux formations, nous n’y sommes pas favorables.

Mme Anne Baltazar. FO n’est pas très favorable à l’élargissement des missions du fonds en l’état actuel de sa mise en place et des ressources qui lui sont attribuées. En effet, en cas de nouvelles missions, il faudra aussi prévoir les ressources ; or, les ressources actuelles sont déjà affectées à des missions très précises et l’équilibre est précaire.

Mme Sophie Binet. L’égalité professionnelle est une question compliquée ; or, très souvent, nos élus arrivent à négocier toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire qu’on leur demande juste de regarder les écarts salariaux entre un homme secrétaire et une femme secrétaire à temps plein, alors que les inégalités sont ailleurs, dans les temps partiels, la carrière, etc. Ils doivent donc être formés. Mais si la formation est importante, elle pose la question de son financement et des nouvelles ressources.

Aujourd’hui, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) rejettent des accords ou des plans d’action dont le contenu est insuffisant. Il faut veiller à préserver ces avancées.

Enfin, je pense qu’un droit d’expertise ciblé sur la question de l’égalité professionnelle nous aiderait beaucoup pour défendre ces questions au quotidien.

Mme Pascale Coton. Selon notre responsable qui siège au fonds paritaire, il faut faire attention car non seulement tout n’est pas dans les clous – les statuts, le bureau qui n’est pas installé –, mais cette cotisation sera l’équivalent du FONGEFOR dont le financement n’est pas extensible. Par conséquent, il n’est pas sûr que les entreprises et le MEDEF soient d’accord pour rajouter des missions de recherche et de formation. En outre, fixer des thèmes lui semble prématuré. Enfin, s’il s’agit simplement de financer des recherches du type de celles de l’IRES ou de la DARES, cela n’apportera rien.

Deuxièmement, s’il faut des formations spécifiques, il conviendra de déterminer qui doit être formé et veiller à ce qu’on entend par « formation ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’article 18 ne prévoit pas des études, mais « l’animation et la gestion d’organismes de recherche. »

M. Franck Mikula. On ne peut pas augmenter les attributions de ce fonds sans changer l’enveloppe. Une contribution à hauteur de 0,020 % ne suffit déjà pas ; rajouter le financement d’organismes de recherche est problématique. Et on n’en est qu’au premier projet de loi, avant même que le fonds paritaire existe ! Par contre, si la contribution passe 0,080 %, je serai d’accord.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Dernière question : quel regard portez-vous sur la prime d’activité pour les salariées ?

M. Franck Mikula. Cette mesure aura un impact pour les salariés touchant une rémunération insuffisante, qu’ils soient hommes ou femmes. Si, malheureusement, les femmes sont plus concernées, en particulier parce qu’elles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel ou en emploi précaire, l’objectif de cette mesure n’a rien à voir avec l’égalité hommes-femmes.

Mme Pascale Coton. Les chiffres le montrent : la paupérisation des femmes fait que cette prime d’activité – destinée aussi bien aux femmes qu’aux hommes – concernera davantage les femmes que les hommes. Pour nous, l’important est de permettre aux travailleurs précaires d’avoir un véritable travail avec une rémunération correcte, et non de leur appliquer un pansement, même si cela est vital. Nous attendons du MEDEF qu’il se mette au travail pour créer 1 million d’emplois, et non pour faire fabriquer un pin’s « 1 million d’emplois » !

M. Franck Mikula. Nous sommes bien sûr favorables à cette prime d’activité. Par contre, elle pose la question de savoir jusqu’où nous allons subventionner l’emploi. Ceux qui donneront de l’argent aux apprentis, c’est vous et moi, et non leurs employeurs. Ces derniers n’auront pas besoin de changer le mode de rémunération des apprentis, il y aura la prime ! Plus la peine non plus d’augmenter les bourses des étudiants ou d’augmenter la rémunération des salariés à temps partiel ou en emploi précaire… Le jeu qui se joue actuellement est, à mes yeux, contreproductif.

Mme Sophie Binet. Depuis la mise en place de la PPE, nous avons des interrogations de principe sur le fait que certains salariés ne seraient pas capables de gagner suffisamment pour vivre par leur travail et qu’il faudrait subventionner leur emploi par l’impôt. Pour notre part, nous considérons que le travail doit permettre à tout le monde de vivre dignement.

Je rappelle que les exonérations de cotisations sociales sont concentrées sur les bas salaires, les emplois précaires et les temps partiels. Mais dans la mesure où 45 accords de branche dérogent à la règle des 24 heures, un grand nombre de salariés sont en dessous du seuil de 150 heures par trimestre et n’ont pas suffisamment de revenus pour vivre, ni aucune protection sociale. Or, les pouvoirs publics subventionnent les bas salaires, les emplois précaires et les temps partiels par le biais des exonérations de cotisations massives. Par conséquent, une vraie mesure qui favorise l’égalité femmes-hommes serait de supprimer les exonérations de cotisations sur ces types d’emploi, car elles reviennent à pénaliser les femmes.

Mme Anne Baltazar. FO a conscience du taux très important de non-recours au RSA activité et ne s’en satisfait pas. Réformer le dispositif en vue d’une meilleure efficacité est, pour nous, une nécessité – s’agissant de lutter contre la pauvreté, notamment la pauvreté en emploi – plus encore que d’inciter à l’exercice d’une activité professionnelle. Nous avons cependant voté contre à la CNAF, mais pour des questions de mise en œuvre et de moyens.

La plupart des paramètres de calcul de la future prime d’activité sont renvoyés à des décrets, ce qui ne nous permet pas d’avoir une estimation du nombre de bénéficiaires au-delà du chiffre qui figure dans l’exposé des motifs. Pour FO, cette réforme doit permettre d’améliorer le dispositif, de le simplifier, mais sans faire de perdants par rapport aux personnes éligibles au RSA activité et à la PPE. Or, sur ce point, nous n’avons pas de garantie.

S’agissant des femmes, la problématique est la même que pour le RSA : le mode de calcul n’est pas individualisé, mais familialisé. Ainsi, une femme avec des revenus du travail modestes, mais dont le conjoint a des revenus élevés, ne percevra pas la prime individuellement ; elle restera donc en situation de précarité, voire de pauvreté, avec dépendance économique.

Mme Dominique Marchal. La CFDT n’a pas fait une étude particulière du point de vue des femmes. Cette prime va répondre à une double finalité, inciter à la reprise d’activité et augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs pauvres, parmi lesquels figure bien sûr un nombre important de femmes.

Le fait que le projet de loi renvoie à un décret pour le montant de la prime, le montant forfaitaire, le plafond ou les modalités de calcul de la bonification nous pose problème pour donner un avis complet sur cette mesure.

Nous pensons malgré tout que la simplification du dispositif devrait limiter le non-recours, qui excluait beaucoup de personnes du RSA.

Nous trouvons très intéressant que le suivi de l’impact sur les allocataires soit prévu, car cela nous permettra de savoir si les bénéficiaires sont davantage des femmes.

Par contre, le projet de loi est très imprécis sur l’accompagnement des personnes longtemps éloignées de l’emploi, qui ont besoin d’un programme d’insertion.

Enfin, même si la rédaction actuelle du projet de loi ne le prévoit pas, le Gouvernement a annoncé son intention d’étendre la prime d’activité aux apprentis et aux étudiants. Or, nous pensons que l’amélioration de l’insertion et du pouvoir d’achat des apprentis et des étudiants ne devrait pas se faire via ce dispositif. Car l’objectif de la mesure, à savoir aider les travailleurs pauvres et précaires, serait alors dénaturé et les moyens – que l’on aurait intérêt à cibler – seraient en partie détournés, ce qui affaiblirait l’impact de la mesure.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Parmi les freins à l’investissement des femmes dans le combat syndical, la multiplicité des temps de négociation et des documents qu’il faut savoir maîtriser n’est-elle pas déterminante ? Autrement dit, la plus grande lisibilité des temps de négociation et les regroupements en une base de données unique ne constituent-ils pas des leviers importants pour remédier à la situation ? Je laisse cette interrogation en suspens, car le temps nous manque pour poursuivre cette audition. N’hésitez pas à nous transmettre vos recommandations par écrit, nous y serons très attentives.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, mesdames, monsieur, de votre contribution.

Audition de M. Philippe Chognard, conseiller aux affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de M. Pierre Burban, secrétaire général, et de Mme Caroline Duc, conseillère technique, de l’Union professionnelle artisanale (UPA), sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi

Compte rendu de l’audition du mercredi 13 mai 2015

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous accueillons aujourd’hui des représentants du patronat pour connaître leur appréciation, sous l’angle de l’égalité femmes-hommes, du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. L’article 1er du projet de loi crée des commissions paritaires interprofessionnelles régionales, qui seront composées de salariés et d’employeurs d’entreprises de moins de onze salariés désignés par les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs. Un accord de l’UPA de 2001 avait déjà mis en place des commissions territoriales. Pour ces nouvelles commissions, nous envisageons de prévoir une composition paritaire, au sens de mixité. Nous souhaiterions avoir votre avis sur la capacité de vos organisations à désigner des candidats femmes et hommes.

Nous souhaitons également vous interroger sur le regroupement en trois temps des consultations obligatoires du comité d’entreprise, prévu à l’article 13, et sur le regroupement en trois temps des négociations collectives obligatoires, prévu à l’article 14. Quelle simplification attendez-vous de ces regroupements ? D’aucuns se sont émus de la dilution, voire de la disparition d’outils efficaces de mesure de l’égalité professionnelle, je pense au rapport sur la situation économique et au rapport de situation comparée (RSC). Il est, en effet, envisagé qu’une base de données unique reprenne l’ensemble des informations prévues dans le RSE ou le RSC qui, en comportant des données chiffrées et une analyse de ces données, permettent de prévoir des mesures correctrices. Les acteurs de la négociation maîtrisent-ils bien ces outils ? Pensez-vous que ces dispositions du projet de loi vous feraient perdre une sorte de guide méthodologique permettant d’avancer sur tous les sujets de l’égalité professionnelle ? Voyez-vous un avantage à rétablir ces outils ?

Qu’en est-il de la parité dans vos organisations respectives ?

L’article 5 du projet de loi prévoit des mesures assurant la représentation miroir dans les entreprises. À titre d’exemple, si le corps électoral est composé de 70 % d’hommes, les institutions représentatives du personnel (IRP) devront comporter au maximum 70 % d’hommes. Que pensez-vous de cette disposition ?

Enfin, comment envisagez-vous de favoriser l’engagement des femmes dans le dialogue social et dans vos propres organisations ?

Vous pouvez évidemment aborder des sujets que nous n’avons pas évoqués.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avions invité le MEDEF, mais il s’est désisté.

M. Philippe Chognard, conseiller aux affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). La CGPME n’est pas favorable à la mise en place de ces commissions paritaires interprofessionnelles régionales. Nous vous enverrons notre commentaire global sur le projet de loi, qui présente dans le détail les arguments que nous opposons à la mise en place de ces commissions, le principal étant que, dans les TPE de moins de onze salariés, le dialogue se fait directement entre le chef d’entreprise et ses salariés, si bien qu’un intermédiaire extérieur nous semble inutile.

En ce qui concerne la parité dans ces commissions, si j’ai bien compris, vous n’envisagez pas une parité au sens strict du terme, mais une mixité. En tant que membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, j’ai évoqué un certain nombre de difficultés soulevées par la loi du 4 août 2014. La première est que le nombre de sièges à pourvoir dans les conseils n’est pas forcément pair – le conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance maladie, qui à terme devra être paritaire, en comporte trente-cinq. Deuxième difficulté : le suppléant appelé à remplacer le titulaire qui siège au sein du conseil d'administration ou du conseil d'une caisse nationale doit être du même sexe que celui-ci. Troisième difficulté : il peut être difficile de trouver un représentant ou une représentante pour occuper les sièges de mandataires dans les différentes instances nationales.

Bref, je trouve un peu dommage d’être obligé d’inscrire la parité stricte dans le marbre de la loi. L’effet pervers est que nous, hommes, nous sentons ultra-minoritaires au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle ! (Sourires.)

Mme la présidente Catherine Coutelle. La loi protège autant les hommes que les femmes.

M. Philippe Chognard. En tout état de cause, si vous envisagez la mixité ou la parité dans ces commissions, nous nous y plierons.

Pour ce qui est de la parité dans nos organisations, sur dix vice-présidents à la CGPME, quatre sont des femmes, dont Geneviève Roy, en charge des affaires sociales, qui tient particulièrement bien son mandat. À l’UNEDIC, par exemple, les femmes représentantes de la CGPME sont plus nombreuses que les hommes. Dans chaque organisme concerné, nous nous efforçons de trouver des représentantes.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA). La question des femmes dans l’artisanat et le commerce de proximité n’est pas nouvelle, la plupart des entreprises de ces secteurs étant dirigées par un couple. Par conséquent, les femmes ont toujours eu une place dans nos organisations. Étant souvent amenés à présenter, au sein de nos organisations, la part de féminisation, nous pourrons vous laisser des éléments sur la place des femmes à l’UPA.

Sur la question de l’égalité hommes-femmes, nous considérons qu’on ne s’attaque pas au vrai problème, car on agit en aval et jamais en amont. En clair, le problème est essentiellement un problème de stéréotype, car aujourd’hui l’orientation des jeunes se fait en fonction des stéréotypes sur les métiers. Le secteur de l’esthétique, par exemple, emploie 99,9 % de femmes, y compris les chefs d’entreprise. Dans les CFA de la coiffure, secteur qui historiquement n’était pas particulièrement féminin, vous trouvez 90 % de jeunes femmes. Je pourrais dire la même chose pour les métiers de la santé et un certain nombre de métiers administratifs, y compris à la sécurité sociale. Sans compter que plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes. Nous considérons cette situation anormale. Par conséquent, il faut repenser ces questions d’égalité hommes-femmes au travers de l’orientation et de la formation initiale.

Il faut aussi attirer les jeunes filles vers les secteurs traditionnellement masculins, car aujourd’hui, nous avons des difficultés à recruter dans les métiers que nous représentons. Heureusement, beaucoup de métiers plutôt masculins, comme ceux du bâtiment, ont fortement évolué et certaines activités sont devenues moins physiques. C’est pourquoi des opérations sont menées pour attirer les jeunes filles vers les métiers du bâtiment. Cela vaut aussi pour les professions de l’alimentation : dans les métiers de bouche, compte tenu des stéréotypes, les femmes sont majoritairement à la vente et les hommes en cuisine, au laboratoire ou au fournil. Là encore, un travail est réalisé pour attirer les jeunes filles dans l’activité productive, les métiers de la viande, de la farine et du sucre. Nous voyons d’ailleurs, dans ces secteurs, de plus en plus de jeunes filles remporter le concours du « meilleur apprenti ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans un CFA de ma circonscription, on m’a dit que les jeunes filles ne veulent pas s’orienter vers la boucherie pour des questions de contact avec la viande et le sang. De toute façon, les métiers de la boucherie attirent peu les jeunes.

La loi de 2014 a voulu s’attaquer à l’égalité hommes-femmes sous tous ses aspects. Dans notre esprit, le combat pour l’égalité hommes-femmes est global : la représentation égale, c’est aussi la mixité des métiers.

M. Pierre Burban. Ce qui est primordial, c’est de faire tomber les stéréotypes. Les jeunes filles n’ont pas plus peur du sang que les jeunes garçons. D’ailleurs, compte tenu des règles d’hygiène et de sécurité, le travail de la viande dans un laboratoire de boucherie n’est pas un problème.

S’agissant des commissions paritaires, nous regrettons de ne pas avoir pu aboutir dans le cadre de cette négociation – ce n’est pas dramatique puisqu’on était dans le cadre de la loi de janvier 2007 dite loi « Larcher ». Cela étant dit, cela nous a permis de faire évoluer les choses dans un cadre paritaire, et le projet de loi tel qu’il vous est présenté s’inspire largement des travaux qui ont été conduits dans ce cadre.

Concernant la représentation du personnel dans les plus petites entreprises, prévue à l’article 1er, nous partageons totalement les propos de Philippe Chognard : dans nos catégories d’entreprise, le dialogue est direct et nous ne souhaitons pas qu’il soit remis en cause. Qui plus est, dans une entreprise de moins de onze salariés, le chef d’entreprise participe à l’acte de production – il fait le même travail que ses salariés, en plus de la gestion –, les gens sont en général à tu et à toi, et les salariés ne demandent pas en interne à avoir une forme de représentation du personnel. D’ailleurs, cette question se pose aussi pour les entreprises qui franchissent le seuil de onze salariés.

La représentation du personnel dans les plus petites entreprises n’est pas un sujet nouveau pour l’UPA, qui y réfléchit depuis 2001 ; or, aujourd’hui, on veut nous l’imposer de l’extérieur, notamment le Parlement et le Gouvernement. Le code du travail prévoit déjà l’existence des délégués de site, qui peuvent être élus dans les entreprises de moins de onze salariés sur un site comptant plus de cinquante personnes – et déjà, nous considérons, pour notre part, que ce dispositif n’est pas adapté. Dans ces catégories d’entreprise, il est inimaginable de faire des accords d’entreprise ; nous y reviendrons à propos des articles 13 et 14. Par contre, une forme de représentation du personnel ne nous semble pas illégitime. C’est ce qui nous a conduits, dans le cadre de l’accord du 12 décembre 2001, à imaginer les commissions paritaires régionales. Le projet de loi vise à les généraliser, c’est-à-dire, comme nous le souhaitions, à maintenir les dispositifs existants, ce qui nous semble légitime car ils ont été construits dans un cadre paritaire. Il existe donc aujourd’hui des commissions paritaires dans l’artisanat (les CPRIA, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat), mais aussi dans l’agriculture – c’est d’ailleurs la FNSEA qui a signé, en 1992, le premier accord créant les commissions paritaires –, et de telles commissions seront bientôt mises en place dans les professions libérales qui ont signé un accord en ce sens.

Ainsi, tel que le projet est rédigé, l’existant est maintenu, et une commission « voiture-balai » couvrira les secteurs non couverts. Nous souhaitions tout de même une forme de proximité entre les commissions et les secteurs représentés. En effet, ces commissions traitent de tous les sujets concernant la vie dans l’entreprise et la relation entre l’employeur et ses salariés, de la formation initiale à la formation continue en passant par les conditions de travail et les activités sociales et culturelles.

Le projet de loi vise à créer de nouvelles obligations, car il faudra impérativement que les cinq représentants des salariés et les cinq représentants des employeurs soient issus d’entreprises de moins de onze salariés. Certes, l’idée que les salariés soient issus de ces catégories d’entreprise est logique, mais nous avons très souvent constaté que, dans ce type de commissions, certains représentants de salariés sont issus d’un tout autre milieu que l’artisanat, si bien qu’ils n’en connaissent pas la réalité. Ensuite, rendre la parité obligatoire risque d’aboutir à des constats de carence, c’est-à-dire à l'inverse de l’effet recherché, car des organisations ne seront pas en mesure de désigner des femmes. Au vu de la situation actuelle, il faut rester pragmatique.

Depuis 2010, ces commissions existent, elles fonctionnent, elles ont permis un vrai dialogue gagnant-gagnant. Certes, je comprends votre position : sans obligation, les choses n’avancent pas – la dernière élection des présidents de conseils départementaux est, à cet égard, calamiteuse… Mais imposer l’obligation de mixité dans la loi ne me semble pas une bonne idée. Il serait préférable de fixer un objectif de mixité, puis de réaliser un bilan au bout de trois ou quatre ans, avant de faire évoluer les choses. En définitive, je pense qu’il vaut mieux créer des incitations.

Mme la rapporteure. À quoi pensez-vous quand vous parlez d’« incitations » ?

M. Pierre Burban. La loi pourrait fixer un objectif de mixité – car la rendre obligatoire tout de suite est irréalisable –, ainsi qu’un bilan réalisé au bout de quelques années. Cela vaut pour les entreprises de moins de onze salariés, mais aussi pour celles de plus de cinquante salariés. Le droit du travail, s’il est très précis, est dans certains cas virtuel : l’objectif est de passer d’un droit virtuel à un droit praticable.

M. Philippe Chognard. S’agissant des commissions, nous avons des réticences quant à la composition de notre délégation employeurs. Calquer la représentation comme cela se pratique pour d’autres instances, où le MEDEF est ultra-majoritaire, serait problématique, car les entreprises de moins de onze salariés sont essentiellement des TPE-PME adhérentes à la CGPME ou des entreprises artisanales adhérentes à l’UPA. Il faudrait donc adapter la composition du collège patronal.

Ensuite, les modalités de mise en œuvre, notamment la manière de calculer la représentativité, nous semblent difficilement compréhensibles : elles vont amener des difficultés d’interprétation et de mise en place.

Pour ce qui est de la parité, il ne faut pas passer de « zéro à quatre-vingts kilomètres heure », car cela pourrait engendrer des crispations dans nos organisations, voire leur poser des problèmes. Il faut dire les choses : elles ne sont pas habituées à fonctionner comme cela…

Mme la rapporteure. L’article 5 prévoit une représentation miroir du corps électoral, nous envisageons d’aller au-delà. Comment voyez-vous les choses ?

M. Philippe Chognard. Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle a formulé un avis sur le projet de loi. La représentation équilibrée des femmes et des hommes, prévue à l’article 5, est l’affaire des organisations syndicales puisque ce sont elles qui élaborent les listes de candidats. Nous sommes plutôt favorables au miroir, mais une représentation effective suppose des listes de candidats qui soient représentatives de la population d’hommes et de femmes au sein de l’entreprise. Si une entreprise est composée majoritairement d’hommes, il nous sera difficile de trouver autant de candidates que de candidats ; l’inverse est évidemment possible. Il faut un dispositif pragmatique, pour éviter que les organisations syndicales ne se retrouvent face à une formalité impossible. Car si la composition paritaire de la liste des candidats n’est pas respectée, la sanction sera immédiate, comme le prévoit le projet de loi avec l’annulation de l’élection du candidat du sexe surreprésenté.

Deuxième observation : la composition de la liste électorale relève de la responsabilité de l’employeur. En effet, il doit indiquer aux organisations syndicales qu’elles doivent tenir compte de la répartition hommes-femmes au sein de l’entreprise, puisque l’article prévoit que « l’employeur porte à la connaissance des salariés la proportion de femmes et d’hommes composant chaque collège électoral ». Les formalités électorales s’en trouveront un peu alourdies.

Troisième observation : ce n’est pas l’employeur qui sera pénalisé en cas de non-respect de la parité des listes. Sur ce point, la rédaction de l’article 5 est très claire et nous convient. L’obligation de parité pèse sur les organisations syndicales.

Dans la mesure où nous nous efforçons progressivement d’atteindre la parité au sein de notre organisation, nous ne verrions pas d’un mauvais œil que la parité soit atteinte au sein des institutions représentatives du personnel. Mais il faut, d’une part, le faire à pas comptés, et, d’autre part, tenir compte de la composition sexuée de l’entreprise, car certains de nos secteurs comportent une majorité d’hommes et inversement.

M. Pierre Burban. Eh oui ! Comment faire quand il n’y a que des hommes ou que des femmes dans l’entreprise ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. D’où l’importance de la lutte contre les stéréotypes sexués dans les métiers.

M. Philippe Chognard. Il faut susciter des vocations à l’école et orienter les jeunes filles et les jeunes femmes vers des métiers « a priori » masculins. Réjouissons-nous que les femmes soient désormais plus nombreuses dans l’armée, y compris comme pilotes de chasse ou médecins !

M. Pierre Burban. Nous partageons tout à fait le propos de Philippe Chognard : il est plus cohérent de parler de miroir, car, dans certaines entreprises, un seul sexe est représenté, ce qui est beaucoup plus fréquent qu’on ne le pense.

Mme la rapporteure. Nous en venons aux articles 13 et 14, sur le regroupement en trois temps des consultations et négociations obligatoires.

M. Pierre Burban. Nous sommes totalement favorables aux articles 13 et 14, qui visent à simplifier les procédures. En effet, en matière de représentation du personnel, les obligations à partir de cinquante salariés sont nombreuses, ce qui pose des problèmes pratiques. Car, s’il faut élire deux délégués du personnel à partir de vingt-six salariés, il faut en élire huit lorsqu’on franchit le seuil de quarante-neuf à cinquante salariés ; de plus, il faut mettre en place un comité d’entreprise, un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et, éventuellement, un délégué syndical. Ainsi, passer de quarante-neuf à cinquante salariés, c’est le grand soir ! C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’entreprises, même de plus de cent salariés, notamment dans le secteur de la boulangerie, préfèrent créer plusieurs entités pour échapper aux contraintes des seuils.

Encore une fois, nous ne sommes pas contre l’idée d’une représentation des salariés, mais nous pensons raisonnable de l’appliquer de manière progressive. En matière de représentation du personnel, on n’a pas su faire progressif, à tel point que l’effort des grands groupes du CAC 40 est proportionnellement moins important que celui des entreprises de cinquante à trois cents salariés ! Sans compter que cela peut créer une insécurité juridique pour nos entreprises et en donner une image négative.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je connais de très belles entreprises qui ont éprouvé les plus vives difficultés pour ne pas s’être organisées – elles en étaient restées au chef d’entreprise et aux ouvriers. Je pense, en outre, que les groupements d’employeurs gagneraient à se développer pour que les entreprises puissent embaucher un DRH commun.

Pour en revenir à notre sujet, que devient l’égalité professionnelle dans le cadre des articles 13 et 14 ?

M. Pierre Burban. Ces regroupements, auxquels nous sommes favorables, ne signifient pas que les différents sujets ne seront pas traités. Il ne semble pas non plus que le Gouvernement ait l’intention de supprimer un certain nombre d’informations. Si j’ai bien compris, un amendement prévoira que le rapport de situation comparée est inclus dans la base de données unique. Par ailleurs, des dispositions sont actuellement prévues pour les entreprises de 50 à 300 salariés et les entreprises de plus de 300 salariés, notamment sur le RSC, il faut veiller, non seulement, à les conserver, mais aussi à accompagner les entreprises, notamment celles entre cinquante et trois cents salariés.

Mme la rapporteure. La base de données unique devrait regrouper toutes les données du RSC – formations, promotions, augmentations de salaire, etc. Mais la question se pose de savoir si cette base de données unique permettra une présentation sexuée. En matière fiscale, il existe des logiciels agréés pour aider les entreprises à mettre en place les nouvelles présentations de comptabilité. Ce type d’outil constituerait-il un bon moyen d’aider les PME à mettre en place des plans d’action traitant tous les sujets relatifs à l’égalité professionnelle, de la rémunération à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ? Ne faudrait-il pas inciter des prestataires à vous fournir des outils simples à utiliser ?

M. Philippe Chognard. Il existe plusieurs modalités de gestion. De nombreuses entreprises travaillent sur Excel. J’ai vingt-six rapports à faire par an, mais ont-ils tous une utilité ? Au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, le directeur de la diversité d’Orange nous a indiqué que, sur toutes les données demandées en matière d’égalité, son entreprise en utilise deux… En matière législative ou réglementaire, on a trop tendance à procéder par strates successives.

Ce sont des femmes, notamment Mme Yvette Roudy, qui se sont émues de la disparition du RSE et du RSC, et non les organisations patronales au sein du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. Par un communiqué de presse commun, les trois ministres concernés ont indiqué qu’un amendement viserait à introduire dans la base de données tous les éléments du RSE et du RSC.

Lorsqu’un chef d’entreprise doit faire plusieurs rapports, soit il les réalise lui-même, soit il confie ce travail à sa secrétaire, soit il s’adresse à son responsable chargé des ressources humaines, mais encore faut-il qu’il ait eu la volonté d’en recruter un… Mon cousin, à la tête d’une entreprise de cinquante salariés qui fabrique des lunettes, refuse de recruter un responsable des ressources humaines (RRH) ; il n’en a pas besoin, se considérant lui-même RRH ; il veut produire, point !

Cela étant dit, la majorité des patrons de PME sous-traitent le volet administratif auprès d’un commissaire aux comptes ou d’un expert-comptable. Les experts-comptables sont capables de remplir des tableaux. Il existe des éditeurs de logiciels qui peuvent fournir des prestations. Tout cela a un coût.

Prévoir une aide au chef d’entreprise, éventuellement financière, pour qu’il ait recours à un outil informatique lui permettant d’avoir une base de données fiable et sexuée, pourquoi pas ? Il suffira que l’éditeur de logiciels facture sa prestation. Actuellement, nous réfléchissons à la simplification du bulletin de paie : les éditeurs de logiciels savent faire tout cela et indiquer combien cela peut coûter.

En tout état de cause, il faut veiller à ce que les dispositions législatives et réglementaires ne soient pas inacceptables pour un artisan ou un gestionnaire de TPE ou de PME.

Mme la rapporteure. La base de données unique est un souhait partagé par les partenaires sociaux : elle est prévue comme étant praticable. L’idée d’y retrouver toutes les informations figurant dans le RSC ou le RSE ne me semble pas hors de portée, mais je ne suis pas sûre que cela ait été prévu ainsi. Ce travail avec les éditeurs de logiciels de gestion d’entreprise a-t-il commencé ou est-ce un vœu pieux ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. La loi de 2014, qui pour nous est la loi fondamentale en matière d’égalité professionnelle, a déjà prévu une simplification. Le ministère a mis à disposition des entreprises des méthodologies, avec des tableaux, pour remplir le RSC. Cela vous rend-il service ? Notre crainte est que les données sexuées se retrouvent totalement noyées dans la base de données unique. Comment faire ? Le RSC ne sert pas qu’à fournir des données sexuées, il sert aussi à construire un plan d’action égalité avec des objectifs !

M. Philippe Chognard. Je pense qu’il est tout à fait possible que cette base de données présente des items regroupant les différents sujets qu’il est nécessaire de mettre en exergue, notamment pour construire un plan égalité. En plus d’être aménageable, cette base de données doit être adaptable à la taille de l’entreprise – je pense à la frange intermédiaire d’entreprises, toutes celles qui tournent autour de cent salariés. Le site public « égalité professionnelle » est un outil ; il faudrait en fournir un autre permettant aux entreprises de savoir comment construire un plan d’action à partir de ce qu’elles ont inscrit dans leur base de données unique.

En tout état de cause, nous serons très attentifs à ce que l’amendement, qui prévoira que la base de données inclura le RSC, ne rajoute pas subrepticement quelques données… Car vous le savez, nous discutons actuellement au sein du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle sur des indicateurs, en application de la loi du 4 août 2014, mais sans être tous d’accord sur ceux qui devront figurer dans la base de données… Il ne faudrait pas non plus, alors que la logique est de s’orienter vers un outil informatique unique exploitable, qu’un représentant national propose un amendement visant à réintroduire le RSE et le RSC. Par contre, vous pourriez éventuellement prévoir que cette base de données soit construite de telle manière que l’on puisse en extraire facilement les données nécessaires à l’élaboration d’un plan égalité.

Vous craignez un risque de dilution de la négociation sur l’égalité professionnelle. Certes, le projet de loi prévoit que l’article L. 2248-8 du code du travail soit modifié, mais je note que le « 1° » et le « 2° » de ce nouvel article reprennent in extenso tous les items figurant dans l’article L.  2242-5 de ce même code. J’apprécie d’ailleurs que le « 1° » sorte du strict cadre de l’égalité hommes-femmes, puisqu’il porte sur « l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour les salariés », un domaine qui concerne, certes, les femmes, mais aussi les hommes – ceux de ma génération sont tout de même nombreux à s’occuper de leurs enfants le soir, sans compter qu’il existe des ménages où c’est l’épouse qui a le salaire le plus important… Ainsi, parler de dilution de la négociation professionnelle me semble trop fort, car les dispositions du projet de loi ne vont pas nous empêcher de continuer à négocier sur l’égalité femmes-hommes au sein des entreprises.

Mme la rapporteure. Que pensez-vous de la possibilité de rebaptiser cet article « qualité de vie au travail et égalité professionnelle » ?

M. Philippe Chognard. Pour moi, c’est une question de présentation, voire d’habillage. Cet article concerne aussi, en son 4°, les personnes handicapées – une de mes collègues de la délégation du MEDEF apprécie d’ailleurs peu que l’égalité femmes-hommes soit traitée en même temps que les négociations qui concernent les travailleurs handicapés... Cela étant dit, l’essentiel de l’article L. 2248-8 nouveau porte tout de même sur l’égalité professionnelle. Si vous en changez l’intitulé, je pense que cela passera mieux politiquement.

M. Pierre Burban. Cette base de données unique a été imaginée pour regrouper une série d’informations prévues par le code du travail. Cela fait des années que nous discutons sur le sujet : restons sur une base de données unique. Je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’elle comprenne un volet spécifique reprenant toutes les données du RSC.

Pour nous, la qualité de vie au travail inclut l’aspect « égalité professionnelle ». Les questions de conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle sont liées à l’égalité hommes-femmes. De toute façon, lors des négociations, des sujets seront plus prégnants que d’autres.

Dernière chose : nous pensons, y compris pour les entreprises entre cinquante et trois cents salariés, que l’accompagnement qui peut être fait par les branches professionnelles est important. Le travail paritaire au niveau interprofessionnel vise justement à aider les branches à élaborer des guides. Bien sûr, je ne dis pas que tout est parfait…

Mme la présidente Catherine Coutelle. Des accords de branche qui dérogent à la règle des 24 heures pour le temps partiel, il en existe pour tous les métiers majoritairement féminins, y compris pour 2 heures !

J’entends ce que vous dites, mais sans obligation, les choses n’avancent pas. Si le taux des entreprises ayant élaboré un plan d’action est passé de 13 % à 33 %, c’est parce qu’un décret prévoit des pénalités ! Les trois temps concernent l’égalité professionnelle : les discussions sur les salaires doivent aborder l’égalité professionnelle, celles sur la qualité de vie au travail, aussi, et celles sur la gestion des emplois aussi !

M. Pierre Burban. Pour les entreprises entre cinquante et trois cents salariés, il semble cohérent de regrouper les négociations. Et ce n’est pas parce qu’il y aura un regroupement des négociations que le sujet : « égalité professionnelle » ne sera pas traité.

M. Philippe Chognard. Ce n’est pas nous qui avons tenu la plume pour la rédaction de ce projet de loi, dont la première mouture comportait des concepts juridiques tout à fait étonnants !

Une autre crainte, évoquée par les organisations syndicales au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, porte sur la pénalité. Mais celle-ci va être prévue, comme le précise le communiqué de presse. J’ai d’ailleurs demandé à la DGT de nous communiquer la liste des entreprises pénalisées, ce qu’elle a refusé : j’avais le secret espoir que cette liste comporte très peu de PME et de TPE…

Mme la rapporteure. Vous avez évoqué l’accompagnement par les branches. Avez-vous le sentiment qu’elles sont réellement incitées à accompagner leurs membres et qu’elles disposent des bons outils pour sensibiliser les employeurs et les formateurs s’agissant des métiers où la mixité est très faible ?

M. Philippe Chognard. L’effort doit être fait en amont. Il faut d’abord lutter contre les stéréotypes, dès l’école. Il faut aussi promouvoir l’apprentissage et faire en sorte qu’il soit ouvert à toutes les candidates possibles, et c’est là que les branches ont un rôle à jouer – mais on ne va pas tenir la main des grosses branches sur la manière dont elles devront rédiger leurs accords… elles connaissent le problème, d’autant que les experts du MEDEF en sont issus. Ce qui intéresse le chef d’entreprise, c’est d’avoir un candidat ou une candidate qui corresponde au poste.

Mme Virginie Duby-Muller. Beaucoup de filles sont bachelières scientifiques, mais on les perd au niveau master et dans les entreprises.

M. Philippe Chognard. Il faut inciter les filles à aller en classe préparatoire scientifique ! D’où l’importance de la lutte en amont contre les stéréotypes ! Néanmoins, les choses progressent car les postes de « top management », s’ils sont encore souvent occupés par des ingénieurs, le sont de plus en plus par des diplômés d’écoles de commerce, ce qui permet de repousser le plafond de verre.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, messieurs, de votre contribution.

II. EXAMEN DU RAPPORT PAR LA DÉLÉGATION

La délégation a procédé à l’examen du présent rapport et des recommandations présentés par la rapporteure, Mme Sandrine Mazetier, au cours de sa réunion du mardi 19 mai 2015, sous la présidence de Mme Conchita Lacuey, vice-présidente de la délégation.

Mme la vice-présidente Conchita Lacuey, présidente. Mes chères collègues, nous nous réunissons aujourd’hui pour examiner le rapport de Mme Sandrine Mazetier sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi. Notre délégation a souhaité se saisir de ce texte pour se concentrer sur certaines de ses dispositions, notamment celles sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des institutions représentatives du personnel (IRP) ou encore le compte personnel d’activité.

L’élaboration de votre rapport, madame la rapporteure, repose sur une méthodologie très complète. En plus de vous appuyer sur l’avis rendu par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) sur ce projet de loi, et sur les comptes rendus des différentes auditions organisées par notre délégation, vous avez mené plusieurs auditions sur ce projet de loi, avec plusieurs expertes notamment, et vous vous êtes rendue dans une structure d’aide à domicile à Paris, et tout cela dans un délai très restreint.

Le dialogue social est au cœur de notre pacte républicain. C’est pourquoi le Gouvernement a privilégié cette voie pour engager des réformes majeures. Je vous laisse tout de suite la parole afin que vous puissiez nous présenter votre rapport et nous exposer les recommandations que vous y formulez.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Mes chères collègues, depuis 2012, le gouvernement a fait de l’emploi son objectif, et du dialogue social, sa méthode.

Présenté en Conseil des ministres le 22 avril 2015, le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi comporte plusieurs avancées majeures, porteuses de progrès social, en particulier pour faire en sorte que les 4,6 millions de salariés des très petites entreprises (TPE) et du particulier employeur aient, eux aussi, droit à une représentation, mais aussi pour valoriser et favoriser l’engagement des salariées et des salariés dans l’entreprise.

Il s’agit également de simplifier les règles du dialogue social pour le rendre plus efficace et stratégique, au travers notamment du regroupement des consultations annuelles et des négociations obligatoires, et de prévoir une clarification des rôles et un fonctionnement plus fluide des institutions représentatives du personnel (IRP) dans les entreprises.

Le projet de loi vise également à améliorer les dispositifs de soutien financier aux travailleuses et aux travailleurs modestes, avec la création d'une prime d’activité, qui sera aussi ouverte aux jeunes actifs.

Il prévoit, en outre, de sécuriser les parcours professionnels, au travers notamment de la création du compte personnel d'activité, qui sera l’une des grandes réformes sociales de cette législature. De nombreux droits individuels, mobilisables à l’initiative du salarié, ont été mis en place grâce à des gouvernements de gauche, tels que le compte épargne temps, le compte personnel de formation et le compte pénibilité, et il s’agit à présent de les réunir pour donner plus de lisibilité à ces dispositifs, et de les décloisonner pour permettre à chacune et à chacun d'être acteur de son parcours professionnel.

La délégation aux droits des femmes a souhaité se saisir de cette réforme importante du dialogue social et de l’emploi, car 48 % des personnes en emploi dans ce pays sont des femmes et 70 % des travailleurs modestes sont des travailleuses. Il était donc légitime, dans le droit fil de nos travaux précédents, de nous pencher sur ce projet de loi.

Nous nous sommes concentrées sur les dispositions relatives à l’objectif de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des IRP (article 5), à la création de commissions paritaires régionales interprofessionnelles dans les TPE (article 1er), ainsi qu’à la protection contre les discriminations salariales et la valorisation des parcours des représentantes et représentants du personnel (articles 2 à 4).

La délégation a également examiné attentivement les articles 13 et 14, qui portent sur le regroupement des consultations annuelles et des négociations obligatoires, et s’est efforcée d’en mesurer l'impact sur la négociation collective sur l'égalité professionnelle et les informations relatives à la situation comparée des femmes et des hommes sur lesquelles elle s’appuie.

Nous nous sommes également penchées sur la création d'une prime d'activité (articles 24 à 27), sachant que les femmes représentent la majorité des travailleurs pauvres dans notre pays. Enfin, d'autres mesures ont été examinées sous l'angle de l'égalité entre les femmes et les hommes, concernant les intermittentes et intermittents du spectacle (article 20), l’Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et le compte personnel d'activité (articles 21 et 22).

Plusieurs auditions ont été organisées sur ce texte, et nos travaux ont également pu s’appuyer sur l’avis rendu par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle.

Dans un calendrier extraordinairement contraint, ce rapport d’information, et les recommandations qui en sont issues n’auraient pu exister sans les nombreux travaux précédents de la Délégation aux droits des femmes sur la précarité, la fiscalité et l’emploi.

La première partie de ce rapport est consacrée aux IRP. L'article 1er du projet de loi institue les commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour les entreprises de moins de onze salariés. Dans le cadre des nouvelles régions, ces dispositions pourraient être complétées concernant la représentation des femmes.

L'article 5 institue une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes. Ce n'est pas la parité, mais l'application de la théorie du miroir : les listes des candidats pour les élections aux postes de délégués du personnel et de membres du comité d'entreprise doivent refléter le poids respectif de chacun des collèges électoraux. Si le corps électoral est composé de 70 % d’hommes et de 30 % de femmes, par exemple, les listes devront comporter 70 % de candidats et 30 % de candidates.

En cas de listes irrégulières, le juge judiciaire peut réformer les élections en rayant un ou plusieurs noms sur les listes, ceux du sexe surreprésenté. Même chose en cas de listes incomplètes : le juge peut réformer les élections. Il peut aussi déclarer les listes irrégulières s'il est saisi avant les élections, en référé. Il existe une incertitude sur le point de savoir si, dans ce contexte, les noms radiés par le juge sont pris en tête de liste, auquel cas on pénalise des élus susceptibles de devenir des titulaires, ou en fin de liste, auquel cas on pénalise des élus susceptibles de devenir des suppléants. Logiquement, il vaudrait mieux que ce soit en tête de liste.

Tel qu’il est rédigé, l’article 5 constitue une avancée pour les femmes. Bien sûr, il est possible d'aller plus loin, d'une part, dans le cadre du texte, en instituant une représentation alternée femmes-hommes, afin que les femmes soient en position éligible, et, d’autre part, en modifiant la logique du texte et en prévoyant, à terme, la parité intégrale.

Les articles 2, 3 et 4 prévoient une validation des acquis professionnels des salariés en tant que délégués aux IRP. En particulier, l'article 3 prévoit un système de certification professionnelle à l'échelle nationale. Ici, l'obstacle majeur pour les femmes est la clause prévue par le texte des 30 % du temps de travail exercé pour le, ou plutôt les mandats, clause qui sert de fait générateur pour la reconnaissance des parcours professionnels. Cette clause favorise plutôt les hommes qui détiennent généralement plusieurs mandats. Nous pourrions préconiser d’abaisser ce taux uniformément à 10 %, ce qui correspond à un seul mandat exercé au sein des IRP et davantage à la situation des femmes.

La première recommandation vise à compléter l'article 5 du projet de loi relatif à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des IRP, en indiquant qu’il est nécessaire de prévoir des listes de candidats alternées. Il s’agit d’avoir la certitude que la composition des listes assure la présence de femmes en position éligible.

La deuxième recommandation vise à organiser, à partir du 1er janvier 2017, un système progressif permettant d'aboutir, à terme, à la parité entre les hommes et les femmes dans la composition des institutions représentatives du personnel. C'est ainsi que l'on pourrait prévoir une représentation proportionnelle des femmes et des hommes lors des premières élections ; puis, la réalisation de listes électorales comportant 40 % de femmes lors des élections suivantes ; et enfin, la parité intégrale lors des élections ultérieures.

Dit autrement, on pourrait prévoir l’application de l’article 5 corrigé par la première recommandation, puis la réalisation de listes électorales comportant 40 % de femmes, ou 40 % d’hommes dans les secteurs hyper féminisés, lors des élections suivantes, et enfin la parité intégrale lors des élections ultérieures.

La troisième recommandation vise, aux articles 2 et 4 du projet de loi, à abaisser la condition minimale de durée du mandat de représentant du personnel – condition nécessaire pour la reconnaissance du parcours professionnel – à 10 % du temps de travail. Il s’agirait donc de ramener cette condition nécessaire pour la reconnaissance du parcours professionnel de 30 % à 10 %.

La quatrième recommandation vise à prévoir, dans les articles L. 2141-5 et L. 2242-20 du code du travail, que les entreprises doivent favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions syndicales et électives en veillant à une bonne prise en compte de la nécessaire articulation entre vie personnelle et vie professionnelle.

Je sais que cette recommandation peut sembler un vœu pieux, mais l’article 5 est modérément bien accueilli, les organisations représentatives des salariés nous ayant expliqué que des mesures devraient être prises pour l’accompagnement des mandats, mais que le texte ne prévoit aucune contrainte pour les employeurs. Cette recommandation est donc une manière de rappeler que les employeurs, en se souciant de l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle et de l’engagement syndical ou dans les IRP de leurs salariés, peuvent contribuer à l’application de la disposition que nous préconisons, à savoir la parité dans l’ensemble des institutions représentatives du personnel.

La cinquième recommandation est rédigée de la façon suivante : les listes des candidats élaborées en vue de la désignation des membres des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) doivent tendre progressivement à la parité. Dans ce but, à partir du 1er janvier 2017, il est procédé de la manière suivante : pour la première élection des délégués aux CHSCT, les listes des candidats doivent refléter le pourcentage d'hommes et de femmes existant au sein du corps électoral concernant les élections des délégués du personnel et celle des membres des comités d'entreprise ; pour la seconde élection des délégués aux CHSCT, les listes des candidats doivent représenter 40 % de femmes ; pour la troisième élection, ces listes sont établies en respectant la parité entre les femmes et les hommes.

La sixième recommandation a pour objet de préciser les attributions des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, dont l’article 1er du projet de loi prévoit la création, pour représenter les entreprises de moins de onze salariés, afin d’inclure dans leur champ de compétence les questions relatives à l'égalité professionnelle et au temps partiel. La septième recommandation prévoit par ailleurs que les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs pourvoient les sièges qui leur sont attribués, au sein de ces commissions, en respectant la parité entre les femmes et les hommes. Lorsque le nombre de sièges à pourvoir est impair, l'écart entre le nombre de femmes et le nombre d'hommes ne peut être supérieur à un. En clair, nous proposons qu’elles soient créées d’emblée selon une composition paritaire, dans le collège employeur comme dans le collège salarié.

La huitième recommandation vise à inciter les organisations syndicales et les organisations professionnelles d'employeurs à réfléchir à leurs pratiques afin de faire progresser la mixité et viser la parité dans leurs instances de décision, tant au niveau national qu'au niveau départemental.

Nous envisageons cette recommandation du fait des réactions suscitées par l’article 5, mais aussi des observations, que nous avons entendues lors de nos auditions, sur la difficulté de la tâche en raison de l’absence de « vivier ». L’audition des représentants des organisations patronales, à laquelle étaient représentées la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et l’Union professionnelle artisanale (UPA), mais pas le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), a montré que des progrès restent à faire dans les pratiques mêmes de ces organisations.

Enfin, la neuvième recommandation vise à compléter le projet de loi en vue de prévoir la parité femmes-hommes dans les instances prud'homales. En effet, suite à la réforme des prud’hommes, ce sont les organisations qui désigneront leurs conseillers prud’homaux. Dans ces conditions, nous pensons que la parité dans les conseils de prud’hommes pourrait être possible dès les prochaines désignations.

La deuxième partie du projet de rapport s'intitule : « La négociation collective en entreprise : rationaliser sans négliger l'impératif d'égalité entre les femmes et les hommes ». Elle présente la situation actuelle avec l'ensemble des négociations annuelles obligatoires, qui incluent l'obligation de négociation en matière d'égalité professionnelle, dont le cadre juridique est rappelé, ainsi que les apports de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Afin de répondre aux craintes qui se sont exprimées concernant notamment la disparition du rapport de situation comparé (RSC) et du rapport sur la situation économique (RSE), nous avons préparé un certain nombre d'amendements. Je vais donc vous présenter les recommandations qui visent à s'assurer que l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes sera bien un aspect important de ce projet de loi.

La dixième recommandation propose de modifier le titre de la négociation sur la qualité de vie au travail pour faire référence également à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Pour plus de lisibilité, la onzième recommandation vise à clarifier la rédaction du nouvel article L. 2242-9 du code du travail relatif à la pénalité financière concernant l’application de celle-ci aux entreprises qui n'ont pas conclu d'accord collectif sur l'égalité professionnelle ou, à défaut de plan d'action. Des inquiétudes se sont en effet exprimées sur la base juridique de cette pénalité ; clarifier la rédaction de ce nouvel article permettra donc de la rendre plus lisible. Néanmoins, en raison d’un problème de légistique, cet objectif de lisibilité ne sera pas totalement atteint à la mesure de notre ambition.

La douzième recommandation vise à préciser dans la loi que la base de données unique reprend l'intégralité des informations tant quantitatives que qualitatives figurant antérieurement dans le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes (RSC) et le rapport sur la situation économique de l'entreprise (RSE). Ainsi, la base de données unique ne se réduira pas à des tableaux Excel avec des chiffres, elle inclura aussi la dimension diagnostic et analyse qui est, à nos yeux, au moins aussi importante que les données elles-mêmes.

La treizième recommandation a pour objectif de rétablir explicitement le lien entre les outils de diagnostic sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise et la négociation sur l'égalité professionnelle.

La quatorzième recommandation vise à ne pas permettre le caractère facultatif de la transmission des informations récurrentes au comité d'entreprise sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise. En effet, le projet de loi prévoit que, par accord d’entreprise, les partenaires sociaux peuvent déterminer la liste et le contenu des informations récurrentes transmises au comité d’enteprise. Je propose cette recommandation très claire, afin que l’information sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise n’ait pas un caractère facultatif.

Mme  Conchita Lacuey, présidente. Il faut que ce soit une obligation.

Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Quinzième recommandation : réintroduire la question du suivi de la mise en œuvre des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans la négociation annuelle sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l'entreprise.

La seizième recommandation a pour objet de prévoir l'intégration du thème de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la mixité des métiers dans le champ de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, afin de souligner la transversalité du thème de l'égalité professionnelle.

La recommandation suivante vise à réserver le caractère annuel de la négociation sur les rémunérations tant que les entreprises n'ont pas signé un accord collectif sur l'égalité professionnelle.

En effet, l’article 13 du projet de loi prévoit le regroupement des consultations annuelles obligatoires, et l’article 14 le regroupement des négociations obligatoires, en trois temps forts. Par conséquent, je propose, d’une part, de rétablir le caractère obligatoire des informations relatives à la situation comparée entre les femmes et les hommes pour les retrouver dans la base de données unique, sur la création de laquelle les partenaires sociaux sont tombés d’accord. Les partenaires sociaux et les membres des IRP doivent avoir accès à cette base de données unique, non pas une fois par an, mais en permanence, et cette base de données unique ne doit pas concerner les seules entreprises de trois cents salariés. L’objectif est donc de retrouver toutes les informations du RSC dans cette base de données unique, quantitativement et qualitativement, et de rendre obligatoire le fait que ces informations soient renseignées et actualisées annuellement.

Je propose, d’autre part, que la dimension égalité professionnelle soit présente dans les trois temps de négociation, mais qu’une négociation – celle sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail – soit spécialisée sur le sujet, autrement dit qu’un moment très identifié porte sur l’égalité professionnelle, en se fixant des indicateurs de progression. Une fois cet accord conclu ou que, à défaut d’accord, l’employeur se trouve dans l’obligation d’établir un plan égalité, il serait dommage que ne soit pas prévu, dans un autre temps, le suivi de la mise en œuvre de ce qui aurait été décidé dans le cadre de la négociation égalité professionnelle. C’est pourquoi je propose également que la négociation annuelle sur les rémunérations assure le suivi de la mise en œuvre des objectifs fixés dans le cadre de la négociation égalité professionnelle, ce qui permettra de retrouver chaque année l’objectif de suppression des écarts de rémunération. Enfin, je propose que la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois inclue, elle aussi, une dimension égalité professionnelle et mixité des métiers. Cela amènera les entreprises qui emploient des équarrisseurs, mais pas d’équarrisseuses, à se poser la question de savoir comment elles peuvent employer des femmes dans ce métier ; de la même manière, si un employeur fait travailler des esthéticiennes, il réfléchira à la façon de se mettre en situation d’employer des esthéticiens.

La troisième partie de ce rapport d’information concerne la prime d'activité, qui est un nouveau dispositif ciblé sur les travailleuses et les travailleurs modestes qui ne touchent pas de minima sociaux et ne bénéficient pas de réduction d’impôt au travers, par exemple, de la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu faute de gagner suffisamment. Cette prime d’activité viendra donc compléter un revenu d’activité, mais elle incitera aussi les personnes à augmenter leur activité, sachant certains dispositifs, et notamment le RSA activité, peut décourager la bi-activité dans un couple. Cette prime d’activité est donc une bonne nouvelle, mais je vous propose d’adopter les recommandations suivantes.

La dix-huitième recommandation vise à exclure les pensions alimentaires des ressources prises en compte pour déterminer l'éligibilité à la prime d'activité et le calcul du montant de celle-ci, en raison de leur nature particulière. En effet, non seulement la pension alimentaire n’est pas un revenu d’activité, mais elle n’est pas toujours payée dans son intégralité, ni immédiatement. Il serait donc fâcheux qu’elle soit intégrée à la base de ressources permettant le calcul de la prime d’activité.

Mme  Conchita Lacuey, présidente. D’autant plus que ce sont des revenus modestes.

Mme la rapporteure. À travers la recommandation suivante, je propose de veiller au suivi statistique et à l'évaluation ex post sexuée de la prime d'activité (évaluation quantitative et qualitative de son impact, enquête auprès des bénéficiaires et publics cibles, documents budgétaires, etc.).

Il convient par ailleurs de mettre en œuvre un plan d'information sur la prime d'activité, avec des actions diversifiées en direction des publics cibles – par exemple, sous forme d'affiches et dépliants dans les organismes de protection sociale (CAF, CPAM, antennes de Pôle Emploi, etc.), PMI, missions locales et centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) notamment, de stands d'information dans les supermarchés low cost et les centres de la Poste, ou encore de courriels envoyés de façon ciblée à certains publics potentiellement éligibles, avec un lien vers le simulateur des droits qui sera prochainement mis en place, etc. C’est l’objet de la vingtième recommandation, qui souligne également la nécessité de veiller à la formation des agents des caisses et travailleurs sociaux sur le nouveau dispositif.

Il s’agit de faire en sorte que le taux de recours à la prime d’activité soit largement supérieur à celui du RSA activité. Dans le cadre de l’audition par la délégation de la secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Mme Ségolène Neuville, le 15 avril dernier, j’avais évoqué cette possibilité d’une campagne de communication à destination des publics cibles dans les galeries commerciales, les supermarchés, La Poste, etc. Enfin, comme tout nouveau dispositif, celui-ci ne donnera pleinement des résultats que s’il est bien approprié par les agents et les travailleurs sociaux.

J’en arrive maintenant à la dernière partie du rapport, qui porte sur les intermittent-te-s du spectacle et sur la sécurisation des parcours professionnels.

La vingt-et-unième recommandation vise à réaliser une étude sur la situation des intermittentes, avec des éléments d'analyse quantitative et qualitative, s'agissant en particulier de l'accès aux prestations maladie et maternité, et de prévoir à cette fin une codification spécifique pour les salariés intermittents dans la nomenclature des familles professionnelles (DARES).

La recommandation suivante a pour objet de veiller à l'application par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) des dispositions prévues par le code de la sécurité sociale en matière de droits aux prestations et de rappeler ce principe dans la prochaine circulaire ministérielle sur le régime applicable aux personnes exerçant une profession discontinue pour l'accès aux prestations au titre de la maladie et de la maternité (direction de la sécurité sociale). Comme toutes les salariées, les intermittentes du spectacle ne peuvent travailler à la fin de leur grossesse ou au moment de leur accouchement. Mais en étant privées d’activité, elles n’ont pas un nombre d’heures de travail suffisant pour prétendre à une couverture au titre de l’assurance chômage. Elles sont donc doublement pénalisées. La situation est kafkaïenne car, alors que les caisses primaires d’assurance maladie pourraient résoudre en partie ce problème, conformément à des dispositions existantes, ces mêmes CPAM et l’UNEDIC se renvoient la balle. Et pendant ce temps, ces femmes n’ont aucun revenu ! Notre délégation pourrait donc rappeler que la loi doit s’appliquer et appeler l’attention des partenaires sociaux gestionnaires de l’UNEDIC, en vue de répondre à cette situation scandaleuse, qui est peu connue car elle concerne un petit nombre de personnes.

Je termine sur la sécurisation des parcours et le retour à l'emploi.

Ma vingt-troisième recommandation consiste à veiller à la prise en compte de l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes dans le diagnostic préalable et la construction du compte personnel d'activité.

La recommandation suivante vise à préciser dans le code du travail que l’AFPA contribue à l'égal accès des femmes et des hommes à la formation professionnelle et à la promotion de la mixité des métiers. Je pense, en effet, que l’AFPA, association qui réalise des bilans de compétences et propose des formations, est un acteur qui pourrait être essentiel au regard de la mixité des métiers.

Pour finir, je pense intéressant de réfléchir à des propositions que la délégation pourrait formuler en matière de lutte contre le sexisme dans l’entreprise. En tout cas, ce texte est un véhicule législatif adapté, d’autant que la date limite de dépôts des amendements en séance a été repoussée à vendredi. Ma vingt-cinquième et dernière recommandation vise donc à renforcer la lutte contre le sexisme dans le monde du travail.

Mme Maud Olivier. Merci, madame la rapporteure, de cet important travail réalisé en un temps très contraint.

Concernant la cinquième recommandation, le terme « progressivement » pourrait être supprimé – le verbe « tendre » est suffisamment explicite.

S’agissant des huit recommandations sur la négociation collective, il serait intéressant d’introduire un chapeau pour indiquer clairement que l’égalité femmes-hommes concerne les trois temps de négociation. À la quatorzième recommandation, les termes « ne pas permettre le caractère facultatif » de la transmission des informations pourraient être remplacés par « supprimer le caractère facultatif ».

Peut-être le Gouvernement réintroduira-t-il l’appellation « rapport de situation comparée ». Si c’est le cas, nous nous en réjouirons. En tout cas, je trouve que les recommandations sont très intéressantes.

Le projet de loi prévoit une publicité sur le plan d’action selon des modalités définies par décret. Ne serait-il pas plus intéressant que le projet de loi lui-même prévoit cette publicité ?

La commission égalité professionnelle, actuellement obligatoire à partir de deux cents salariés, le sera à partir de trois cents aux termes de l’article 16 du projet de loi. Ne pensez-vous pas préférable de rétablir le seuil de deux cents salariés ?

Enfin, j’apprécie les avancées sur la représentation miroir, avec une alternance pour les premiers délégués. Mais il faudrait faire œuvre de pédagogie car, si certaines entreprises comportent très peu de femmes, cela ne signifie pas qu’elles ne savent pas défendre les droits des salariés : elles sont tout à fait capables de défendre le droit du travail s’agissant de métiers majoritairement occupés par des hommes. Il convient de le souligner.

Mme la rapporteure. Le rétablissement de l’égalité professionnelle pour les informations obligatoires, mais aussi pour les trois temps de négociation se comprend à la lecture du rapport. Mais je ne suis pas contre l’introduction d’un chapeau à ces recommandations pour indiquer que la dimension égalité professionnelle doit être présente dans les trois temps de négociation identifiés par le projet de loi. Cela contribuerait à la lisibilité de ces recommandations.

La suppression du terme « progressivement » à la cinquième recommandation ne me pose aucun problème.

En revanche, à la quatorzième recommandation, substituer le mot « supprimer » au terme « ne pas permettre » serait excessif. En effet, en aucun cas le projet de loi ne rend l’information facultative : il permet aux partenaires sociaux de s’entendre, par accord d’entreprise, sur la liste des informations récurrentes qui doivent obligatoirement leur être envoyées chaque année, et sur les informations qui n’ont pas lieu d’avoir cette régularité. Préventivement, je préfère écrire que le caractère récurrent des informations sur la situation comparée des femmes et des hommes dans une entreprise ne peut être modifié par accord d’entreprise. Ainsi, le comité d’entreprise en particulier, doit être informé sur la situation comparée des femmes et des hommes dans les neuf domaines prévus par la loi d’août 2014.

Ensuite, si je comprends que certains demandent le rétablissement de la commission égalité professionnelle à deux cents salariés, j’observe que cela ne correspond à aucun autre seuil. Ce projet de loi vise en grande partie à rendre plus lisible et plus efficace le dialogue social sur tous les sujets. Si des amendements sont adoptés sur la base de nos recommandations, les entreprises de moins de trois cents salariés auront beaucoup plus d’informations dans la base de données unique qu’elles en avaient avec le rapport de situation économique. Plutôt qu’une commission égalité, je propose donc un fléchage très clair du temps de la négociation sur l’égalité professionnelle dans les neuf domaines, puis un accord, et enfin de prévoir pour les entreprises de deux cents, trois cents, quatre cents salariés, un suivi annuel par les partenaires dans les instances de négociation de la mise en œuvre effective des mesures.

Mme Maud Olivier. Il y aura une commission égalité professionnelle même en cas de délégation unique du personnel (DUP) ?

Mme la rapporteure. Ce n’est pas interdit.

Mme Maud Olivier. Ce sera un problème si l’entreprise décide unilatéralement de supprimer la commission égalité professionnelle.

Mme la rapporteure. Ce n’est jamais une décision unilatérale.

Par ailleurs, les recommandations visent précisément à modifier le projet de loi, pour que ce qui pourrait relever d’un accord d’entreprise, comme par exemple la transmission des informations au comité d’entreprise, ne puisse plus en relever. De la même manière, je propose que la négociation avec objectif de suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes reste annuelle, c’est-à-dire qu’elle ne change pas de périodicité par accord d’entreprise, comme le permet le texte.

Enfin, s’agissant de la publicité du plan d’action, je n’ai pas formulé de recommandation. Par contre, un amendement devrait prévoir que, faute d’accord au terme de la négociation sur l’égalité professionnelle, l’employeur doit élaborer un plan d’action unilatéral, en reprenant toutes les dispositions correspondantes dans le code du travail. Cet amendement ne prévoit pas une publicité du plan d’action, mais s’il était adopté en commission, il pourrait faire l’objet en séance publique d’un sous-amendement visant à rétablir la publicité du plan d’action, par voie d’affichage notamment, tel que le prévoit actuellement le code du travail.

Mme Conchita Lacuey, présidente. Mes chères collègues, je vous propose d’adopter ces vingt-cinq recommandations.

La délégation adopte le présent rapport et les recommandations ci-après.

LISTE DES RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

Commissions paritaires régionales, institutions représentatives du personnel (IRP), organisations syndicales et professionnelles d’employeurs, conseillers prud’homaux

1. Compléter l’article 5 (représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des IRP) en indiquant qu’il est nécessaire de prévoir des listes de candidats alternées.

2. Organiser, à partir du 1er janvier 2017, un système progressif permettant d’aboutir, à terme, à la parité entre les femmes et les hommes dans la composition des institutions représentatives du personnel. C’est ainsi que l’on pourrait prévoir une représentation proportionnelle des femmes et des hommes lors des premières élections ; puis, la réalisation de listes électorales comportant 40 % de femmes lors des élections suivantes ; et enfin, la parité intégrale lors des élections ultérieures.

3. Dans les articles 2 et 4 du projet de loi, abaisser la condition minimale de durée du mandat de représentant du personnel – condition nécessaire pour la reconnaissance du parcours professionnel – à 10 % du temps de travail.

4. Prévoir, dans les articles L. 2141-5 et L. 2242-20 du code du travail, que les entreprises doivent favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions syndicales et électives en veillant à une bonne prise en compte de la nécessaire articulation entre vie personnelle et vie professionnelle.

5. Faire en sorte que les listes des candidats élaborées en vue de la désignation des membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) tendent à la parité.

Dans ce but, à partir du 1er janvier 2017, il est procédé de la manière suivante :

– pour la première élection des délégués aux CHSCT, les listes des candidats doivent refléter le pourcentage d’hommes et de femmes existant au sein du corps électoral concernant les élections des délégués du personnel et celle des membres des comités d’entreprise ;

– pour la seconde élection des délégués aux CHSCT, les listes des candidats doivent représenter 40 % de femmes ;

– pour la troisième élection, ces listes sont établies en respectant la parité entre les femmes et les hommes.

6. Préciser les attributions des commissions paritaires régionales afin d’inclure dans leur champ de compétence les questions relatives à l’égalité professionnelle et au temps partiel.

7. Faire en sorte que les organisations syndicales de salariés et que les organisations professionnelles d’employeurs pourvoient les sièges qui leur sont attribués au sein de ces commissions paritaires régionales en respectant la parité entre les femmes et les hommes. Lorsque le nombre de sièges à pourvoir est impair, l’écart entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes ne peut être supérieur à un.

8. Inciter les organisations syndicales et les organisations professionnelles d’employeurs à réfléchir à leurs pratiques afin de faire progresser la mixité et viser la parité dans leurs instances de décision, tant au niveau national qu’au niveau départemental.

9. Compléter le projet de loi en vue de prévoir la parité femmes-hommes dans les instances prud’homales.

Négociation collective sur l’égalité professionnelle

10. Modifier le titre de la négociation sur la qualité de vie au travail pour la renommer : « Qualité de vie au travail et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ».

11. Clarifier la rédaction de l’article L. 2242-9 (nouveau) du code du travail relatif à la pénalité financière concernant l’application de celle-ci aux entreprises qui n’ont pas conclu d’accord collectif sur l’égalité professionnelle, ou à défaut de plan d’action, pour plus de lisibilité.

12. Préciser dans la loi que la base de données unique reprend l’intégralité des informations tant quantitatives que qualitatives figurant antérieurement dans le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes (RSC) et le rapport sur la situation économique de l’entreprise (RSE).

13. Rétablir explicitement le lien entre les outils de diagnostic sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise et la négociation sur l’égalité professionnelle.

14. Ne pas permettre le caractère facultatif de la transmission des informations récurrentes au comité d’entreprise sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise.

Intégrer la dimension de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans chacun des trois blocs de négociations :

15. Réintroduire la question du suivi de la mise en œuvre des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans la négociation annuelle sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise.

16. Concernant le champ de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels, prévoir l’intégration de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la mixité des métiers, afin de souligner la transversalité du thème de l’égalité professionnelle.

17. Préserver le caractère annuel de la négociation sur les rémunérations tant que les entreprises n’ont pas signé un accord collectif sur l’égalité professionnelle.

Prime d’activité en direction des travailleur-se-s modestes

18. Exclure les pensions alimentaires des ressources prises en compte pour déterminer l’éligibilité à la prime d’activité et le calcul du montant de celle-ci, en raison de leur nature particulière.

19. Veiller au suivi statistique et à l’évaluation ex post sexuée de la prime d’activité (évaluation quantitative et qualitative de son impact, enquête auprès des bénéficiaires et publics cibles, documents budgétaires, etc.)

20. Mettre en œuvre un plan d’information sur la prime d’activité, avec des actions diversifiées en direction des publics cibles – par exemple, sous forme d’affiches et dépliants dans les organismes de protection sociale (CAF, CPAM, antennes de Pôle Emploi, etc.), PMI, missions locales et centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) notamment, de stands d’information dans les supermarchés low cost et les centres de la Poste, ou encore de courriels envoyés de façon ciblée à certains publics potentiellement éligibles, avec un lien vers le simulateur des droits qui sera prochainement mis en place, etc.

Veiller à la formation des agents des caisses et travailleurs sociaux sur le nouveau dispositif.

Intermittent-te-s du spectacle

21. Réaliser une étude sur la situation des intermittentes, avec des éléments d’analyse quantitative et qualitative, s’agissant en particulier de l’accès aux prestations maladie et maternité, et prévoir à cette fin une codification spécifique pour les salariés intermittents dans la nomenclature des familles professionnelles (DARES).

22. Veiller à l’application par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) des dispositions prévues par le code de la sécurité sociale en matière de droits aux prestations et rappeler ce principe dans la prochaine circulaire ministérielle sur le régime applicable aux personnes exerçant une profession discontinue pour l’accès aux prestations au titre de la maladie et de la maternité (direction de la sécurité sociale).

Sécurisation des parcours et retour à l’emploi

23. Veiller à la prise en compte de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes dans le diagnostic préalable et la construction du compte personnel d’activité.

24. Préciser dans le code du travail que l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) contribue à l’égal accès des femmes et des hommes à la formation professionnelle et à la promotion de la mixité des métiers.

Sexisme au travail

25. Renforcer la lutte contre le sexisme dans le monde du travail.

ANNEXES

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE ET PAR LA DÉLÉGATION

1.  Personnes auditionnées par la délégation aux droits des femmes

● Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

– M. François Chérèque, inspecteur général des affaires sociales, président de l’Agence du service civique, président de la fondation Terra Nova, co-auteur des deux rapports de l’IGAS sur l’évaluation de la première année (janvier 2014) et de la seconde année de mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale (janvier 2015)

● Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP)

– Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale

– Mme Marie Becker, cheffe de projet

● Ministère des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

– Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État, chargée des Personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

● Organisations syndicales de salarié-e-s

– Mme Dominique Marchal, secrétaire confédérale chargée de l’égalité, responsable de la commission confédérale femmes, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT)

– Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale chargée de l’égalité professionnelle, de Force ouvrière (FO)

– Mme Céline Verzeletti et Mme Sophie Binet, membres de la direction confédérale, chargées des questions relatives aux femmes, de la Confédération générale du travail (CGT)

– Mme Pascale Coton, secrétaire générale confédérale, et M. Jean-Michel Cerdan, secrétaire confédéral, de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

– M. Franck Mikula, secrétaire national chargé de l’emploi et de la formation, de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

● Organisations patronales (CGPME, MEDEF et UPA)

– M. Philippe Chognard, conseiller aux affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)

– M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Caroline Duc, conseillère technique, de l’Union professionnelle artisanale (UPA) 

2.  Personnes entendues par la rapporteure

● Expert-e-s  (économistes, sociologue et juriste en droit du travail)

– Mme Jacqueline Laufer, sociologue, directrice adjointe du réseau de recherche pluridisciplinaire MAGE (Marché du travail et genre), professeure émerite en management et ressources humaines à HEC Paris, et auteure notamment de L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (2014)

– Mme Rachel Silvera, économiste, maîtresse de conférence à l’université Paris X Nanterre, directrice adjointe du réseau de recherche international et pluridisciplinaire MAGE, membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), auteure notamment de Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires (2015)

– Mme Pauline Domingo, économiste, responsable du pôle analyses et prévisions de la Direction des statistiques, des études et de la recherche de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), membre de la mission pilotée par Séverine Lemière sur L’accès à l’emploi des femmes (rapport remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013)

– M. Michel Miné, professeur associé de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), depuis le 1er septembre 2007, membre du chercheur au LISE (au sein de l’axe Genre puis de l’axe Travail depuis la rentrée 2013), ancien inspecteur du travail (directeur du travail), membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP)

● Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP)

– Mme Brigitte Grésy, secrétaire générale

● Collectif « Les Matermittentes »

– Mme Caroline Sart, membre du collectif

– Mme Amandine Thiriet, membre du collectif

– Mme Hélène Crouzillat, membre du collectif

● Déplacement sur le site de LogiVitae, structure spécialisée d’aide à domicile (Paris, 12ème arrondissement)

– Mme Dafna Mouchenik, fondatrice et responsable de LogiVitae

● Associations

– Mme Margaux Collet, co-porte-parole d’Osez le féminisme

– Mme Séverine Lemière, économiste

– Mme Sophie Binet, UGICT - CGT - Secrétaire générale adjointe, CGT - CE Confédérale

ANNEXE 2 : AVIS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES (CSEP) SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AU DIALOGUE SOCIAL

Suite à la saisine de Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des Droits des femmes auprès de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP), réuni le lundi 11 mai 2015, a remis un avis sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, dont le texte est reproduit ci-après.

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1. Une question de méthode

L’ensemble des membres du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) déplorent une saisine très tardive de leur instance et soulignent le caractère particulièrement regrettable de ce retard, compte tenu du titre même de ce projet de loi relatif au dialogue social. Certains (CGPME notamment) s’étonnent même que d’autres instances consultées pour avis, comme la CNNC, aient reçu le document le samedi 4 avril alors que le CSEP ne l’a obtenu pour diffusion à ses membres que le mardi 7 avril. L’importance de ce texte, qui remanie en profondeur le code du travail en matière notamment de regroupement des consultations annuelles obligatoires et des négociations, exigeait un temps de réflexion beaucoup plus long.

De plus, les partenaires sociaux ayant majoritairement opté pour une réponse par mail, compte tenu des délais, la réunion plénière prévue pour le 13 avril n’a pu se tenir, ce que la CGPME, partisan du respect des procédures, regrette vivement.

Par ailleurs, certains (Michel Miné) demandent comment ce projet de loi est articulé avec le groupe de dialogue social interministériel concernant les discriminations dans l’emploi.

D’autres enfin, et notamment la CGT, estiment que l’avis du CSEP aurait dû porter sur l’ensemble du projet de loi tant l’impact des mesures y figurant s’avère souvent déterminant pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

2. Des réactions différentes

Si généralement les organisations patronales et syndicales saluent l’effort nécessaire de regroupement et mise en cohérence de certaines dispositions du code du travail, elles divergent assez largement dans les réactions au contenu précis des articles.

Le MEDEF souligne ainsi que ce projet de loi s’inscrit dans le prolongement de la négociation menée en vue d’une modernisation du dialogue social, d’octobre 2014 à janvier 2015. Il regrette l’échec de cette négociation et précise que le projet de loi soumis pour avis aujourd’hui reprend un certain nombre des propositions alors formulées : regroupement des consultations en trois temps forts, regroupement des négociations et possibilité de négocier la temporalité de cette négociation, possibilité d’organiser des réunions communes sur des sujets intéressant plusieurs instances, réduction du nombre de réunions obligatoires et meilleure articulation entre les instances. Il prend acte de ce projet de loi.

Au contraire, de très fortes réserves sont formulées, voire une condamnation explicite du projet de loi de la part des organisations syndicales et des personnalités qualifiées. La CFTC utilise l’adjectif « inacceptable » et FO « inadmissible ». La CGT se dit défavorable à ce projet de loi.

3. Les principales réserves sur les trois articles 5, 13 et 14 concernant la question de l’égalité professionnelle

I. Article 5 sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les candidatures aux comités d’entreprise et délégués du personnel

La majorité des organisations patronales et syndicales se félicitent de la teneur de l’article 5, rendant possible un réel équilibre dans les IRP, pour les titulaires comme pour les suppléants, non seulement au niveau des candidatures mais aussi au niveau des élus.

Quelques spécificités se dessinent néanmoins :

– Concernant le champ du dispositif

La CFTC aurait souhaité que le texte aille même plus loin en envisageant ce dispositif également pour les commissions paritaires régionales interprofessionnelles, dès leur mise en place.

– Concernant la sanction consistant en l’annulation de l’élection du ou des candidats du sexe surreprésenté en cas de non- respect des obligations

Si la CFTC se félicite de la sanction rendant efficace le dispositif, FO conteste le procédé qui consiste à annuler a posteriori l’élection des candidats dès lors que l’exigence de proportionnalité ne serait pas respectée. Il propose, plutôt que de telles sanctions, des incitations pouvant prendre la forme de crédits d’heures supplémentaires. De plus la proportionnalité pourrait être plus souple et progressive, en variant lors du prochain scrutin, de + ou – 30 %, puis de + ou- 10 % à l’échéance suivante.

Pour sa part, le MEDEF souhaiterait que soient précisées les conséquences de l’annulation d’une élection des candidats du sexe surreprésenté car il ne saurait être question, pour l’employeur, de devoir organiser de nouvelles élections. La CGPME exprime la même inquiétude.

– Concernant l’accompagnement de la mesure

Certains membres ont exprimé le regret qu’aucune action positive et mesures d’égalité des chances pour que les salariées soient mieux représentées et davantage représentantes n’accompagne cette recherche de représentation équilibrée (Michel Miné). La CGT rejoint cette position (voir plus loin).

– Concernant l’effet redouté « troisième tour »

La CFE-CGC, de même que la CGT, regrettent que les instances de gouvernance syndicale et patronale ne soient pas incluses dans ce projet.

– Concernant les enjeux de simplification

La CGPME craint que la constitution par les chefs d’entreprise d’une liste électorale sexuée n’alourdisse les formalités électorales préparatoires. Il conviendra que les organisations syndicales présentent des listes de candidats conformes à cette répartition, par sexe, dans les collèges électoraux.

La CGT, pour sa part, favorable à la juste représentation des femmes dans les IRP, conteste cependant la proposition retenue. La moindre implication des femmes dans les IRP tient pour partie à la surexploitation dont elles sont victimes au travail (temps partiels, précarité…), au fait qu’elles sont concentrées dans des secteurs dans lesquels la présence syndicale est moindre (TPE/PME et tertiaire) et qu’elles assument toujours la quasi-totalité des tâches ménagères. Se contenter d’imposer des quotas assortis de sanctions, comme le fait le projet de loi, conduira donc à fragiliser la présence syndicale mais ne répondra pas au problème de fond. En outre, le projet de loi ne cible que les salariés sans interroger la représentation des employeurs.

La CGT formule donc quatre propositions :

● L’introduction dans le projet de loi de la nécessité de déposer un rapport reposant sur une étude sexuée quantitative et qualitative relative aux IRP, incluant notamment :

– les répartitions femmes/hommes de représentation des salariés à tous les niveaux en fonction des secteurs, des catégories professionnelles et des tailles d’entreprises ;

– la répartition femmes-hommes des représentant-e-s des employeurs à tous les niveaux ;

– les demandes de licenciements de salariés protégés ;

– les freins à l’implication des femmes dans les IRP.

Ce rapport sera présenté aux parlementaires et partenaires sociaux six mois au plus tard après la promulgation de la loi et donnera lieu à des mesures permettant de faciliter l’implication des femmes dans les IRP.

● Des mesures d’accompagnement du mandat (encadrement des horaires de réunion, prise en charge de la garde d’enfants, mesures pour les salarié-e-s à temps partiel, extension de la protection contre le licenciement à l’ensemble des mandats…) ;

● L’instauration d’un quota minimum de 30 % de représentants de chaque sexe pour les négociations déterminantes pour l’égalité entre les femmes et les hommes, à l’échelle de l’entreprise et de la branche. Pour cela, les organisations syndicales auront le droit de compléter leur délégation avec des salariés mandatés expressément pour cette négociation. Les salarié-e-s ainsi mandaté-e-s bénéficieront de la protection spécifique aux représentants du personnel, pendant six mois après la fin de l’exercice de leur mandat ;

● Une juste représentation pour les employeurs comme pour les organisations de salariés avec une mise en place progressive dans le temps.

II. Articles 13 et 14 visant à regrouper les consultations annuelles obligatoires et les négociations

Un effort de regroupement généralement salué

Presque tous les membres du CSEP saluent l’effort nécessaire de regroupement et le fait que l’organisation du processus de consultation autour de trois thèmes convient au niveau de l’architecture générale. De plus, la transversalité du thème de l’égalité professionnelle semble être assurée puisqu’on retrouve cette dimension dans l’ensemble des négociations (article L. 2242-6 du code du travail inchangé).

La CFDT relève positivement ce qu’elle considère comme une avancée, à condition toutefois que l’égalité professionnelle garde toute sa place dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail qui, en cohérence avec l’ANI du 19 juin 2013, devrait s’intituler « qualité de vie au travail, égalité professionnelle ».

De même, la CFTC est la première à reconnaître que le formalisme excessif et l’empilement de mesures complexes sont des freins importants à un dialogue social dynamique et constructif et reconnaît demander depuis longtemps plus de clarté et de lisibilité.

Sept critiques souvent formulées

FO rappelle que l’ANI de juin 2013 sur la qualité de vie au travail avait posé le principe de l’expérimentation d’une fusion des négociations autour de la qualité de vie au travail. Fo s’était opposée déjà à cette fusion au motif qu’il n’était pas question de « faire son marché » dans les obligations inscrites dans le code du travail. En aucune manière, il ne saurait s’agir, sous couvert de simplification, de substituer aux différentes négociations obligatoires une démarche de type RSE, avec le risque de diluer le sujet et les obligations au sein des entreprises, d’autant que d’autres regroupements pourraient se faire par accord majoritaire.

Les réserves fortes qui apparaissent dans l’analyse du détail des articles sont les suivantes :

a. Une incertitude quant au contenu des informations sur la situation comparée entre les femmes et les hommes qui sera soumis à la consultation du comité d’entreprise (CE)

Le sort des documents que l’employeur doit remettre au CE n’apparaît pas clairement car les dispositions des articles L. 2323-47 et 2323-57 du code du travail actuelles verront leur contenu modifié laissant supposer la disparition des rapports (Michel Miné). Le décret prévu n’est donc plus encadré par un contenu législatif minimal et, contrairement à l’esprit de la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle qui avait renforcé les données et amélioré le recueil des données, l’objectif semble ici de réduire très sensiblement le contenu des documents requis.

À cet égard, concernant les modalités de consultations récurrentes du comité d’entreprise, l’article 13 du projet de loi propose une nouvelle rédaction de l’article L. 2323-7 du code du travail prévoyant la possibilité de définir par un accord d’entreprise, la liste et le contenu des informations récurrentes prévues notamment en matière de consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi et donc sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. La liste et le contenu des informations en matière de consultations sur l’égalité professionnelle seront susceptibles de varier d’une entreprise à l’autre. Le diagnostic sur la situation des femmes et des femmes deviendrait donc modulable.

Par ailleurs, si la loi assurait jusqu’à présent que les éléments d’informations contenus dans les rapports et informations transmis de manière récurrente au comité d’entreprise, (dont faisait partie le RSC par exemple) devaient être intégrés dans la base de données unique, le projet de loi n’indique pas de manière claire quel type d’informations sur la situation comparée entre les femmes et les hommes y figureront désormais.

La CFDT, citant le nouvel article L. 2323-17 du code du travail qui établit la liste des informations mises à disposition du comité d’entreprise en vue de la « consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi » et qui fait référence à la Base de données uniques (BDES), souhaite que l’ensemble des données contenues dans la BDES soient d’une part sexuées de façon à faciliter la prise en compte de l’égalité professionnelle de façon transversale et fasse d’autre part apparaitre en son sein un chapitre spécifique sur l’égalité professionnelle, reprenant les éléments du RSC.

De plus, le libellé même de l’article suscité (« Des informations, des indicateurs ») rend le texte très flou sur la nature des informations et des indicateurs qui seront fournis au comité d’entreprise.

Pour la CFDT, si un plan d’action est bien mentionné, il n’est fait aucune mention d’un document d’analyse de la situation entre les femmes et les hommes à fournir au comité d’entreprise alors que la disparition du rapport de situation comparé semble actée avec la suppression des articles L. 2323-47 et L. 2323-57. Renvoyer à un décret le soin de préciser le contenu de ces informations n’est pas satisfaisant.

Pour le MEDEF au contraire, la négociation sur la qualité de vie au travail, pour la partie égalité professionnelle (article L. 2242-8) supprime le renvoi explicite vers le Rapport de situation comparée au profit de la base de données unique, ce qui est une première simplification des obligations en matière d’égalité professionnelle, sans être un retrait.

b. L’absence de lien explicite entre un diagnostic sur la situation comparée des femmes et des hommes (appelé précédemment rapport de situation comparée pour les plus de 300 salariés et Rapport sur la situation économique de l’entreprise pour les moins de 300 salariés) et la négociation

Il ressort du projet de loi que le changement majeur réside dans le fait qu’il n’est plus mentionné que la négociation doit s’appuyer sur l’analyse des informations et des indicateurs chiffrés recueillis en matière de situation comparée entre les femmes et les hommes. Il n’existe plus de lien entre l’exercice visant à diagnostiquer et à analyser la situation dans l’entreprise et celui de la négociation.

Pour la CFE-CGC, le RSC et RSE sont les instruments obligatoires et indispensables pour établir un diagnostic sur l’égalité professionnelle dans une entreprise. Enlever cet instrument reviendrait à demander à un médecin de soigner son patient sans aucune consultation et auscultation. Pour FO, la suppression du RSC est absolument inadmissible et la CGT dit s’opposer à la remise en cause du RSC induite par le projet de loi.

c. La plasticité de la périodicité de la négociation

Le suivi de la mise en œuvre des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes devait jusqu’à présent être réalisé annuellement dans le cadre de la NAO. Le projet de loi en prévoyant que la périodicité de la négociation sur les salaires peut désormais être modifiée dans la limite des trois ans comme pour la négociation QVT, rend l’intérêt de cette mesure un peu moins pertinente.

De manière générale, le nouvel article L. 2242-20 du code du travail relatif à l’adaptation des règles de négociation par voie d’accord demeure flou. La référence à la notion de « négociation sur l’égalité professionnelle » et à l’article L. 2242-9 qui est censé reprendre l’article L. 2242-5-1 relatif à la pénalité mais qui n’a pas fait l’objet à ce stade du projet d’une nouvelle réécriture ne facilite pas sa compréhension.

d. La Commission Égalité

Enfin, la question se pose de savoir si la Commission Égalité visée à l’ancien article L. 2323-57 (dont le contenu est modifié) est maintenue. Il convient en effet de souligner que l’article L. 2325-34 prévoyant que dans l’entreprise d’au moins 200 salariés, une commission de l’égalité professionnelle est créée au sein du comité d’entreprise et que cette commission est notamment chargée de préparer les délibérations du comité d’entreprise prévue à l’article L. 2323-57, subsiste, ce qui paraît incohérent

e. Une consultation et une négociation Qualité de vie au travail sans cohérence interne

Pour la CFTC, la 3ème consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi deviendra une consultation fourre-tout qui regroupera la majeure partie des 17 consultations actuelles, sans aucun lien et aucune logique. C’est ainsi que « l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » se retrouvera intercalée entre …« les modalités d’utilisation du contingent annuel d’heures supplémentaires » et … « les modalités d’exercice du droit d’expression des salariés ».

Il en est de même pour la négociation Qualité de vie au travail qui deviendra une négociation fourre-tout qui regroupe pêle-mêle l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, la mise en œuvre de mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes en ce qui concerne l’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes … mais aussi les mesures permettant l’insertion et le maintien dans l’emploi de personnes handicapées, l’exercice du droit d’expression des salariés etc.

Pour le MEDEF en revanche, le fait que l’articulation entre la vie personnelle et professionnelle pour les salariés devienne un nouveau thème de négociation, sur un périmètre plus large qu’auparavant car ce thème n’était rattaché qu’à l’égalité professionnelle, lui parait aller au-delà des objectifs de simplification de l’articulation des négociations.

f. L’absence de précision sur la nécessité de signer un accord ou, à défaut d’accord, matérialisé pour les plus de 300 salariés par un procès-verbal de désaccord, un plan unilatéral de l’employeur (ancien article L. 2242-5-1 du code du travail)

Dès lors, la mention d’un plan d’action à l’article nouveau L. 2323-17, 2° du code du travail, qu’il convient de déposer à l’autorité administrative, renoue avec la même ambiguïté que celle soulignée dans le rapport du CSEP sur la négociation collective sur l’égalité professionnelle dans les entreprises de 50 à 300 salariés en 2012 et 2013. C’est le plan unilatéral de l’employeur et non le plan d’action de l’ex RSC ou ex RSE qui est remis à l’autorité administrative. Cette absence de clarification est d’autant plus dommageable que la troisième appellation de plan d’action mentionnée au L. 1143-1 du code du travail demeure en l’état, sans les précisions demandées par le CSEP dans le rapport précité. Il est particulièrement regrettable que ce toilettage n’ait pas été l’occasion de clarifier par la loi toutes ces redondances et imprécisions.

g. La non visibilité de la sanction pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale en cas d’absence d’accord ou, à défaut d’accord, de plan unilatéral de l’employeur

Cette sanction, présente dans l’ancien article L. 2242-5-1, devrait être reprise dans l’article nouveau L. 2242-9. Mais outre que cet article ne figure pas dans le projet de loi mis à disposition des membres du CSEP, aucune assurance ne nous est donnée qu’une sanction puisse être appliquée au seul thème de l’égalité professionnelle au sein de l’accord Qualité de vie au travail. Par ailleurs, les neuf domaines de négociation présents à l’ancien article L. 2242-5 ne figurent plus dans le texte, suppression déplorée explicitement par la CFDT et la CGT.

L’invisibilité de la sanction, par ailleurs, est déplorée par l’ensemble des organisations syndicales et la majorité des personnalités qualifiées. FO s’alarme au plus haut point de la disparition potentielle de la pénalité infligée aux entreprises en cas de manquement à l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle car le maintien de cette sanction est, à ses yeux, une nécessité. La CFDT souligne que la mise en œuvre de sanctions en cas de non-respect de l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle a permis une augmentation significative des accords et plans d’action et qu’elle y est très favorable. Il est impensable que la sanction disparaisse. L’absence de négociation sur la Qualité de vie au travail conduirait-elle aux mêmes sanctions ? La CGT déplore également la disparition de la sanction dans le texte proposé et estimant que ce projet de loi risque globalement de fragiliser le dialogue social, se dit défavorable à ce projet de loi.

Un tableau mis en annexe rend visibles les interrogations des membres du CSEP quant à la disparition de certaines précisions qu’ils estiment être de nature législative, même s’il convient de renvoyer à des décrets certains éléments figurant antérieurement dans la loi.

III. Autres articles ayant un impact sur l’égalité entre les femmes et les hommes

La CGT tient à souligner l’impact négatif sur l’égalité entre les femmes et les hommes de cinq mesures du projet de loi, en dehors des trois articles analysés ci-dessus.

1. Représentation des salariés des très petites entreprises (TPE)

Il s’agit d’une disposition fondamentale pour l’égalité entre les femmes et les hommes étant donné que, dans le secteur privé, les femmes sont d’avantage concentrées dans des TPE (moins de 11 salarié-e-s), donc privées d’accès aux mandats protecteurs, et dépourvues, dans les faits, de droits syndicaux en général.

Il est donc positif que les salariés disposent enfin d’une représentation. Cependant, l’interdiction des représentants territoriaux d’entrer dans les entreprises des salariés qu’ils sont censés défendre limite considérablement leur action, de même que l’absence de réflexion sur les droits et moyens syndicaux des salariés des TPE.

2. Valorisation des parcours militants

Il convient de veiller à ce que la règle posée n’exclut pas les salarié-e-s à temps partiel, qui sont à 80 % des femmes.

3. Affaiblissement du rôle les suppléants (articles L. 2326-6, 7° et L. 2326-7, II du code du travail)

Les rédactions actuelles semblent induire que les élus suppléants ne seront plus convoqués aux réunions plénières de l’instance et ne pourront pas y assister sauf cas de remplacement d’un titulaire absent et réunion de consultation relative aux orientations stratégiques. En affaiblissant le rôle des suppléants, le projet de loi concentre sur quelques élus les responsabilités, ce qui est défavorable aux femmes.

De même, le projet de loi prévoit de partager le crédit d’heures entre titulaires et suppléants, ce qui conduit à réduire le crédit d’heures des titulaires (qui en auront bien besoin pour assumer les tâches supplémentaires liées au regroupement des instances). Pour faciliter l’implication des femmes, il convient au contraire d’améliorer l’existant et de prévoir un crédit d’heures spécifique pour les suppléants ou augmenter le crédit d’heures légal et le « surplus » pouvant être partagé entre les élus.

4. Fragilisation des CHSCT

La remise en cause des compétences du CHSCT est dommageable pour les femmes, dont les risques professionnels sont sous-évalués. Cela va à contre-courant de la disposition de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, rendant obligatoire une évaluation sexuée des risques professionnels qui est désormais obligatoire.

5. Concentration des instances

L’élargissement de la DUP avec intégration du CHSCT conduit à concentrer le nombre d’instances et à réduire les mandants, ce qui est défavorable à l’implication des femmes.

Michel Miné, personnalité qualifiée reprend les mêmes critiques que celles exprimées ci-dessus au point 1 et 2. Il ajoute qu’aucune disposition, dans le projet de loi, concerne la prise de contact entre les salariés des TPE et les commissions paritaires prévues par la loi du 13 novembre 1982 (ancien article 132-20 du code du travail).

1 () « Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes en 2009 : le salaire horaire des femmes est inférieur de 14 % à celui des hommes », DARES Analyses n° 016, Lara Muller, mars 2012.

2 () Ibid.(DARES, mars 2012).

3 () Rapport d’information n° 629, « Égalité professionnelle et salariale : la loi enfin appliquée ? », fait par Mme Cécile Untermaier au nom de la délégation, janvier 2013.

4 () Voir le compte rendu de cette audition dans la section du présent rapport sur les travaux de la délégation.

5 () Voir le compte rendu de l’audition de Mme Ségolène Neuville, le 15 avril 2015.

6 () Voir sur ce point les éléments chiffrés indiqués par Mme Ségolène Neuville lors de son audition.

7 () Femmes et précarité, étude présentée par E. Duhamel et H. Joyeux au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité du CESE, février 2013, et étude précitée sur « Les travailleurs pauvres », 2009.

8 () Rapport précité du CESE (2013), citant une étude de la DARES publiée en 2009, portant sur l’année 2006.

9 () Source : ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes (2014).

10 () Réforme des dispositifs de soutien aux revenus d’activité, rapport au Premier ministre de M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, parlementaire en mission (Simon Vaneckere, rapporteur), juillet 2013.

11 () La PPE est déduite de l’impôt sur le revenu liquidé ou fait l’objet, lorsque cet impôt lui est inférieur ou fait l’objet, lorsque cet impôt lui est inférieur ou lorsque le bénéficiaire n’est pas imposable, d’un versement financier à son bénéfice. Elle est donc, comme l’impôt sur le revenu, calculée et versée plusieurs mois après la fin de l’année de perception des revenus sur lesquels elle repose.

12 () Dans un article publié en 2010 (« L’impôt sur le revenu, l’emploi des femmes et les inégalités de genre » (Interventions économiques, mai 2010), celui-ci indiquait notamment que « dans son économie actuelle, elle est centrée sur l’emploi à temps partiel des femmes mariées » (…) et que « Stancanelli (2006) montre pour sa part que la PPE a globalement peu influencé le taux d’emploi des femmes, mais a incité un nombre significatif de celles vivant en couple et faiblement rémunérées à se retirer du marché du travail. »

13 () Hélène Périvier et Guillaume Allègre (2005), Bargain (2004), Stancanelli et Sterdyniaj H. (2004).

14 () Un bénéficiaire est un individu adulte percevant le RSA. Il peut être allocataire ou conjoint de l’allocataire. Cette entité ne doit pas être confondue avec la notion de foyer allocataire qui regroupe l’ensemble des individus membres d’un même foyer. Source : P. Domingo, CNAF L’essentiel, avril 2014.

15 () « RSA des hommes et des femmes : des caractéristiques d’emploi différenciées », Pauline Domingo, CNAF L’essentiel, avril 2014.

16 () Ainsi, parmi les bénéficiaires du RSA en emploi, 69 % des femmes des femmes occupent un emploi à temps partiel, contre 32 % des hommes. En outre, parmi les bénéficiaires du RSA salariés, un peu plus de la moitié sont en CDI et, globalement, dans des proportions proches pour les hommes et les femmes (57 % et 55 %), mais il existe de nettes différences selon la configuration familiale : en effet, parmi les bénéficiaires du RSA salariés ayant des enfants, les hommes en couple sont 70 % à occuper un emploi en CDI, alors que les femmes en couple ne sont que 54 % à occuper ce type d’emplois

17 () Entretien au journal « Les Echos », 17 décembre 2013.

18 () En particulier, l’article d’Hélène Périvier, économiste à l’OFCE, « Travaille ou marie-toi ! », 2010.

19 () L’accès à l’emploi des femmes : une question de politiques, chapitre « Les femmes dans la politique sociale : le RSA constitue-t-il un frein à l’emploi des femmes ? », rapport de la mission pilotée par Mme Séverine Lemière, économiste, remis à la ministre des Droits des femmes, en décembre 2013.

20 () Voir le compte rendu de l’audition du 15 avril 2015 en annexe.

21 () Pour plus de précisions sur ce point, voir les développements présentés page 181 de l’étude d’impact.

22 () Voir le compte rendu en annexe de l’audition de M. François Chérèque, le 18 mars 2015.

23 () La mesure d’allègement de l’impôt sur le revenu supprime la 1ère tranche d’imposition et étend et renforce le mécanisme de la décote, qui permet aux ménages modestes de diminuer ou d’annuler leur impôt. Le coût de cette mesure d’allègement est estimé à 2,7 milliards d’euros en 2015.

24 () Inégalités femmes-hommes : il est temps d’agir, rapport de l’OCDE, 2012.

25 () Rapport d’information n° 837 fait par Mme Ségolène Neuville et M. Christophe Sirugue, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 774), mars 2013.

26 () La secrétaire d’État a ainsi indiqué que « Certes, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi a imposé 24 heures de travail minimum par semaine, sauf accord de branche, mais de nombreuses dérogations existent, si bien que la loi ne suffira pas à résoudre le problème du temps partiel. C’est la raison pour laquelle la feuille de route 2015-2017 comporte une mesure, soutenue par François Rebsamen, ministre du travail, consistant à encourager un plan de développement des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ). En effet, le groupement d’employeurs permettra aux femmes d’occuper plusieurs emplois à temps partiel sans cumuler les inconvénients de plusieurs employeurs, par exemple lorsqu’ils leur opposent un refus sur leurs dates de vacances ».

27 () Les annexes VIII et X de la convention d’assurance chômage concernent respectivement, d’une part, les ouvriers et les techniciens de l’édition d’enregistrement sonore, de la production cinématographique et audiovisuelle, de la radio, de la diffusion et du spectacle, et, d’autre part, les artistes du spectacle du spectacle.

28 () Le Défenseur des droits avait notamment estimé que « la situation dans laquelle sont placées les intermittentes du spectacle durant et à l’issue de leur congé de maternité constitue une discrimination fondée sur l’état de grossesse, tant au regard du droit communautaire que du droit interne ».

29 () Le rapport proposait ainsi de « mettre un terme à l’injustice sociale dont souffrent les “matermittentes ” : – le Gouvernement doit adopter une circulaire rappelant les règles relatives au maintien des droits à la sécurité sociale afin de sensibiliser les caisses primaires d’assurance maladie sur le cas des matermittentes ; – les discussions à venir sur les annexes VIII et X à la convention d’assurance chômage doivent permettre aux partenaires sociaux de mieux garantir les droits à l’assurance chômage des matermittentes. »

30 () Décret n° 2015-86 du 30 janvier 2015 portant modification des conditions d'ouverture du droit aux prestations en espèces des assurances maladie, maternité et invalidité et au congé de paternité et d'accueil de l'enfant (paru au Journal officiel le 31 janvier 2015).

31 () Dans le cadre du rapport d’information n° 1655 de la délégation sur le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes (Mmes Catherine Coutelle, Brigitte Bourguignon, Edith Gueugneau, Monique Orphé et Barbara Romagnan, rapporteures), adopté en décembre 2013, la délégation avait en effet adopté la recommandation suivante : « ouvrir davantage l’accès aux indemnités journalières, permettant de compenser la perte de salaire en cas d’arrêt de travail, aux personnes travaillant à temps très partiel et n’y ayant pas accès ; une première étape pourrait consister à abaisser le palier de 200 heures à 150 heures pour valider un trimestre ouvrant ces droits » (recommandation n° 21).

32 () Décret n° 2015-86 du 30 janvier 2015 portant modification des conditions d'ouverture du droit aux prestations en espèces des assurances maladie, maternité et invalidité et au congé de paternité et d'accueil de l'enfant (paru au Journal officiel le 31 janvier 2015).

33 () Dans le cadre du rapport d’information n° 1396 sur le projet de loi portant réforme des retraites (Mme Catherine Coutelle, rapporteure ; rapport adopté le 25 septembre 2013), la délégation avait ainsi adopté la recommandation suivante : « Si la délégation considère que la création du compte personnel de pénibilité constitue une avancée majeure, elle attire l’attention sur la prise en compte des facteurs de pénibilité dans les emplois majoritairement occupés par des femmes. Elle demande qu’un rapport soit effectué, analysant la prise en compte, par le droit du travail, des facteurs de pénibilité propres aux emplois majoritairement occupés par les femmes. Elle appelle les organisations syndicales à se saisir de cette question et demande qu’elle soit obligatoirement traitée lors des renégociations des conventions collectives de branche. » (recommandation n° 8).

34 () Dans le cadre du rapport d’information précité sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (Mme Ségolène Neuville, rapporteure), la délégation avait notamment adopté la recommandation suivante : « Donner les mêmes droits aux salarié-e-s à temps partiel concernant l’alimentation du compte personnel de formation, soit 20 heures par an, sans préjudice des abondements complémentaires (suppression du principe du prorata temporis à l’article 1er du projet de loi) » (recommandation n° 1).

35 () Source : ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (avril 2015).

36 () Formation professionnelle et apprentissage : des choix dictés par les stéréotypes de genre qui entretiennent les inégalités entre les femmes et les hommes, rapport d’information n° 1753 fait par Mme Ségolène Neuville, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur le projet de loi (n° 1721) relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (février 2014).

37 () Voir le compte rendu de l’audition du mardi 24 mars 2015, en annexe du présent rapport.

38 () Le sexisme dans le monde du travail : entre déni et réalité, rapport du CSEP publié le 6 mars 2015.


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